Les jardins d'Hélène

Les fleurs de l’ombre – Tatiana de Rosnay

30 Mars 2020, 17:59pm

Publié par Laure

Paris, dans un futur proche : la tour Eiffel a été détruite lors d’un attentat, le quartier a été entièrement reconstruit. C’est dans une résidence moderne entièrement neuve et sécurisée que s’installe Clarissa, qui a quitté son compagnon lorsqu’elle a découvert qu’il avait une liaison. Elle qui est ultrasensible à l’histoire des bâtiments, à la mémoire et à l’atmosphère qu’ils dégagent, pense pouvoir commencer une nouvelle vie dans cette résidence sans passé, appartenant au programme CASA réservé aux artistes.

 

Clarissa est écrivain, et tout dans son univers, rend hommage à Virginia Woolf et à Romain Gary, à commencer par son pseudo, « Clarissa Katsef », Clarissa pour Mrs Dalloway et Katsef pour le vrai nom de Gary : Kacev. Dans son appartement ultraconnecté, elle a d’ailleurs nommé son assistant domestique numérique Mrs Dalloway. Tout se commande de la voix. Mais très vite Clarissa se sent épiée et le malaise monte, jusqu’à sombrer dans la paranoïa ? A moins que tout ceci ne soit réel ?

 

Je retrouve Tatiana de Rosnay là où je ne l’attendais absolument pas : la dystopie. Mais une dystopie légère, crédible, qui sème le doute… et où la réflexion sur la création et l’amour reste présente.

 

L'héroïne est attachante, les personnages secondaires sont bien travaillés, et leur histoire donne à imaginer facilement ce que pourrait être le monde dans quelques années, et ce qu’il est déjà en partie d’ailleurs. Sans avoir lu le dernier Ian McEwan (Une machine comme moi, Gallimard 2020) auquel ces Fleurs de l’ombre m’ont fait penser, nul doute que l’intelligence artificielle inspire les écrivains !

 

Un titre plaisant, où l’imaginaire sème le doute : manipulation ou paranoïa ? Et dans quel but ? Qu’ont en commun tous ces résidents hormis d’être des artistes ? Et si même le chat Chablis y est sensible, alors c’est que c’est vrai ? Laissez-vous happer par ces fleurs de l’ombre !

 

 

 

Extraits :

P. 20 (numérique) : « La plupart des gens ne lisaient plus. Elle l’avait remarqué depuis un moment déjà. Ils étaient rivés à leur téléphone, à leur tablette. Les librairies fermaient les unes après les autres. Géomètre de l’intime, son plus grand succès, avait été tellement piraté depuis sa publication qu’il ne lui rapportait presque plus de droits d’auteur. D’un clic, on pouvait le télécharger, dans n’importe quelle langue. Au début, Clarissa avait tenté d’alerter son éditeur, mais elle s’était rendu compte que les éditeurs étaient démunis contre le piratage. Ils avaient d’autres angoisses. Ils faisaient face à ce problème encore plus inquiétant qu’elle voyait se propager comme une tumeur sournoise : la désaffection à l’égard de la lecture. Non, les livres ne faisaient plus rêver. On les achetait de moins en moins. La place phénoménale qu’avaient grignotée les réseaux sociaux dans la vie quotidienne de tout un chacun était certainement une des causes de cet abandon. »

 

 

p. 118 (numérique) : « Vos livres, leur réception, c’est chouette.

- Merci. Sauf que le public boude la lecture.

- Je sais, dit-il. Les gens prennent des jolies photos de livres, balancent ça sur les réseaux sociaux avec les bons hashtags, mais personne ne lit. Ou très peu. Les livres sont devenus des objets de décoration. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ed. Robert Laffont / Héloïse d’Ormesson, mars 2020, 329 pages, prix : 21,50 €

 

 

 

Crédit photo couverture : © Helen Crawford et éd. Robert Laffont / Héloïse d’Ormesson

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