Les jardins d'Hélène

Je suis morte et je n'ai rien appris - Solenn Colléter

6 Novembre 2007, 21:30pm

Publié par Laure

solleter.jpgJ’ai vécu cette lecture de façon exceptionnelle, et il y a longtemps qu’un roman ne m’avait pas autant « chamboulée ». Pour en garder le souvenir, je laisse intact mon parcours. Exceptionnellement, il n’y aura pas de résumé, juste de l’affect :

 

Vendredi 02 novembre, 23h30. Je viens de lire 135 pages du premier roman de Solenn Colléter. Je ne peux pas dormir. Un besoin irrépressible de prendre l’air. Je savais que ce livre dénonçait le bizutage et c’est en ce sens que je voulais le lire, espérant un engagement fort (contre, évidemment). Je me répète depuis les premières pages que c’est un roman, une fiction, ce n’est pas la réalité, Laure, reprends-toi, même si hélas c’est trop proche de la réalité, de tous ces dérapages lus dans les journaux, ça ne peut pas être vrai, ce n’est pas un témoignage, Laure, c’est un roman, une fiction.

Je me martèle ces mots dans le crâne depuis 135 pages. J’ai un besoin physique et nerveux d’aller lire la fin tout de suite, je veux croire au happy end, il faut que je sache tout de suite que justice sera faite. Je lis quelques pages de la fin en diagonale. Je reste sans mots, effondrée, tétanisée, je veux hurler ma rage, j’écris à chaud. Arrête ton film, Laure, c’est un roman, rien qu’un roman. Tu sais, une histoire inventée. C’est marqué sur la couverture : ROMAN. Je sais déjà que je serai incapable de parler de ce livre. Je ressasse sans fin les mots : roman, fiction, pas vrai. Je suis consciente de mon ridicule mais je ne peux pas faire autrement. Ah elle est forte cette Solenn, regarde ce qu’elle est en train de faire de toi avec son ROMAN, sa petite histoire. Tu marches pas, tu cours ! C’est pathétique. Reprends tes esprits ma vieille, regarde Mosquito dormir, change de bouquin, arrête cette horreur.

Déjà tu sais que tu le mettras au premier rang de ton best of annuel, cette petite tradition bloguesque, parce que seuls les livres qui te secouent à ce point le méritent. Arrête ton film, Laure, c’est un roman. Relis le commentaire posé de Cuné, est-ce qu’elle est devenue folle, elle, à la lecture de ce livre ? Non.

Quitte à ne pas dormir, autant rouvrir le livre. Reprendre à la page 136. Je suis maso. Je hais soudain la littérature et ma sensibilité risible. 
 

            1 h du matin. Prendre de la distance avec le texte. Se dire que l’auteur a volontairement accumulé tous les extrêmes de ces conneries. Malgré tout, ce sentiment de malaise qui enfle : se sentir abjectement voyeuse de toutes ces abominations, les lire sans rien faire. Non vraiment, je ne peux plus lire ce livre. Page 212, l’insoutenable est franchi.

 

Savoir qu’hélas tous ces faits existent. Faut-il alors applaudir ce livre pour son courage de dénonciation (et sa force narrative ?) ou se réfugier derrière la violence d’une fiction artificiellement construite ? S’interroger sur la manipulation du lecteur ? C’est la première fois que j’ai cette répulsion pour un livre. Sans fascination malsaine pour autant. Mais ce qu’il décrit me révulse et me met hors de moi. Se dire que l’auteur a pris l’ensemble des pires dérapages de bizutage et les a assemblés en une seule histoire ? Malaise. Mal à l’aise. Ouvrir la fenêtre en grand et respirer les zéro degrés de la nuit.

 

Samedi 03 novembre, 23h.

Une journée loin de la maison ne m’a pas permis de lire avant ce soir. Je viens de finir le roman de Solenn Colléter, et à présent je souris franchement. D’avoir été si bien menée en bateau. Car la dernière partie est franchement romanesque, au sens d’une construction de l’intrigue purement fabriquée, pour le bien fondé du suspens et la logique de l’histoire. Je ris aussi parce que le hasard a voulu que les passages de la fin que j’avais lus avec anticipation m’ont confortée dans l’hypothèse que je m’étais forgée, alors qu’il en était tout autre ! L’auteur m’a manipulée, m’a conduite exactement là où elle voulait que j’aille, pour finalement me montrer qu’elle s’était jouée de moi, et ça, c’est tout bonnement du génie, mes braves gens. Et pour tout dire, j’adore ça. Certes la fin est moins réaliste, plus « fabriquée », proche du polar, trop d’éléments forts qui finalement annulent (un tout petit peu) l’ensemble, c’est bien alors un ROMAN, mais quel ROMAN, grands dieux ! et un PREMIER roman !

Je me suis fait avoir, et franchement, j’ai adoré ça. Merci, Solenn…

result.png

 

L’avis de Stéphanie 
 

Albin Michel, août 2007, 359 pages, prix : 19,50 €

Ma note : 19/20 (soyons fous, Philippe ;-))

Crédit photo couverture : éd. Albin Michel et Amazon.fr

Commenter cet article
A
Je suis un peu dépitée et jalouse: ce roman ne m'a pas offert les sensations que tu as reçu.6 mois après ta lecture, son souvenir est-il encore vivace?J'espère que tu as réussi à te reposer ce WE ;-(
Répondre
L
<br /> oui, vraiment, c'est un des rares livres dont je me souvienne vraiment.<br /> Je vais mieux, mais j'ai refilé le virus à fiston qui a passé son dimanche au lit, entre paracétamol et ibuprofène :-(<br /> <br /> <br />
S
Bonjour Laure,Je suis désolée de ne pouvoir répondre plus longuement, je suis entre deux trains, j'extirpe de ma valise les vêtements sales pour en mettre des propres à la place, je dois sauter dans le taxi...Malgré tout, je viens de découvrir ce commentaire de mon roman et je dois avouer que ce genre d'opinion fait immensément plaisir à un jeune auteur. Aussi tenais-je à te remercier d'être autant entrée dans cette histoire... et de t'être aussi gentiment laissé manipuler !J'avais déjà lu les commentaires de Cuné et de Stéphanie, déjà dithyrambiques à mon goût, à une période où je n'osais pas encore écrire sur les blogs. Je n'ai donc jamais eu l'occasion de les remercier, elles. Voilà, si elles repassent par-là, c'est chose faite. (En plus je voulais écrire à Stéphanie pour parler de bookcrossing mais je n'ai jamais trouvé les 5 minutes nécessaires). Vous savez quoi, toutes les trois ? Avoir des lectrices comme vous, ça récompense de tous les sacrifices, ça apaise les doutes les plus brûlants. Merci encore.
Répondre
L
A mon tour d'être touchée, ce sont ces petits mots en retour qui ajoutent encore un peu au bonheur de nos lectures !
F
Waouh, tu transmets à travers cet article une tension qui fait frémir, moi qui ne savais pas trop quoi en penser, maintenant je suis avertie du risque de nuit blanche, si j'ose m'aventurer dans cette histoire !
Répondre
V
Avec un tel post, on n'a qu'une envie: aller découvrir de toute urgence ce fameux roman! Biz
Répondre
S
quel commentaire :)) et surtout quel livre!suis en tous cas, vraiment heureuse de lire que tu l'as autant aimé. comme toi, cela sera certainement mon top coup de coeur de l'année :)
Répondre
A
Ouahhhhh! Quel post !!!!!! Je dois avoir en moi, une espèce de curiosté malsaine, parce que là je n'ai qu'une envie LE LIRE!
Répondre
T
Superbe billet, très prenant ! Il faudra bien que je lise ce roman !
Répondre
P
Je me posais beaucoup de questions sur ce livres et me demandais s'il était bine... Tu as levé mes doutes ! On dit merci qui ? Merci Laure !
Répondre
G
Ouf, j'hésite.. je ne sais pas si je suis capable de lire un tel livre. Bon, je le note, on verra
Répondre
C
Oui, excellent billet, Laure, qui nous fait vivre en même temps que toi les remous de cette lecture. Je ne suis pas "devenue folle" en lisant ce très bon roman, mais je l'ai déchiqueté en une après-midi, clouée sur mon siège sans remuer un cil. Le soir même j'ai appelé fiston aux Etats-Unis en lui demandant de me re-raconter son week-end d'intégration, et en posant mille questions, du genre "tu jures que tu ne caches rien ?" etc. Ca remue les tripes, c'est hyper fort, et c'est très bien écrit, c'est vrai, vrai et encore vrai !Mais je suis triste que tu trouves mon commentaire zozone  "posé", bouh, je n'aime pas ce mot. J'étais très enthousiaste, même si je n'ai pas réussi à bien le faire passer.
Répondre
L
Mais non, mais par "posé" je voulais dire moins délirante que moi. Ce bouquin m'a vraiment un effet bizarre : malade et en même temps on s'accroche bien sûr, on sait qu'on ira au bout, qu'on ne peut pas le lâcher, et pourtant c'est tellement terrible que parfois c'est une vraie répulsion... Bref, excellent roman !