Les jardins d'Hélène

En finir avec Eddy Bellegueule - Édouard Louis

18 Avril 2014, 15:47pm

Publié par Laure

Eddy grandit dans une famille ouvrière qui vit de peu, dans un petit village picard. Son père a la main portée sur la boisson, sa mère trime à s’occuper de la fratrie. Très vite, Eddy devient le souffre-douleur de deux élèves du collège (et d’autres !) car il n’est pas comme tout le monde : un peu trop efféminé aux yeux de certains. Il sera victime ainsi toute son enfance et toute son adolescence de moqueries et de violences, y compris de sa propre famille, à l’encontre de son homosexualité présupposée, dans un milieu où il faut être « comme tout le monde ».

 

C’est une description posée d’un monde rural où pauvreté sociale et intellectuelle se côtoient, où néanmoins le courage et la fierté des ouvriers s’affirment et cette réalité peut faire frémir, elle est pourtant bien juste. Elle n’a rien de propre au Nord de la France non plus : des familles telles que les décrit l’auteur, j’en vois beaucoup autour de moi, de par mes engagements professionnels, associatifs et personnels. Je ne suis donc pas d’accord avec les avis lus ici ou là de ceux qui disent « c’est bourré de clichés, c’est exagéré, c’est répétitif, il en rajoute. » J’ai envie de dire : si seulement ce n’était pas vrai ! Mais c’est la vie, telle qu’elle est aussi, parfois pas bien loin de chez soi, et qu’il faut accepter de voir. Bien sûr il ne faut pas raccourcir non plus en pensant que tous les gens de la campagne sont comme cela (et à aucun moment il ne le laisse entendre), mais sa réalité (de classe sociale) existe, dans ses actes violents, rustres, et parfois insoutenables. (La scène de la fausse-couche est pour moi la plus insupportable du roman).

 

L’intérêt que pose ce roman est bien sûr la question du déterminisme social. Peut-on sortir d’un tel milieu, jusqu’où l’éducation reçue vous conditionne-t-elle ? Comment peut-on définir la sexualité de quelqu’un à un âge où cette personne ne connaît même pas encore le désir ?

 

Édouard Louis ne cache pas l’aspect autobiographique de son récit, il ne juge pas et n’est pas dénué d’amour non plus pour ses « parents » fictionnels, simplement il aspire à sortir de ce milieu social et à ne plus rien avoir à faire avec eux.

 

Le regret que l’on peut avoir, c’est qu’à avoir tant vu son auteur intervenir sur les chaînes de télévision et de radio, à avoir lu et entendu tant de critiques déjà – et polémiques - , on peut avoir le sentiment de ne plus rien avoir à découvrir en le lisant. Composé de deux parties, inégales en longueur, l’avant et l’après sexualité, l’écriture est simple mais travaillée, posée, alternant en italique les propos au ton authentique des autres. Il ne se sent pas de ce monde-là, et vient un moment où seule la fuite peut l’en libérer : le lycée et le théâtre l’en sauveront. (Le livre s’achève là mais l’on sait ensuite son parcours d’étudiant en sociologie à l’ENS, son ouvrage sur Bourdieu et son engagement en littérature en lien avec la politique et la sociologie.)

 

p. 163 : « Le crime n’est pas de faire, mais d’être. Et surtout d’avoir l’air. »

 

Édouard Louis : article Wikipédia

 

Seuil, janvier 2014, 219 pages, prix : 17 €

Etoiles :

Crédit photo couverture : éd. du Seuil

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F
Avant de le lire, je n'avais vu l'auteur que dans LGL. C'est certainement pour cette raison que je ne me suis pas ennuyée en lisant le roman. Je n'ai pas eu ce sentiment d'avoir déjà tout entendu le concernant.
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C
je me rends compte à la lecture de ta très juste chronique que quand je l'ai lu toute la médiatisation et les polémiques avaient pesé dans mon ressenti. Comme mon vécu car il n'y a rien de très glorieux à écrire que soi-même on a en entendu des remarques racistes ou sur l'homosexualité ( et d'autres choses) à en avoir honte et à serrer les dents et à acquérir cette volonté de s'accrocher au bac le sésame pour les études supérieurs. On ne choisit pas ses parents, ni l'endroit où l'on passe son enfance et son adolescence mais la suite de sa vie : si. Je le relirai maintenant je dirai à Edouard Louis : tu t'en es sorti toi aussi...
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C
J'ai lu le livre d'Eribon et il m'avait passionnée !! (mais je crois que je ne l'ai pas chroniqué)
J
merci<br /> jp
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L
j'ai envie de lire Eribon maintenant !
E
Bravo !<br /> Très bel article sur ce roman dont l'intérêt est, comme tu le dis si bien, la question du déterminisme social mais qui a malheureusement été entaché par la surenchère médiatique.
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L
c'est son parcours qui est intéressant aussi, comment à un moment donné pour continuer à vivre il faut rompre avec son milieu, mais pour un qui y parvient, combien restent dans le schéma et le reproduisent .....
S
Je le lirai certainement. C'est fou ce que les avis sont divergents sur ce livre.
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L
Je n'ai pas trop suivi les avis récents j'avoue, mais il faut se détacher de la polémique ambiante lue dans la presse hebdo et ne s'attacher qu'au texte. Après on aime ou on aime pas, pour telle ou telle raison, mais je trouve qu'il mérite lecture pour ce qu'il interroge de notre société et pas si ancienne (années 1990-2000)
C
Tu as raison, on a l'impression de l'avoir déjà lu... ;-)
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L
pendant ma lecture je me disais &quot;oui mais bon, tout cela on l'a déjà entendu dans les interviews&quot;, et puis un rapport intime lecteur/écriture s'inscrit au fil du texte, ça valait le coup quand même :-)
N
Plus ça va et moins j'ai envie de le lire... et pourtant au départ j'étais plutôt partante...
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L
parce que trop vu et revu ou parce que le contenu est trop sombre ? (ou les deux ?!) ;-)
U
Je l'ai arrêté en cours de route moi...nausée !
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L
Je comprends, c'est une réaction que de nombreux autres lecteurs ont eu aussi. (ou qui ne veulent pas le lire car pas envie de lire des faits &quot;durs à supporter&quot;) Mais j'aime au contraire que la littérature m'interpelle aussi sur le monde qui m'entoure, et sa réalité, même si elle n'est pas belle à voir...