Papier froissé - Nadar
Traduit de l’espagnol par Charlotte Le Guen
Hormis la couverture et les dos de couvertures intérieures de couleur bordeaux, ce gros roman graphique (390 pages ! qui se lisent d’une traite) est composé tout de noir, gris et blanc, sobre mais efficace.
Deux personnages alternent dans la narration sans que l’on comprenne le lien qu’il peut y avoir entre eux, seule la révélation finale éclairera le mystère. Car c’est l’histoire d’un lourd secret mais le lecteur ne le sait pas encore.
D’un côté, Javi, un ado de seize ans qui a arrêté les cours pour vivre de petites combines comme venger un camarade violenté, récupérer des affaires volées, moyennant quelques billets. De l’autre, Jorge, un homme mûr qui s’installe à l’hôtel dans une ville où il ne semble avoir aucune attache, et où il prend un job de menuisier dans une scierie. Discret, solitaire, ses collègues n’arrivent pas à percer le mystère de sa vie. Jorge toujours, quelques temps en arrière, à la campagne, où il aide un vieil homme à tenir sa ferme et s’occuper des chevaux. Une amitié naît entre les deux hommes solitaires.
Si au départ les flashbacks ne sont pas évidents, on comprend vite que l’on est à deux époques différentes de la vie d’un même homme, et l’intrigue superbement menée dans sa narration et sa construction graphique pousse à aller de l’avant : pourquoi ce piano qui tombe jusqu’à s’écraser en étapes successives en pleines pages de chapitres ? Quel lien entre ces moments et ces personnages ? quel est ce cauchemar qui hante Jorge ?
Les personnages secondaires, collègues de travail, gérante de l’hôtel, famille de Javi ont tous une importance qui prend forme peu à peu.
La fin est bluffante et éclaire dès lors la citation de Sándor Márai mise en exergue, sur cette première page dans un décor forestier : « Quoi qu’il en soit, aux questions les plus graves, nous répondons, en fin de compte, par notre existence entière. » De même les premières pages de prologue où l’on ne voit pas les visages des personnages prennent tout leur sens à la fin.
Une BD que j’ai énormément aimée, pour son scénario bien conduit, pour l’humanité, la délicatesse et la douce tristesse qui ressortent de quelques scènes, pour son dessin épuré qui traduit bien les émotions et cultive le mystère jusqu’au bout. Une belle réussite.
p. 218 : « Tu sais quoi ? Parfois j’ai l’impression que tout le monde fait de moi ce dont il a envie… comme si j’étais un putain de papier froissé. »
Futuropolis, février 2015, 389 pages, prix : 29 €
Etoiles :
Crédit photo couverture : © Nadar et éd. Futuropolis