Sentiment mitigé sur cette lecture. J’ai été
constamment partagée entre l’envie d’abandonner et l’entrain malgré tout de certains passages. Je suis allée au bout, je l’avoue, uniquement par la motivation du titre, curieuse de ce que
pouvait être ce crime que je ne voyais pas encore. D’ailleurs sur ce point précis, la réponse qui ne parvient qu’en avant-dernière phrase du roman, est intéressante.
Pour revenir rapidement sur l’histoire : Marianne Raevens, graphiste au chômage qui jusqu’à présent menait une vie confortable,
retrouve à l’enterrement de sa tante, une cousine perdue de vue depuis longtemps. Martine est à l’antipode de Marianne, faisant partie de ces petites gens au quotidien aussi terrible que
fataliste : violence conjugale, ravages de l’alcoolisme, etc.
Marianne va se rapprocher peu à peu de Martine, dans l’idée d’écrire un livre sur elle et plus largement sur sa famille, tant sidérée
que fascinée par ce qu’elle voit et entend. Au fil du récit, on sent la chute de Marianne qui n’est finalement peut-être pas si éloignée de cette misère sociale. La construction en deux grandes
parties (Martine / la tante Biquette) qui forment une boucle partant et aboutissant à l’enterrement de la tante est intéressante.
Pourquoi ça n’a que moyennement fonctionné sur moi : la misère sociale et intellectuelle, si
elle est très bien décrite, dans toute sa violence ordinaire et la répulsion qu’elle produit sur le lecteur, n’est pas nouvelle. D’autres l’ont déjà (très bien) fait, et je pense notamment aux
romans de Patrice Juiff (Frère et soeur, Kathy). Il m’est arrivé régulièrement de trouver dès
lors ce roman bavard, n’offrant au final que trop de variations sur le même thème, alors qu’on en avait déjà bien compris le sel. (Il faut dire que je sortais de la lecture de Vie animale, de Justin Torres, qui décrit un même univers sordide avec un art de l’ellipse assez
remarquable !)
Je suis allée au bout, par curiosité du titre, m’interrogeant sur le rôle de Marianne. Si le roman fournit une réponse, je reste
toutefois mitigée sur l’ensemble, qui ne propose rien d’exceptionnel et aurait mérité, à mon goût, davantage de sobriété dans l’écriture pour en accroitre la force.
Un passage sur l’écriture que j’aurais aimé voir développé plus loin mais qui reste unique :
p. 29 : « Noter discrètement, et
travestir mon écriture pour que ses yeux ne balaient pas la feuille, ne décèlent pas les horreurs que je suis en train de noter. Elle aurait peine à croire que ce sont ses propres mots.
L’écriture transforme, de toute façon. Qu’elle transforme des faits réels ou imaginaires, c’est la même chose ; elle donne valeur de vérité. Et cette vérité-là, je ne suis pas certaine que
Martine en veuille, malgré ses bonnes intentions. »
p. 108 : « Je mets à distance les
plaies raccommodées à la va-vite par des chirurgiens urgentistes, je n’ai pas demandé à voir, je suis presque furieuse de devoir assister au spectacle clownesque d’un corps martyrisé à outrance.
Sous chaque boursouflure, je lis l’alcool. Ses membres son dos son ventre sont une carte des vins, du pastis, de la bière. L’alcool qui casse les os. Comment s’est arrivé ? Qui a provoqué
qui ? Martine est une femme, c’est elle qui a encaissé, d’où les côtes, le tibia, le fémur, le poignet, l’épaule et tout ce qui s’ensuit. Les coups ont plu, même Lucien, le gentil Lucien, le
Lucien qui lui a sauvé la vie. Oui, m’avoue Martine quand je lui pose la question, lui aussi. »
p. 119 : « Arrivent les larmes,
séchées par le Sopalin que Martine replie pour ne pas gaspiller et qu’elle repose sur la pile, s’ensuit un énième verre de vin blanc coupé à l’eau, viennent les larmes qui épongent la peine. Je
suis déchirée, Martine me déchire, et elle est forte au point qu’elle me fait douter de qui je suis vraiment. Je n’ai ressenti cet effondrement devant personne d’autre. Ma cousine m’empoisonne,
me guette et me surprend. Le même sang coule dans nos veines, le même poison, la même saloperie d’exister. »
Gallimard, janvier 2012, 233 pages, prix : 17,90
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