Bellevue - Claire Berest
Qu'est-ce qui a conduit Alma aux urgences psychiatriques de Bellevue, alors que tout allait bien dans sa vie entre l'écriture, les cours, et son compagnon Paul ? Qu'est-ce qui a tout fait basculer le jour même de ses 30 ans ? Ce sac poubelle qu'elle lui a demandé de descendre et qu'elle a retrouvé au même endroit quelques heures plus tard ?
L'incipit du roman est percutant. D'emblée j'ai aimé l'écriture de l'auteur et cette alternance entre présent dans la folie et les quarante-huit heures tumultueuses qui ont précédé. Une exploration fascinante de ce moment de bascule dans une vie ordinaire, et qui montre sans fard cette jeunesse désabusée, qui a perdu ses illusions, qui se cherche sans se trouver ou qui pour y parvenir passe par des extrêmes.
Un très bon roman, parfois dérangeant mais qui cache derrière certaines lignes plus crues une belle réflexion tout en profondeur sur l'âge adulte. Et c'est ce mélange des genres qui est particulièrement réussi.
Ce passage, où il est question de Julien Gracq, mais que je relève pour sa pique à l'Education Nationale :
p. 33 (numérique) : « […] l'auteur du Château d'Argol était un homme secret et discret. Aurait-il été taxé d'élitisme aujourd'hui, à l'heure des débats perpétuels sur la réforme scolaire ? Probablement. Quand on n'ose plus soumettre les enfants à des lectures obligatoires de crainte de les violenter, il est amusant de penser à ces ouvrages des éditions José Corti qu'il faut payer au prix fort, et dont il faut découper chaque page à la main avant d'entreprendre la lecture, l'éditeur publiant ce que l'on appelle des livres cousus. »
Cet enchaînement sur la même page :
p. 52 (numérique) : « Cet homme n'a aucune importance, je ne veux retenir ni son nom, ni son âge, ni son effort, ni son âpreté, ni sa bite, ni son goût, je n'ai voulu qu'être son support, et qu'il soit mon support, le temps de me fuir encore un peu, de trouver le rythme de ma fuite.
J'ai toujours imaginé que chacun possède une fenêtre dans la tête, une fenêtre avec vue, mais hermétiquement fermée. Sa seule présence est décisive, car son existence contient de l'autre côté la folie, qui reste alors une idée et un fantasme. Son scellement est le garde-fou indispensable à la normalité. La tenir bien close permet que s'accomplissent les tâches et les plaisirs, et qu'on s’accommode des petites trahisons que coud sur les êtres la fréquentation du quotidien. Il est rassurant qu'elle soit là, car elle rappelle qu'elle peut être ouverte, et même pulvérisée. Elle peut aussi rester fermée, inviter à la simple consultation. La fenêtre offre alors une vue possible, une vue alternative. Qu'elle soit là, c'est avoir le choix. Ouvrir, ne pas ouvrir. C'est primordial. »
p.99 (numérique) : « Je ne peux lire, je ne peux écrire, le Valium est mon début et ma fin, alors je verlainise. »
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- le blog du petit carré jaune
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