Les jardins d'Hélène

Pactum salis - Olivier Bourdeaut

7 Janvier 2018, 17:53pm

Publié par Laure

Deuxième roman d’Olivier Bourdeaut très attendu par la critique après l’énorme succès de En attendant Bojangles, c’est pour moi un avis neuf et sans influence, je n’ai pas lu son précédent titre. Pas de comparaison donc, je ne pourrai dire s’il confirme ou déçoit par rapport à son premier roman.

 

Ce que je sais, c’est que j’ai beaucoup aimé Pactum salis et découvert une plume, avec une vraie touche personnelle et originale.

 

 

Ne vous laissez pas décourager par les trois premières pages très descriptives usant d’un vocabulaire spécifique peu courant, si vous ne travaillez pas dans les marais salants ou n’êtes pas breton, peu de chance que vous connaissiez les ladures, les œillets (qui ici ne sont pas des fleurs), le traict du Croisic, les chevau-légers et les cyanobactéries. Pas de panique, c’est juste le décor planté d’une scène d’ouverture cocasse : Jean, parisien reconverti en paludier guérandais, découvre sur son lieu de travail naturel un corps avachi sur ses tas de sel, et pire, l’homme a osé pisser sur le fruit de son travail. Il est prêt à l’occire d’un coup de pelle mais se reprend. Commence alors une relation rocambolesque avec Michel, agent immobilier ébloui par l’argent et les voitures de luxe, qui noie sa solitude dans l’alcool.

 

Retours en arrière sur la vie de Jean, mais aussi d’Henri, le voisin alcoolique de sa jeunesse si exubérant dans sa verve, et de Michel, trois solitudes qui vont se chahuter.

 

 

Ce que j’ai aimé dans ce roman, c’est d’abord son écriture, un style descriptif aux phrases souvent longues et complexes, au vocabulaire soigné et choisi, qui a pour conséquence de souligner toute l’ironie de la situation. Le lecteur jubile devant l’exubérance des personnages et les envolées lyriques qui les décrivent.

 

Comment ne pas éclater de rire à la démonstration d’Henri qui à l’issue de son manifeste sur le Dédé, le débauché de droite (un passage d’anthologie !) conclut : « le Bobo, c’est intra-muros. Le Dédé, c’est trans-territorial ! » (p. 96) Quel personnage ce Henri.

 

Des nuits d’ivresse mémorables, des scènes de drague pas piquées des vers, et une fin, quelle fin !  De celles où vous revenez en arrière pour être sûr de l’avoir bien comprise, une fin surprenante, fermée et travaillée comme je les aime !

 

Jean et Michel, souvent à l’opposé l’un de l’autre par leur choix et leur comportement, ne seraient-ils pas un peu les deux faces d’une même pièce, un Jean-Michel symptôme d’une certaine solitude et gravité de la vie ?

 

 

Extraits :

p. 23 : « Mickael était un prénom sans passé ni avenir, tout sauf un prénom pour faire carrière, hormis, peut-être, pour percer dans la téléréalité. Il avait donc profité de son installation à Paris pour faire imprimer des cartes de visite avec sa nouvelle identité »

 

p. 185 : ah ! le fameux « falsoculisme parfaitement assumé », il faudra le ressortir quelque part celui-là !

 

Toujours présenté comme une amitié improbable (jusque dans sa quatrième de couverture), je ne l’ai jamais lu comme une histoire d’amitié. Plutôt comme une confrontation permanente, une attirance répulsion insoluble :

 

P. 211 : « Je dirais que je suis heureux de l’isolement que m’offrent mes marais. Je dirais aussi que je ne suis pas mécontent de me frotter aux gens ces derniers temps. C’est le hasard qui a déposé cet énergumène au seuil de mes œillets. J’ai honte de le reconnaître, mais il me fascine. Il m’exaspère et me fascine. Et souvent ces sentiments se superposent. C’est assez étrange. Il m’arrive d’avoir envie de lui envoyer mon poing dans la gueule et pourtant la seconde d’après je suis tenté de l’emmener boire une bière. Je n’ai pas l’impression que cela puisse convenir à la définition de l’amitié. »

 

 

Ce qui me fascine moi, c’est la fantaisie langagière de l’auteur, extrêmement travaillée, qui met le sourire aux lèvres au fil des paragraphes. Quelle plume ! Bourdeaut a une vraie originalité, une « patte » à suivre.

 

 

 

Ed. Finitude, janvier 2018, 252 pages, prix : 18,50 €, ISBN : 978-2-36339-090-5

 

 

 

Crédit photo couverture : © 123RF/Exodus et éd. Finitude

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V
Deux avis lus aujourd'hui et deux avis très différents. Tant mieux, rien de tel pour titiller ma curiosité.
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L
Ahah tu m'intrigues là !
E
Si je me fie à ton billet, tu devrais retrouver la fantaisie que tu as aimée dans le premier roman de l'auteur. Sans avoir détesté, mon ressenti était en demi-teinte, alors je pense que je ne vais pas me précipiter pour celui-ci.
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L
Pour les billets que j'ai lus, Pactum salis serait plus sombre, dans Bojangles, la fantaisie était dans l'histoire (parait-il), là elle est dans le langage / l'écriture (mais c'était peut-être aussi le cas dans le précédent). Je le lirai peut-être un jour, mais j'ai horreur d'enchainer les livres d'un même auteur....
V
Oh, tu me donnes encore plus envie de le découvrir !
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L
à tenter oui vraiment ! (et si tu n'aimes pas tu abandonnes, je ne m'embarrasse plus des livres auxquels je n'accroche pas ou qui m'ennuient en route, mais là, ça ne devrait pas être le cas :-) )<br />
J
ok, je vais te suivre alors, parce que j'ai confiance - j'étais resté un peu perplexe (un peu seulement, mais tout de même) sur le précédent
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L
ah je déteste ça, avoir cette responsabilité si tu n'aimes pas !<br /> Mais pour moi Bourdeaut était une vraie découverte, pas lu Bojangles, y a vraiment qqch dans son style qui me plait.