Je suis morte et je n'ai rien appris - Solenn Colléter
J’ai vécu cette lecture de façon exceptionnelle, et il y a longtemps qu’un roman ne m’avait pas autant « chamboulée ». Pour en garder le souvenir, je laisse intact mon parcours. Exceptionnellement, il n’y aura pas de résumé, juste de l’affect :
Vendredi 02 novembre, 23h30. Je viens de lire 135 pages du premier roman de Solenn Colléter. Je ne peux pas dormir. Un besoin irrépressible de prendre l’air. Je savais que ce livre dénonçait le bizutage et c’est en ce sens que je voulais le lire, espérant un engagement fort (contre, évidemment). Je me répète depuis les premières pages que c’est un roman, une fiction, ce n’est pas la réalité, Laure, reprends-toi, même si hélas c’est trop proche de la réalité, de tous ces dérapages lus dans les journaux, ça ne peut pas être vrai, ce n’est pas un témoignage, Laure, c’est un roman, une fiction.
Je me martèle ces mots dans le crâne depuis 135 pages. J’ai un besoin physique et nerveux d’aller lire la fin tout de suite, je veux croire au happy end, il faut que je sache tout de suite que justice sera faite. Je lis quelques pages de la fin en diagonale. Je reste sans mots, effondrée, tétanisée, je veux hurler ma rage, j’écris à chaud. Arrête ton film, Laure, c’est un roman, rien qu’un roman. Tu sais, une histoire inventée. C’est marqué sur la couverture : ROMAN. Je sais déjà que je serai incapable de parler de ce livre. Je ressasse sans fin les mots : roman, fiction, pas vrai. Je suis consciente de mon ridicule mais je ne peux pas faire autrement. Ah elle est forte cette Solenn, regarde ce qu’elle est en train de faire de toi avec son ROMAN, sa petite histoire. Tu marches pas, tu cours ! C’est pathétique. Reprends tes esprits ma vieille, regarde Mosquito dormir, change de bouquin, arrête cette horreur.
Déjà tu sais que tu le mettras au premier rang de ton best of annuel, cette petite tradition bloguesque, parce que seuls les livres qui te secouent à ce point le méritent. Arrête ton film, Laure, c’est un roman. Relis le commentaire posé de Cuné, est-ce qu’elle est devenue folle, elle, à la lecture de ce livre ? Non.
Quitte à ne pas dormir, autant rouvrir le livre. Reprendre à la page 136. Je suis
maso. Je hais soudain la littérature et ma sensibilité risible.
1 h du matin. Prendre de la distance avec le texte. Se dire que l’auteur a volontairement accumulé tous les extrêmes de ces conneries. Malgré tout, ce sentiment de malaise qui enfle : se sentir abjectement voyeuse de toutes ces abominations, les lire sans rien faire. Non vraiment, je ne peux plus lire ce livre. Page 212, l’insoutenable est franchi.
Savoir qu’hélas tous ces faits existent. Faut-il alors applaudir ce livre pour son courage de dénonciation (et sa force narrative ?) ou se réfugier derrière la violence d’une fiction artificiellement construite ? S’interroger sur la manipulation du lecteur ? C’est la première fois que j’ai cette répulsion pour un livre. Sans fascination malsaine pour autant. Mais ce qu’il décrit me révulse et me met hors de moi. Se dire que l’auteur a pris l’ensemble des pires dérapages de bizutage et les a assemblés en une seule histoire ? Malaise. Mal à l’aise. Ouvrir la fenêtre en grand et respirer les zéro degrés de la nuit.
Samedi 03 novembre, 23h.
Une journée loin de la maison ne m’a pas permis de lire avant ce soir. Je viens de finir le roman de Solenn Colléter, et à présent je souris franchement. D’avoir été si bien menée en bateau. Car la dernière partie est franchement romanesque, au sens d’une construction de l’intrigue purement fabriquée, pour le bien fondé du suspens et la logique de l’histoire. Je ris aussi parce que le hasard a voulu que les passages de la fin que j’avais lus avec anticipation m’ont confortée dans l’hypothèse que je m’étais forgée, alors qu’il en était tout autre ! L’auteur m’a manipulée, m’a conduite exactement là où elle voulait que j’aille, pour finalement me montrer qu’elle s’était jouée de moi, et ça, c’est tout bonnement du génie, mes braves gens. Et pour tout dire, j’adore ça. Certes la fin est moins réaliste, plus « fabriquée », proche du polar, trop d’éléments forts qui finalement annulent (un tout petit peu) l’ensemble, c’est bien alors un ROMAN, mais quel ROMAN, grands dieux ! et un PREMIER roman !
Je me suis fait avoir, et franchement, j’ai adoré ça. Merci, Solenn…
L’avis de Stéphanie
Albin Michel, août 2007, 359 pages, prix : 19,50 €
Ma note : 19/20 (soyons fous, Philippe ;-))
Crédit photo couverture : éd. Albin Michel et Amazon.fr