Les jardins d'Hélène

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Nous, on n’aime pas lire – Danièle Sallenave

10 Novembre 2010, 15:32pm

Publié par Laure

nous-on-n-aime-pas-lire.jpgDanièle Sallenave est une militante de la lecture. Normalienne, agrégée de lettres, elle a longtemps enseigné. Elle est aussi écrivain.

Dans « Nous, on n’aime pas lire », elle retrace son expérience dans un collège « ambition réussite » en zone d’éducation prioritaire, le collège de la Marquisanne à Toulon. Il s’agissait de faire parrainer une classe de 3ème par un écrivain, vaste opération médiatique et politique. Trente écrivains se sont engagés. Libres à eux de s’organiser comme ils voulaient. Danièle Sallenave a finalement rencontré deux classes à trois reprises au cours de l’année 2007-2008 et a choisi de leur faire lire une de ses pièces de théâtre, courte, et mettant en scène des ados. Les élèves écrivent à leur tour des dialogues… On n’en saura pas beaucoup plus sur cette expérience, et c’est là où le bât blesse : en quoi cette expérience a pu inciter (ou non) à avoir envie de lire, a-t-elle réussi peu ou prou, qu’en a-t-elle tiré sinon le constat habituel que l’on fait des banlieues ? On reste un peu sur sa faim quant aux échanges avec les jeunes au cours de cette expérience. Trois séances, n’était-ce pas trop court non plus pour un projet si ambitieux ?

 

Néanmoins, il y a pas mal de choses intéressantes dans son récit. C’est un fait, une donnée sociale et collective, ces enfants-là n’aiment pas lire, dit-elle. Peut-être tout simplement parce que la lecture reste pour eux extrêmement difficile, ils ne maîtrisent pas l’acte de lecture, et quand ils ânonnent, ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent. Ils sont fatigués et découragés d’avance. Leur environnement, c’est le foot, la télé, les consoles de jeux, et la cité, bref, tout ce qu’on lit d’habituel sur le sujet. L’Etat met davantage de moyens dans ces établissements, alors pourquoi ça ne marche pas ? des moyens matériels certes (belles bibliothèques, rénovations, matériel informatique) mais pas tellement de moyens humains. Il faudrait réellement pouvoir faire de tous petits groupes d’élèves, et donc, disposer de beaucoup d’enseignants.

 

Elle a une position critique et engagée sur un certain nombre de points évidents, notamment la société consumériste, le « pédagogisme » qui essaie tout un tas de trucs et méthodes, mais aussi sur la formation des enseignants : plutôt qu’une formation extrêmement pointue dans un domaine universitaire, ne faudrait-il pas leur offrir une culture plus générale dans tous les domaines et plus de temps pour lire et travailler sur cet axe ? Beaucoup d’enseignants disent ne pas avoir le temps de lire (comme beaucoup de gens !), ce à quoi elle répond que lire ne devrait pas être une question de temps, quand c’est avant tout un besoin, une nécessité, ce qu’approuveront tous les convaincus et boulimiques de lecture.

 

Là où je ne la rejoins pas, c’est sur la littérature jeunesse, qu’elle fustige sévèrement. Elle intrigue notamment quand elle dit que « beaucoup de carrières d’écrivains se sont construites à bon compte sur la littérature jeunesse » (ah oui, lesquelles ? je suis curieuse !) et qu’elle semble juger simpliste la littérature dite de jeunesse, qu’elle trouve trop moraliste. Il y a  un demi-siècle peut-être, mais aujourd’hui cela me semble erroné et dépassé !

 

Une interview de l’auteur au magazine littéraire  

Ainsi que sur le blog de Didier Jacob, du Nouvel Obs 

 

Gallimard, janvier 2009, 156 pages, prix : 11,50 €

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Crédit photo couverture : © éd. Gallimard

 

 

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K, histoires de crabe - Marie-Dominique Arrighi

29 Août 2010, 16:09pm

Publié par Laure

 

MDA-K.jpgK, histoires de crabe est la publication in extenso d'un blog, ce qui n'est pas si courant.

Comme moi vous avez peut-être suivi l'aventure narrée quasi au quotidien par Marie-Dominique Arrighi, plus souvent appelée MDA, journaliste à Libération, atteinte en 2009 d'un nouveau cancer du sein, après un premier cancer (du sein déjà) en 2005. En juin 2009, elle décide alors d'ouvrir un blog pour raconter son quotidien, au plus près de la réalité. Bien sûr, des blogs sur le cancer, il y en a sans doute d'autres, mais il y a dans celui-ci un ton particulier, un sens de l'information et de la précision remarquable, on apprend réellement des tas de choses (sur les traitements, sur l'organisation de l'hôpital, sur les transports sanitaires ubuesques), tout en suivant la réflexion de son auteur et découvrant au fur et à mesure sa (forte) personnalité. Son humour et son humanité. Personnel soignant, personnel de la CPAM, malades, simples lecteurs, nombreux alors sont ceux qui la lisent au quotidien et sentent venir tristement le basculement, MDA s'éteindra à l'hôpital des Diaconesses le 19 mars 2010.

Plusieurs éditeurs se disaient intéressés par son blog, elle se donnait un temps de réflexion, disant elle-même écrire dans la spontanéité du blog, et non de la littérature ou un essai longuement travaillé. Ce livre existe aujourd'hui, et c'est une bonne chose. Contrairement à ce que je croyais, il ne s'agit pas d'extraits mais bien de l'intégralité de ses textes, que j'ai relus avec émotion. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez au choix lire ce journal d'une nouvelle aventure cancérologique en ligne, prenez-le alors à l'envers évidemment, allez au plus loin des archives pour le lire chronologiquement, ou commandez-le chez votre libraire, les droits d'auteur sont reversés à des associations de prévention du cancer.

 

K, histoires de crabe est un témoignage intéressant, intelligent, et humain. Drôle et vivant, malgré la gravité du sujet.

 

Ed. Bleu autour, mai 2010, 435 pages, prix : 17 €

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Crédit photo couverture : éd. Bleu autour.

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Lettres à mon libraire (Collectif préfacé par François Busnel)

26 Janvier 2010, 10:05am

Publié par Laure

lettres librairesDécouvert sur une table de libraire, dans un amphithéâtre en plein colloque sur la Lecture, je n’ai pas résisté à l’appel du titre et de la promesse de plaisir, évidemment.

Jean Morzadec anime « le choix des libraires » en partenariat avec France Info et France 5 (La grande librairie) et il a rassemblé dans ce recueil une bonne quarantaine de lettres d’écrivains à leur(s) libraire(s). Lieux de passion et d’impulsion, lieux de conseils et d’intimité, les librairies sont le maillon incontournable entre un auteur et un lecteur, et ce maillon peut gagner encore en sens et en plaisir quand vous avez la chance de nouer un lien étroit avec votre libraire, personnage en chair en et os.

Ce petit recueil leur rend hommage, sous des formes très variées mais toujours très courtes, anecdotes, souvenirs, déclarations passionnées, prétextes pour caser son propre roman, on y trouve un peu de tout. Quelques uns ont joué l’originalité et l’humour, mentions particulières à Benoît Hopkin qui fait tout pour ne pas s’arrêter mais c’est fichu, cette vitrine est un aimant !, à Jean-Loup Chiflet qui nous la joue humour et perles du métier, ainsi que Didier Daeninckx.

Pourtant … il manque un entrain dans ce livre, je n’y ai pas ressenti l’enthousiasme espéré, peut-être est-ce dû aux conditions particulières de découverte, deux jours d’immersion dans la thématique lecture, interrogations et réflexions, passions de métiers et savoirs universitaires, études sociologiques et récits d’écrivains et d’éditeurs, il y avait tant de passion, de partage et de vie dans ces propos échangés durant deux jours en Mayenne que le livre n’arrive pas à la hauteur de ces échanges. La forme est trop courte, parfois à peine écrite (certaines lettres sont plus ou moins des retranscriptions téléphoniques), l’exercice aurait mérité davantage de temps et d’espace pour s’épanouir pleinement.
Finalement, la plus belle lettre, c’est peut-être tout simplement la préface de François Busnel, qui n’est pas écrivain mais journaliste et qui conclut ainsi : « J’avais huit ans et décidais que, s’il me fallait travailler un jour, j’exercerai ce métier de passeur : je serai libraire. Parce que la vie est un roman et qu’un bon roman ne conduit jamais ses personnages où ils pensent aller, il n’en est rien. Tant pis ! Je me console en continuant d’arpenter les librairies, à Paris, en province, à l’étranger, à la recherche de ce qu’il y a de plus rare et de plus important au monde et que je trouve en ces lieux mieux qu’ailleurs : une émotion qui ne soit pas fausse. »

 

 

Le site du choix des libraires

 

L’avis de Cathulu

 

Le Rouergue et France Info, septembre 2009, 119 pages, prix : 6 euros

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Crédit photo couverture : éd. Du Rouergue.

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La vie m'a dit... - Christine Orban

13 Novembre 2009, 22:48pm

Publié par Laure

Il fut un temps lointain où j’ai aimé quelques romans de Christine Orban. Au début de l’année 2009, son dernier « n’oublie pas d’être heureuse » m’avait tant ennuyée que je crois bien ne même pas l’avoir fini. Il y a deux ans, elle publiait un recueil de citations et petites phrases, que j’avais feuilleté en librairie, et qui sous un joli titre, Petites phrases pour traverser la vie en cas de tempête et par beau temps aussi, me semblait surtout cacher un gros vide. Aujourd’hui paraît un nouveau recueil, « fait d’instantanés, de phrases entendues, de scènes surprises ici ou là, d’observations. Attraper la vie avec une succession de phrases. » Dit comme ça, l’idée est attrayante. Le découpage est organisé : dans la vie m’a dit, il y a « je connais quelqu’un », « j’ai entendu », « je me souviens » (tiens, ça quelqu’un l'a déjà fait !), des thématiques, l’amour, l’amitié, la sagesse, la solitude, la déception, etc. Comme ça ne semblait pas suffire à remplir une centaine de pages très aérées, l’auteur y ajouté des citations d’écrivains, de Molière à Flaubert, de Sénèque à Proust, en y mêlant des propos d’inconnus, un élève du lycée Surcouf à Saint-Malo, un petit enfant du Bhoutan… Le hic, c’est qu’hormis les citations de grands auteurs qui tombent hors propos comme des cheveux sur la soupe, l’ensemble de ces phrases ultra courtes est d’une vacuité telle que je ne sais quels exemples vous donner, tous plus plats les uns que les autres.

p. 19 : « Peut-être ne faut-il pas trop connaître les gens »

p. 15 : « Je connais quelqu’un qui ne fait rien par peur de faire mal »

p. 53 : « Faute d’affection, contentons-nous de la politesse »

p. 33 : « Je me souviens des jupes-culottes »

p. 91 : « Attendre c’est perdre un jour en espérant un autre »

Je ne sais pas ce qu’elle vous raconte à vous, la vie, mais moi il me semble que même à la pause café entre collègues,  ou en discutant avec mes enfants ou en écoutant une conversation à la caisse du supermarché, la vie m’apprend des choses plus intéressantes que ça !

 

Je vous livre quand même deux phrases qui me semblent avoir leur place dans ce recueil :

 

p. 22 : « J’ai entendu des gens parler et ne rien dire »

p. 107 : « C’est aux livres et aux disques médiocres qui sont encensés que l’on mesure le pouvoir de l’artiste sur la presse ».

 

CQFD.

 

Albin Michel, novembre 2009, 176 pages, prix : 12,50 euros

Etoiles :

Crédit photo couverture : © BSIP / Philip Rosenberg et éd. Albin Michel.

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Ancrés à Mafate, ouverts sur le monde : regards d'enfants

11 Septembre 2009, 14:05pm

Publié par Laure


En février 2009, j’ai passé une dizaine de jours de vacances sur l’île de la Réunion. Souvenez-vous, il gelait à Paris et nous avions là-bas 35°, une mer transparente et plein de petits poissons pour nous chatouiller les pieds.

La mer, le volcan, les cirques. Je ne suis pas allée au cirque de Mafate, j’ai juste profité d’un superbe panorama depuis le piton du Maïdo. Le cirque de Mafate est un lieu exceptionnel à la Réunion : on n’y accède que par hélicoptère ou par des chemins de randonnées. Des habitants y sont installés, des enfants vont à l’école, il y a une vie à Mafate, ce n’est pas qu’un paysage !

Cet album en est le reflet, entièrement réalisé par les enfants de Mafate, avec les souvenirs aussi, de quelques unes de leurs mamans. A l’origine, il y a un projet, celui de Geneviève Ceccaldi, intitulé « Livres sur l’Autre, Livres pour l’Autre », pour faire découvrir aux enfants la vie d’autres enfants à travers le monde. Un livre devait être réalisé par des enfants à Madagascar, mais le projet prenant du retard, ce sont les enfants de Mafate qui ont inauguré la collection « Enfants de l’Océan Indien ». Grâce au travail de Monique Juhel, directrice de l’école de La Nouvelle et de ses collègues, ce sont six années de travail qui ont été synthétisées dans un livre. Ancrés à Mafate, ouverts sur le monde, est donc rédigé par les enfants des écoles primaires du cirque, qui expliquent leur vie à Mafate, l’illustrant de nombreux dessins et photos. Beaucoup rêvent de devenir pilotes d’hélicoptères, parce que l’hélicoptère est crucial à Mafate : il amène les ravitaillements, les matériaux de construction, les médecins, etc. C’est le seul moyen de transport pour rejoindre le reste de l’île.

On découvre dans ce livre le quotidien des enfants, ce qu’ils aiment, la cuisine créole, les commerces, leurs jeux, le facteur qui marche plus de dix heures par jour pour distribuer le courrier, les touristes qui viennent passer une ou deux nuits en gîtes, mais aussi leur ouverture sur l’extérieur : des classes de mer à Ouessant (imaginez : La Réunion – Ouessant !), des séjours en Afrique du Sud, mais aussi des classes découverte de leur île, il n’est pas toujours nécessaire d’aller très loin pour apprendre plein de choses !

J’ai aimé leurs anecdotes, surtout celle-ci : « L’équipe de l’émission télé [C’est pas sorcier] est venue à La Nouvelle pour enregistrer une émission avec nous. Pour faire le film, on a mis une journée entière, il fallait recommencer plusieurs fois la même scène. Mais nous n’avons aucune photo, car Fred et Jamy les ont emportées. Quand on a regardé l’émission à la télé, on a vraiment trouvé ça très court. Ce fut une belle expérience quand même. » Ah bah alors, Fred et Jamy, partir avec les photos, non mais quoi, c’est pas sympa ça ! J’espère que depuis vous leur en avez renvoyé quelques unes !

Une autre qui forcément « me parle » : « Le cyclone Dina avait cassé la bibliothèque des Orangers. Tous les livres étaient mouillés et on ne pouvait plus rien faire avec. Même le gros dictionnaire était noyé dans la flaque d’eau. On serait content d’avoir des livres neufs à Mafate, chaque enfant doit pouvoir prendre un livre le soir et le maître raconter des histoires. Sans bibliothèque nous étions tristes, surtout depuis que le boeuf avait mangé les derniers « papiers ». J’imagine (j’espère !) que depuis des livres sont venus remplir à nouveau votre bibliothèque, et si tous les lecteurs de ce blog vous envoyaient un petit livre, elle serait encore plus grande votre bibliothèque ! Chiche mes lecteurs ? L’adresse des écoles de Mafate, ça doit se trouver non ?  


Bravo en tout cas pour ce beau projet, cet album traduit bien toute la vie et l’amour des petits Mafatais pour leur cirque. Il suffit de quelques enseignants ou éducateurs passionnés, des enfants curieux de tout, et voilà le résultat : un bel album entièrement conçu par eux !

 

En savoir plus sur le livre et l’éditeur : l’article de Ricochet  

En savoir plus sur l’initiatrice du projet : Geneviève Ceccaldi

 

Merci à Geneviève bien sûr, qui au hasard du net, m’a envoyée ce livre. Et un autre dont je vous parlerai bientôt, sûrement !

 

Ed. Orphie, 2007, 55 pages, prix : 13 €

Etoiles :

Crédit photo couverture : éd. Orphie et tout le collectif de l’ouvrage J

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Nous sommes tous des patients - Martin Winckler

31 Juillet 2009, 09:01am

Publié par Laure

Pris au hasard d’un rayon parce que tiens, ça fait longtemps que j’ai rien lu de lui, et parce que j’aime sa vision humaniste de la médecine et de la relation patient-médecin, je n’ai pas été déçue par ma lecture.
Certes, pour qui a l’habitude de lire Martin Winckler (romans ou essais), il n’y a pas de grande nouveauté dans ce livre, transcription (parfois très orale) d’entretiens avec Catherine Nabokov. La France est dans un système pyramidal et élitiste, qui fourvoie ainsi le statut de médecin,  c’est donc toute la formation qui est à repenser. On fait médecine pour la spécialité la plus pointue donc la mieux valorisante et la mieux payée ou pour aider la vie des gens malades ? De même sur la formation continue, la toute-puissance des laboratoires pharmaceutiques de mèche avec l’Etat, etc. Beaucoup d’anecdotes aussi, qui illustrent le propos, soit de ses vacations en consultation de contraception, soit du temps où il était généraliste en milieu rural.
Même si cela semble devenu aujourd’hui un fonds de commerce (il vit bien de sa plume), j’aime toujours autant son point de vue sur le sujet. Le patient n’est pas en face d’un Dieu tout-puissant, c’est un échange entre deux êtres humains qui permet le meilleur traitement quand le médecin sait être à l’écoute. Tout n’est pas pain béni non plus dans les idées de Winckler, et je ne suis pas certaine que les modèles anglo-saxons ou nordiques soient si parfaits que cela non plus, mais j’aime l’idée plus large d’aller voir ce qui se passe ailleurs, et de tenter de faire bouger les choses.

Ce livre est également sorti en poche en 2005. 

L’avis de Cuné, qui était très remontée ce jour-là ! (je ne fais pas exprès de la citer, partout où je passe elle a déjà tout lu et pour le coup, je n'ai trouvé que son avis !)

 

Actualité de l’auteur : le chœur des femmes, sortie prévue le 27 août 2009 chez P.O.L.

 

Editions Stock, coll. Documents, mars 2003, 219 pages, prix : 17 €

Etoiles :

Crédit photo couverture : éd. Stock.

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La France vue du sol – Pascal Fioretto, Vincent Haudiquet et Bruno Léandri

30 Juillet 2009, 15:25pm

Publié par Laure

Si vous voulez être sûrs de piquer un fou rire quelle que soit la page, ouvrez n’importe où cet atlas non autorisé intitulé la France vue du sol. Trois joyeux compères ayant l’habitude d’œuvrer dans le pastiche vous ont concocté un vrai guide de notre beau pays, avec ses 100 départements et ses 26 régions (oui n’oubliez pas les DOM quoi !), ses spécialités locales, ses cartes géographiques légendées, ses photos couleurs des grands sites à voir, parfois un petit encart historique, et toujours de très brèves données statistiques, faut bien se culturer un peu.

Classés par région puis par département à l’intérieur de chaque région (oui faut réviser un peu votre alphabet et vos plaques minéralogiques pour vous y retrouver, z’inquiétez pas y a un joli index à la fin), chaque département français a donc sa double page en couleur, avec ses infos aussi sérieuses que loufoques. Et c’est bien évidemment le grand n’importe quoi mêlé au tout à fait exact qui va vous faire marrer comme des tordus.

Allez, je prends un département au hasard, pas le mien :

Sur la carte géographique qui le représente, il y a un authentique trou normand à découper. A Vire, l’apparition d’andouilles. A Lisieux, l’apparition de la Sainte Vierge. A Deauville, l’apparition de Brad Pitt. Ah, à Deauville on peut trouver aussi un stock de planches de rechange. Quelque part du côté de Pont l’Evêque, en plus de l’apparition d’une pâte molle à croûte lavée, le début de l’embouteillage pour la Porte de Saint-Cloud. Etc., etc.

Quelques infos sérieuses quand même : superficie = 5548 km², dont 2 km² en planches.

Le climat : « Prends ton parapluie, car il peut faire soleil chez ton voisin, et pleuvoir dans ton jardin ». « En vacances au VVF à Condé-sur-Noireau, le temps pourra sembler long et pluvieux. En revanche, à l’abri d’un vieux ciré jaune, il peut sembler presque sec ». Etc. Etc.

Spécialités locales : « le Calvados a longtemps souffert d’une réputation de boisson pour ripailles de notaires (pris au milieu du banquet, le calvados dissout l’albumine, débouche le foie et perfore l’estomac tout en procurant une sensation d’appétit.) Le bench drinking (ou « biture express ») qui fait fureur actuellement  chez les ados, a redonné une seconde jeunesse à cette boisson vieille comme les pommes. Selon une étude récente de la ligue contre l’alcoolisme à mobylette, un prémix calva - Red Bull permet d’atteindre les 2,5 g/l d’alcoolémie 3 fois plus vite qu’un whisky-Coca et 5 fois plus rapidement qu’une Vodka-Fanta. »

Et ce ne sont que des extraits, sans les images… Allez-y, il y en a 100 comme ça, et forcément le vôtre si vous vivez en France.

PS : vous aurez bien sûr reconnu le beau département du Calvados où vit dame C. D’ailleurs, « le Calvados n’est pas le trou normand que l’on croit mais un département où il fait bon vivre et payer l’ISF (dès que les Parisiens ont foutu le camp le dimanche soir). »


C’est pas moi qui le dis, c’est :


Chiflet & Cie, 251 pages, mai 2009, prix : 17,95 €
(totalement amortis si vous voulez vous moquer du clocher de chez belle-maman par exemple)

Etoiles :  parce que ça m’a fait rire

Crédit photo couverture : une belle noiraude française.

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Que reste-t-il de la culture française ? – Donald Morrison, suivi de Le souci de la grandeur – Antoine Compagnon

11 Avril 2009, 15:52pm

Publié par Laure

Traduit de l’américain par Michel Bessières.

 

La polémique est née d’une couverture de Time magazine de novembre 2007 annonçant la mort de la culture française. Le journaliste américain, Donald Morrison, vivant en France depuis 5 ans, a déclenché un tollé général avec son article, qui loin de vouloir enterrer la spécificité culturelle de la France, en démontrait simplement l’affaiblissement de sa portée sur le reste du monde.

Il revient ici sur cet article et ses arguments, explique qu’il n’a pas choisi le titre qui a fait scandale en une, qu’il n’en a même pas eu connaissance avant parution, et redéploie dans cet essai son jugement : « il règne bien en France une extraordinaire vitalité culturelle, ce qui a changé, c’est qu’elle ne rayonne plus guère à l’étranger »

Loin de moi l’idée d’opposer des arguments à l’auteur, bien d’autres bien mieux placés et bien plus compétents l’ont fait. Néanmoins Morrison ne fait que relever ce qui me paraît des évidences, et le scandale n’est que le résultat d’un pays (le nôtre !) qui ne tolère pas la critique. Vous savez, le village de petits gaulois qui résiste…

Je me suis intéressée tout particulièrement à la question de la littérature française (davantage qu’au cinéma, théâtre, arts et architecture aussi évoqués dans ce livre) et y ai noté des choses intéressantes, là encore, pas révolutionnaires, que Morrison relève avec humour.

 

p. 42 : « En moyenne, chaque année, les 10 000 éditeurs que compte le pays (d’après le Syndicat national de l’édition) mettent en circulation 60 000 nouveaux titres dans tous les genres. Toutefois, la presse et le public vont s’intéresser aux 1000 à 2000 romans publiés au cours de ces deux rentrées, et à un nombre équivalent d’autres nouveautés – principalement des essais – en dehors de ces deux périodes. On peut considérer que ce corpus constitue la littérature française contemporaine. En France, ces livres vont trouver des lecteurs, susciter des discussions dans les émissions télévisées, les magazines et les dîners. Hors de France, ils vont laisser à peu près tout le monde indifférent

Seule une fraction de cette production sera susceptible d’éveiller la curiosité des éditeurs étrangers et moins d’une dizaine de ces romans paraîtront aux Etats-Unis. »

 

p. 48 : « L’Amérique est le pays d’origine d’un tiers de l’ensemble des traductions vendues en France ».

 

p. 50 : « 27% des livres qui sont publiés dans le monde le sont en anglais, 12% en allemand, et 8% en français. »

 

p. 51 : « plus de 900 prix littéraires sont attribués chaque année en France. » (Comment voulez-vous vous y retrouver ?!)

 

p. 52 : « Le problème tient à la littérature française elle-même, devenue ésotérique, distante du monde réel et donc difficile à exporter. »

 

p. 56 : « L’autofiction est un vaste problème en France, m’avouait François Busnel, directeur éditorial du magazine Lire, en 2007 dans son bureau envahi par les livres. « J’estime que 70% des 727 romans de cette rentrée relèvent de cette démarche. Si la littérature ne doit pas se cantonner à mes problèmes personnels, alors elle devient un exercice ardu, qui implique des recherches, le développement de personnages universels. Mais si je peux raconter une histoire d’amour, mes trajets en métro, ma rupture, alors tout devient plus facile. Avec le structuralisme et le nouveau roman, la littérature est devenue une sorte de thérapie. Si bien que tout le monde estime pouvoir écrire aujourd’hui. » (Il est bien ce Busnel quand même !) « Anne Carrière, directrice de la maison d’édition qui porte son nom, dresse le même constat : « le premier conseil que j’aimerais donner aux jeunes auteurs est : « arrêtez de confier vos misères à la plume », écrivait-elle dans Lire en avril 2007. Les trois quarts des manuscrits que je reçois sont des psychothérapies, non des romans. Et, franchement, vos petits problèmes personnels n’intéressent personne. »

 

p. 65 : (en littérature comme dans le cinéma) : « trop d’emphase intellectuelle, de manque d’action, la priorité est accordée aux relations entre les individus aux dépens des interrogations sociales ou politiques. »

 

p. 103 : « le déclin culturel français a une autre cause : le système scolaire. Naguère réputé pour sa rigueur, il est aujourd’hui sous le feu des critiques. On lui reproche d’accorder la priorité à l’épanouissement individuel aux dépens de l’acquisition des connaissances. »

 

Le souci de la grandeur est une réponse (qui va surtout dans le même sens) du professeur au Collège de France, Antoine Compagnon. Il m’a fait sourire avec ce paragraphe :

 

p. 140 : « de retour à Paris après la bataille, je trouvai dans mon courrier pas mal de lettres – bien plus nombreuses que lorsque je m’exprime dans les journaux sur les universités, la recherche ou l’école - , qui s’en prenaient à ma tribune du Monde. Pour la plupart, les auteurs étaient animés par un antiaméricanisme assez franc, endémique en France. Une de mes phrases les avait spécialement fâchés, celle où, donnant acte à Donald Morrison de l’attrait modeste du roman français contemporain, j’avouais que je lisais « le dernier Philip Roth, Pynchon ou DeLillo plus volontiers que la dernière autofiction germanopratine, facétie minimaliste, ou dictée post-naturaliste. » La moutarde en était montée au nez de mes interlocuteurs, mais c’était surtout l’allusion à Philip Roth qui les avait indignés – je fais l’hypothèse que les deux autres noms ne leur disaient rien- , et ils m’opposaient tel ou tel écrivain français rare, gentil et inoffensif au nom de la défense de la langue française : « je donnerais tous les pavés indigestes de Roth, dont je n’ai jamais pu finir aucun, pour quelques pages touchantes de Paul Maçon sur un crépuscule de Châteauroux », m’écrivait l’un deux. » (C’est sûr qu’avec ça, la littérature française va rayonner hors de nos frontières !)

 

Ceci dit Compagnon ayant un peu moins d’humour sur la longueur que Morrison, son article m’a paru un brin soporifique au final. Pauvres universités françaises laissées à l’abandon, langue française en recul dans le monde, culture liée à l’Etat (subventions) ce qui est un plus grand mal qu’un bien, etc. souvent des redites de Morrison. La culture française n’est pas morte, il faudrait juste qu’elle accepte d’être un peu secouée de temps en temps. Sinon tout le monde ronfle à l’intérieur des frontières, alors à l’extérieur pensez donc, on nous laisse dormir.

(Quel écrivain français aujourd’hui, écrivant en français, a réellement du souffle pour séduire un public international ?)

 

Denoël, septembre 2008, 204 pages, prix : 13 €

Ma note :

Crédit photo couverture : éd. Denoël


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Mon roi - Nicolas Pelletier

24 Janvier 2009, 11:23am

Publié par Laure


Depuis quelques temps déjà, lorsque j’aborde une nouvelle lecture, je ne lis jamais les quatrièmes de couv’ ni les prières d’insérer, j’entre dans le texte, directement.
Et le premier chapitre de ce roi m’a un peu rebutée, un langage haché qui me déplaisait, mais je ne savais pas du tout dans quoi j’allais entrer. Ça ne dure que quelques pages, et très vite on revient en arrière : 1978. Nicolas a 13 ans, il est le fils cadet d’une fratrie de 7, il vit dans un milieu aisé : père Directeur Général d’Indosuez, mère Ministre du gouvernement de Raymond Barre. Ils passent Noël au ski, grande station des Alpes. Leur père les a rejoints, mais il ne sent pas bien, migraineux, fatigué, normal se dit-on avec ce genre de vie très remplie. Et c’est l’accident vasculaire cérébral, l’hémiplégie, l’aphasie, la volonté extraordinaire du père pour s’en sortir et redevenir comme avant. C’est cet après que nous narre l’auteur, avec un détachement suffisant pour ne pas mettre le lecteur trop mal à l’aise. Car dans ce genre de témoignage, que voulez-vous dire ?

Au-delà du récit du quotidien, d’un quotidien qui peut basculer du jour au lendemain et n’être plus jamais comme avant, c’est avant tout une belle déclaration d’amour d’un fils à son père, un fils un peu tenu à l’écart au départ, parce que trop jeune sans doute, mais qui n’a jamais voulu perdre sa complicité et sa relation à son père. Hommage au père, donc, qui a toujours refusé de se laisser abattre ; sentiment de malaise à l’égard de l’épouse qui a du mal à vivre cette nouvelle réalité, et perd souvent patience ou semble dure : c’était peut-être tout simplement trop dur pour elle ; le personnage attachant de la bonne entièrement dévouée à Monsieur, et qui semble apporter de la gaieté à ce monde, quelques passages impudiques sur l’éveil à la sexualité de l’auteur que j’ai d’abord trouvés malvenus mais qui trouvent leur place en se raccrochant habilement au handicap du père…

Le récit d’une bataille contre le sort et d’un sincère amour filial.

 

« Main dans la main, mon père et moi nous sommes forgés un autre monde, une illusion plus précieuse que la vie. » (4ème de couv, lue après, donc !)

 

Monique Pelletier, son épouse, et mère de Nicolas donc, avait déjà écrit un livre sur ce drame :  La ligne brisée, au Seuil, en 1995.

 

L’avis de Cuné

 

Merci à Tatiana pour la recommandation ;-)
 

Fayard, janvier 2009, 311 pages, prix : 17,90 euros

Ma note :



Crédit photo couverture : éditions Fayard

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Comment devenir un brillant écrivain alors que rien (mais rien) ne vous y prédispose – Aloysius Chabossot

11 Décembre 2008, 10:53am

Publié par Laure

Aloysius Chabossot tient un blog a priori pas mal du tout, mais que j’avoue honteusement ne pas lire. Chabossot se présente comme un professeur émérite à la retraite, âgé de 58 ans, binocles et grande barbe grise. C’est bien sûr un canular. Le problème, c’est qu’une fois qu’on a fini ce bouquin, on se demande réellement qui se cache derrière ce pseudo, en tout cas quelqu’un qui connaît à merveille littérature et monde de l’édition.

J’ai triché, j’ai emprunté son livre en bibliothèque municipale : il dit lui-même que ça ne compte pas, il faut l’acheter ! Au début de ma lecture, c’était pas gagné, je trouvais qu’il en faisait un peu trop côté humour. Et puis à vrai dire je ne me sens pas concernée par ce bouquin non plus, puisque je n’écris pas, et ne cherche donc pas à être publiée (je me satisfais très bien d’être lectrice !), mais comme je m’intéresse à la création littéraire et à ses dessous, c’était une curiosité tentante.

Pour ce qui est des règles d’écriture, des conseils pour trouver un éditeur, bref, tout ce qui peut vous aider à réussir votre rêve, je n’ai rien appris, j’ai suivi suffisamment de formations en métiers du livre  pour connaître un peu tout cela. Et puis c’est souvent question de bon sens : si vous écrivez du polar, vous n’allez pas adresser votre manuscrit à un éditeur de poésie, et si vous n’avez jamais lu un livre de votre vie, vous êtes un peu mal barré. En revanche, plus j’avançais dans ma lecture et plus j’y trouvais du plaisir, et ça, c’est la bonne cerise sur le gâteau. Mention particulière pour les deuxième et troisième parties sur les différents genres littéraires et la construction romanesque, qui relèvent davantage de l’analyse et de la critique littéraire, mais en langage clair !

Et puis je l’avoue, je partage les mêmes points de vue que Chabossot du début à la fin, même si on peut finir par considérer comme un peu facile de toujours tirer sur Lévy et Musso. (N’empêche qu’il a raison dans sa façon de le dire et en plus c’est drôle, tout comme l’on voit très vite ses partis pris en matière d’éditeurs, et je ne parle là que des grandes maisons parisiennes connues). Car il ajoute en annexe en fin d’ouvrage un contrat de maison à compte d’auteur, où franchement, il faut le lire pour le croire ! (Rien que pour cela, il faut lire ce bouquin !)

Et puis, et puis… ce qui m’a rendu ce Chabossot sympathique, c’est qu’il semble être copain avec Blondel (Jean-Philippe). Car citer Blondel dans les procédés stylistiques alors qu’il y a sans doute des milliers d’autres exemples,  J , et à la fin, les deux compères déjeunent ensemble, et Chabossot nous en remet une couche sur Blondel et on apprend plein de choses  qui illustrent à merveille le livre : il faut parfois essayer pendant plus de 20 ans avant d’être publié, ce qui, plumitifs en herbe, vous laisse encore le temps de voir venir.

Du coup, on s’interroge vraiment sur l’identité de ce Chabossot. Il est presque né le même jour que Blondel, un an plus tôt : un écrivain ami ? Ce cher Chabossot a donc 45 ans, et non 58 comme il veut nous le faire croire. (Oui je commence à être une lectrice aguerrie et je sais utiliser les ressources à ma disposition !)

Tout ça pour dire qu’au final, cette « méthode Chabossot » (comme le précise le bandeau de couverture) sera sans doute utile à tous les écrivains en devenir et qui y croient, mais qui sont encore peu au fait des pratiques de l’édition, et pour tous les autres comme moi, il offrira un bon moment de lecture, et franchement, mieux vaut lire cette amusante méthode qu’un mauvais roman !

 

Je vous laisse avec le pacte de lecture :

p.87-88 : « Le seul fait d’entreprendre la lecture d’un roman sous-entend de la part du lecteur l’acceptation tacite du pacte que lui propose l’auteur. Que dit ce pacte ?

« L’auteur X s’engage à raconter une histoire au lecteur Z afin de le distraire, l’amuser, l’amener à réfléchir, l’effrayer, l’exciter, l’émouvoir, flatter son sens esthétique (rayer les mentions inutiles, plusieurs réponses sont possibles). De plus, il mettra tout en œuvre pour que le lecteur apporte suffisamment de crédit à cette histoire afin qu’elle soit vraisemblable, dans un univers donné. En échange de quoi, le lecteur Z s’engage à croire ce que lui raconte l’auteur X. »

On le voit, les obligations du lecteur, comparées à celles de l’auteur, sont tout à fait raisonnables. C’est un peu normal : il a payé, il ne va tout de même pas se farcir tout le boulot. Pourtant, bon nombre d’écrivains en devenir ignorent jusqu’à l’existence de ce pacte. En conséquence, ils s’autorisent à raconter n’importe quoi (…) »

 

Ed. Milan, janvier 2008, 265 pages, prix : 14 €

Ma note :



Crédit photo couverture : éd. Milan.

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