Les jardins d'Hélène

La randonnée - Christophe Léon

31 Mars 2012, 15:00pm

Publié par Laure

la-randonnee.jpgCinq adolescents, trois filles et deux garçons, que l’on sent un peu en rupture avec la vie, la famille ou la société (on n’en saura guère plus) partent en randonnée dans les Pyrénées avec leur éducateur, Jeff. Renouer avec la nature, marcher, se laver dans les torrents, camper, devrait permettre de resserrer les liens. A la descente du mini-bus, Jeff scotche les clés sur une roue arrière. On sent les précautions prises « au cas où » il y aurait un problème. Et dès lors en effet, rien ne se passera comme prévu.

Le lecteur va sentir monter l’angoisse lentement, non pas au sein du groupe, mais dans cette nature en apparence déserte : des bruits, des coups de feu, une présence invisible mais peu rassurante. Jeff va chercher à en savoir plus, mais son absence dure bien trop longtemps. Les jeunes vont devoir agir seuls…

Tout va crescendo jusqu’à un final aussi brutal qu’horrifique, qui pourtant suggère bien plus qu’il ne dit (et c’est là tout son talent !) mais qui laisse le lecteur dans une telle solitude face au texte qu’il est difficile de passer à autre chose sans avoir envie d’en discuter. Même si c’est un choc que l’on peut pressentir, il arrive quand même comme un coup de poing.

Une littérature efficace et qui frappe, ce n’est peut-être pas mon titre préféré de Christophe Léon (dont je n’ai pas encore tout lu non plus !) mais j’aime les univers (obsédants ?) qu’il crée.

 

Sur ce blog, du même auteur voir aussi :

Délit de fuite

 

 Et plus ancien ici :

Tu t’appelles Amandine Keddha

 

Ed. Thierry Magnier, « achevé d’imprimer face au grizzli » en janvier 2012, (oui il faut toujours lire les achevés d’imprimer de chez Thierry Magnier, ils le méritent), 115 pages, prix : 8,20 €

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Crédit photo couverture : © Séverin Millet et éd. Th. Magnier

 

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Les raisons de mon crime - Nathalie Kuperman

22 Mars 2012, 10:09am

Publié par Laure

raisons-de-mon-crime.jpgSentiment mitigé sur cette lecture. J’ai été constamment partagée entre l’envie d’abandonner et l’entrain malgré tout de certains passages. Je suis allée au bout, je l’avoue, uniquement par la motivation du titre, curieuse de ce que pouvait être ce crime que je ne voyais pas encore. D’ailleurs sur ce point précis, la réponse qui ne parvient qu’en avant-dernière phrase du roman, est intéressante.

Pour revenir rapidement sur l’histoire : Marianne Raevens, graphiste au chômage qui jusqu’à présent menait une vie confortable, retrouve à l’enterrement de sa tante, une cousine perdue de vue depuis longtemps. Martine est à l’antipode de Marianne, faisant partie de ces petites gens au quotidien aussi terrible que fataliste : violence conjugale, ravages de l’alcoolisme, etc.

Marianne va se rapprocher peu à peu de Martine, dans l’idée d’écrire un livre sur elle et plus largement sur sa famille, tant sidérée que fascinée par ce qu’elle voit et entend. Au fil du récit, on sent la chute de Marianne qui n’est finalement peut-être pas si éloignée de cette misère sociale. La construction en deux grandes parties (Martine / la tante Biquette) qui forment une boucle partant et aboutissant à l’enterrement de la tante est intéressante.

Pourquoi ça n’a que moyennement fonctionné sur moi : la misère sociale et intellectuelle, si elle est très bien décrite, dans toute sa violence ordinaire et la répulsion qu’elle produit sur le lecteur, n’est pas nouvelle. D’autres l’ont déjà (très bien) fait, et je pense notamment aux romans de Patrice Juiff (Frère et soeur, Kathy). Il m’est arrivé régulièrement de trouver dès lors ce roman bavard, n’offrant au final que trop de variations sur le même thème, alors qu’on en avait déjà bien compris le sel. (Il faut dire que je sortais de la lecture de Vie animale, de Justin Torres, qui décrit un même univers sordide avec un art de l’ellipse assez remarquable !)

Je suis allée au bout, par curiosité du titre, m’interrogeant sur le rôle de Marianne. Si le roman fournit une réponse, je reste toutefois mitigée sur l’ensemble, qui ne propose rien d’exceptionnel et aurait mérité, à mon goût, davantage de sobriété dans l’écriture pour en accroitre la force.

 

Un passage sur l’écriture que j’aurais aimé voir développé plus loin mais qui reste unique :

p. 29 : « Noter discrètement, et travestir mon écriture pour que ses yeux ne balaient pas la feuille, ne décèlent pas les horreurs que je suis en train de noter. Elle aurait peine à croire que ce sont ses propres mots. L’écriture transforme, de toute façon. Qu’elle transforme des faits réels ou imaginaires, c’est la même chose ; elle donne valeur de vérité. Et cette vérité-là, je ne suis pas certaine que Martine en veuille, malgré ses bonnes intentions. »

 

p. 108 : « Je mets à distance les plaies raccommodées à la va-vite par des chirurgiens urgentistes, je n’ai pas demandé à voir, je suis presque furieuse de devoir assister au spectacle clownesque d’un corps martyrisé à outrance. Sous chaque boursouflure, je lis l’alcool. Ses membres son dos son ventre sont une carte des vins, du pastis, de la bière. L’alcool qui casse les os. Comment s’est arrivé ? Qui a provoqué qui ? Martine est une femme, c’est elle qui a encaissé, d’où les côtes, le tibia, le fémur, le poignet, l’épaule et tout ce qui s’ensuit. Les coups ont plu, même Lucien, le gentil Lucien, le Lucien qui lui a sauvé la vie. Oui, m’avoue Martine quand je lui pose la question, lui aussi. »

 

p. 119 : « Arrivent les larmes, séchées par le Sopalin que Martine replie pour ne pas gaspiller et qu’elle repose sur la pile, s’ensuit un énième verre de vin blanc coupé à l’eau, viennent les larmes qui épongent la peine. Je suis déchirée, Martine me déchire, et elle est forte au point qu’elle me fait douter de qui je suis vraiment. Je n’ai ressenti cet effondrement devant personne d’autre. Ma cousine m’empoisonne, me guette et me surprend. Le même sang coule dans nos veines, le même poison, la même saloperie d’exister. »

 

Gallimard, janvier 2012, 233 pages, prix : 17,90 €

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Crédit photo couverture : © éd. Gallimard

 

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Bref, ...

15 Mars 2012, 20:32pm

Publié par Laure

Oui je sais, ça fait le tour de la toile, vous l'avez donc sans doute déjà vu , mais... les lunettes et le chignon quoi !

 

 

 

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Vie animale - Justin Torres

14 Mars 2012, 15:07pm

Publié par Laure

Traduit de l’américain par Laetitia Devaux

 

vie-animale.jpgIls sont trois frères qu’à peine trois années séparent, le narrateur dont on ne connaît pas le prénom au début de l’histoire, alors âgé de 7 ans, et ses aînés, Manny, 10 ans, et Joel 8 ans.

Ils crèvent de faim et vivent comme ils peuvent entre Paps et Ma, leurs parents complètement paumés, sans le sou, qui les ont eus bien trop jeunes (à l’âge de 14 et 16 ans). Par courts chapitres et avec une économie de moyens remarquable, l’auteur relate des épisodes de leur vie, entre violence et amour malgré tout. On les voit grandir unis dans cette fratrie, régulièrement battus, malmenés, et pourtant, malgré les pires horreurs, une tendresse est omniprésente dans cette curieuse famille. Ils évoluent entre cris et misère, dans ce qui leur semble être la normalité de la vie, et toujours unis.  Seul le petit dernier semble gagner son libre arbitre, affirmer avec l’âge sa différence, sa fragilité, sa volonté de s’élever (il aime les livres, pensez donc), toutes choses qu’il paiera cher, car la fin, inattendue, est aussi superbe qu’effrayante.

Le premier roman très prometteur d’un jeune écrivain à surveiller, par sa capacité à dire tant en si peu de pages de la nature humaine qui parfois, n’est pas si loin de la vie animale, sauvage et rustre.

 

L’Olivier, janvier 2012, 141 pages, prix : 18 €

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Crédit photo couverture : © Mike Nowak et éd. de l’Olivier.

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Je tue les enfants français dans les jardins - Marie Neuser

4 Mars 2012, 13:39pm

Publié par Laure

 

je-tue-les-enfants-francais.jpgça y est, je l'ai mon premier vrai frémissement de l'année 2012, le coup de poing à l'estomac d'un livre pas déjà lu cent fois. Écrire un tel roman, il fallait l'oser, et tout autant pour l'éditeur, oser le publier. Sur un sujet aussi sensible que la violence scolaire et l'impuissance des enseignants, il faut s'attendre à ce que le débat soit virulent, et que la polémique enfle. On s'éloigne du politiquement correct, on reprochera que ce sont toujours les mêmes populations qui sont stigmatisées. On tempèrera la discussion en répondant que « c'est un roman, une fiction ! » Oui mais une fiction aux accents si réalistes qu'on en a parfois froid dans le dos.

Lisa Genovesi est prof d'italien dans un collège sensible de Marseille. La ville n'est jamais nommée mais les indices sont parlants. Dans sa classe de 3ème2, Malik et Adrami font la loi, caïds légitimés par tous. Lisa part de chez elle la peur au ventre, elle sait qu'elle affrontera les insultes, les crachats, le chahut et que son cours ne sera qu'un leurre qui aura au mieux des allures de garderie. L'administration tout aussi impuissante (surtout ne pas faire de vagues) ne la soutient pas. Lisa repense à son père, son modèle qui l'a guidée malgré lui vers ce métier. Au chapitre 25, pivot du livre, ce père déclare : « Je ne trouve pas de solution. Je cherche, mais je ne trouve pas. »

Dès lors, la peur se mue en colère, la haine tapie se déchaîne, jusqu'à une fin que l'on pressent, noire. Roman noir, dérangeant, frappant, qui use en permanence de la comparaison du propre et du sale. Les images sont fortes, l'enseignante a besoin de se laver de cette crasse humaine. Le parti pris est osé, extrême, il y a les trop propres et les trop sales, les trop gentils et les très méchants, et une telle dichotomie ne laisse aucune place à l'entre deux. C'est ce qui gêne aussi et ne peut laisser indifférent.

D'autant plus que l'auteur est elle-même enseignante, la frontière est ténue entre fiction et réalité, comment se positionner réellement face à ce récit ? Le propos questionne d'autant plus. Mais c'est bien le rôle de la littérature aussi, de secouer de temps en temps, non ? Bravo !

 

p. 9 : "Mon inspecteur m'a dit, il y a trois mois : N'essayez même pas de faire cours, Mademoiselle. Sauvez votre peau."

 

L'écailler, juillet 2011, 163 pages, prix : 16 €

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Crédit photo couverture : ©Patrick Blaise et éd. L'écailler


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