Février 2019 en couvertures ...
En février, j'ai lu :
Quinqua, bibliothécaire, avec thé et chats. Je dépose ici les marques que mes lectures ont tracées.
En février, j'ai lu :
Il y a 13 ans et quelques jours, je commençais ce blog, après des années d'échanges sur Zazieweb et Critiques Libres...
Souvenez-vous, Mosquito avait 5 ans...
Elle vient de fêter ses 18 ans. Voilà mes trois enfants majeurs à présent !
Quant à ce blog, je le maintiens en (sur)vie, mais je ne m'y retrouve plus vraiment. Je comprends toutes celles qui ont arrêté ces dernières années.
Le billet le plus lu, celui qui explose les stats depuis toujours, c'est celui sur le roman de Xavier-Laurent Petit, Be safe. Il date du 11 juin 2009, mais chaque jour, il est consulté par des dizaines de collégiens (j'imagine) qui cherchent la réponse à leur devoir, et ça explose en fin de vacances scolaires. On trouve ensuite d'autres romans ados, pour les mêmes raisons.
Dans le temps, comme disent les vieux dont je suis, on lisait des livres pas encore vus partout, on s'enthousiasmait, on partageait, on avait un appétit sans fin, sans autre objectif que la passion conductrice.
Aujourd'hui, il faut gérer l'obésité. Celle de la production, celle des réseaux sociaux, du trop et plus vite tout le temps. Inutile de parler d'un livre un mois après sa sortie, il est déjà dans les cartons de retour du libraire.
"Dans le temps", quand un éditeur ou un auteur vous envoyait un message, c'est qu'il était sincèrement ravi de découvrir au hasard du net que son livre ait pu vous plaire. Ou il tentait alors de le défendre si vous aviez eu la dent dure. Et le débat devenait riche, souvent.
Aujourd'hui, peu importe que vous le lisiez (faites-le si vous voulez mais c'est une option qui compte peu), on vous demande surtout de le mettre en photo sur Insta, avec le p'tit thé et la fleurette qui vont bien. Les bibliothécaires à chat et à lunettes glisseront le livre entre les pattes de Félix et les binocles bien posées à côté.
On vous demandera juste les chiffres. Le nombre d'abonnés, de vues, et une photo pas trop moche. C'est tout ce qu'on attend de vous : montrer le produit. Dans une société de l'image où il faut aller vite.
Le livre est un produit comme un autre.
Je caricature un peu.
A peine.
Ce n'est pas moi, je ne m'y retrouve pas.
Je retourne à la vie, celle qui me ressemble, que je fais mienne.
bisous les gens.
Un papa emmène sa fille au Hit-Burger, il lutte contre la malbouffe et la déforestation, mais une fois de temps en temps pour lui faire plaisir… Ce jour-là, il est très en colère, non pas en raison de l’huile des frites ou des calories du soda, mais à cause du jouet imposé dans les menus enfants : une fille aura une mini poupée, et un garçon une mini fusée.
C’est quoi cette manie de mettre les gens dans des cases et tout spécialement les enfants ? Et si Léa préfère une fusée, elle ? d’ailleurs c’est son choix. On peut bien être une fille comme on veut non ?
Un petit roman militant sur la manie des jouets genrés, par l’auteur des Mademoiselle Zazie. Engagé sans trop en faire non plus, et joliment illustré par Catherine Proteaux-Zuber dont la mise en page des dessins aère et complète parfaitement le texte.
Dès 6/7 ans.
Nathan, juillet 2018, 29 pages, prix : 6,20 €, ISBN : 978-2-09-258276-3
Crédit photo couverture : © Catherine Proteaux-Zuber et éd. Nathan
J’aime beaucoup cette série de la tour Eiffel qui permet de voyager avec fantaisie et d’accompagner les premières lectures des enfants de CP.
C’est l’hiver à Paris, il neige. Samy, dans la boutique de souvenirs de ses parents, rêve d’une escapade à la montagne car il a une mission secrète à accomplir. Ça tombe bien, la tour Eiffel a très envie d’aller skier, c’est parti mon ami ! L’arrivée au Mont Blanc est un peu secouée, entre bouquetins et avalanches, mais Samy y accomplira sa mission avec amour et tendresse.
Ah la magie des histoires ! Une belle relation entre une arrière-grand-mère et son arrière-petit-fils, de belles valeurs faites d’amour familial et de cadeaux de transmission, sous les couleurs pastel de Mélanie Roubineau : sur le blanc de la neige, du gris, du bleu, du rose qui adoucissent encore le cocon du récit.
Un joli volume, qui se termine par deux pages documentaires sur le Mont-Blanc.
d'autres titres :
- La tour Eiffel se balade à Paris, en grand format ici
Nathan, janvier 2019, 32 pages, prix : 5,60 €, ISBN : 978-2-09-258835-2
Crédit photo couverture : © Mélanie Roubineau et éd. Nathan
Cet album jeunesse est un chef-d’œuvre, de ceux vers lesquels on revient inlassablement, tant il est beau, poétique, indémodable.
Les riches heures de Jacominus Gainsborough, c’est l’histoire d’une vie, celle d’un petit lapin timide avec une patte folle, plutôt introverti, mais qui construira une famille avec Douce, aura des enfants, des petits-enfants, et de fidèles amis. L’histoire d’une vie ordinaire qui n’aura pas manqué d’amour, de petits bonheurs et de quelques douleurs.
Le récit s’intercale entre douze grandes scènes picturales splendides, qui font référence à de grands peintres (enfin pour ce que j’ai pu reconnaitre), elles fourmillent de détails que le lecteur reviendra observer inlassablement, l’enfant pourra jouer à cherche et trouve parmi les nombreux personnages identifiés en pages liminaires. En marge du texte on trouve aussi des portraits de Jacominus, et des pages de vignettes anciennes minutieusement travaillées.
Une belle leçon de vie, douce et poétique. Et si l’album peut paraître difficile, relisez le préambule de Rebecca Dautremer, faites confiance aux enfants et à leur regard, il n’y a pas d’âge pour donner accès à l’art, à la beauté, et à la philosophie. Les enfants dès leur plus jeune âge, comme les grands, ont droit au meilleur. Jacominus en fait partie.
Ed. Sarbacane, octobre 2018, 56 pages, prix : 19,50 €, ISBN : 978-2-37731-017-3
Crédit photo couverture : © Rébecca Dautremer et éd. Sarbacane.
65eme album de T'Choupi, déjà ! Indémodable ce p'tit héros ! L'autre jour un petit garçon a piqué une colère à la bibliothèque parce que (quasi) tous les T'choupi étaient empruntés et il avait déjà lu les rares albums présents, ni sa mère ni moi n'avons réussi à le convaincre de choisir autre chose, il est reparti grognon et sans rien (pauvre Petit Ours Brun, Splat et Crocolou, ils n'ont pas fait le poids !)
Les derniers titres proposent également la version à écouter en utilisant l'appli Nathan Live et en scannant la couverture. On aime toujours autant les pages plastifiées bien résistantes, tant du côté des parents que du côté des bibliothécaires.
Le brossage des dents est une étape d'apprentissage chez les tout-petits, et le faire avec T'Choupi permet d'accompagner l'enfant et de rendre le moment plus ludique. Astuces (sablier, chansonnette), brosse à dents rigolote avec une petite souris et qui tient debout toute seule, les idées ne manquent pas.
Dommage qu'à aucun moment dans l'histoire on ne dise à quoi ça sert, de se brosser les dents... Allez bande de parents, au boulot !
Nathan, janvier 2019, 32 pages, prix : 5,70 €, ISBN : 978-2-09-258954-0
Crédit photo couverture : © Thierry Courtin et éd. Nathan
Traduit de l’anglais par Nicolas Richard
L’auteure, née au Mexique, a commencé à travailler comme interprète au tribunal de l’immigration de New-York au début de l’année 2015, en plein cœur de la crise des enfants migrants, des enfants isolés en provenance surtout du Guatemala, du Honduras, et du Salvador, qui fuient la violence des gangs.
Chaque enfant migrant entrant sur le territoire américain doit répondre à 40 questions qui permettent de comprendre son histoire, les raisons de sa fuite, les dangers auxquels il serait confronté si on le renvoyait chez lui, et de tester la véracité de son récit.
p. 51 : « Chaque enfant vient d’un endroit différent, d’une vie particulière, a vécu une palette d’expériences distinctes, mais leurs histoires suivent habituellement la même intrigue foireuse et prévisible.
Qui correspond peu ou prou aux grandes lignes suivantes : les enfants partent de chez eux avec un coyote. Ils traversent tout le Mexique aux mains de ce coyote, sur La Bestia. Ils essaient d’échapper aux griffes des violeurs, des policiers corrompus, des soldats meurtriers et des gangs de la drogue qui risquent de les exploiter comme esclaves dans les champs de pavot ou de marijuana, quand ils ne les tuent pas d’une balle dans la tête avant de les enterrer dans des charniers. Si quelque chose se passe mal et qu’il arrive malheur à un enfant, le coyote n’est pas tenu responsable. Les enfants qui parcourent cet interminable chemin de croix jusqu’à la frontière U.S. se présentent aux agents de la Border Patrol et sont officiellement détenus. (Souvent par des agents de police qui leur disent des choses du genre : « Parle anglais ! Maintenant t’es en Amérique ! » On les met ensuite dans la glacière. Puis, plus tard, dans un refuge provisoire. Là, il faut qu’ils commencent à chercher leurs parents – s’ils ont des parents – ou les gens de leur famille qui feront pour eux office de référents. Par la suite, ils sont envoyés là où habitent leur référent. Et finalement, ils doivent se présenter au tribunal, où ils pourront tenter d’éviter l’expulsion – s’ils ont un avocat ».
Dans le meilleur des cas, car bien sûr ils n’ont aucun moyen de payer un avocat. Il faut donc en trouver un qui accepte de travailler gratuitement.
La procédure est longue, complexe, ubuesque, et fait froid dans le dos.
L’auteure choisit de la raconter par le prisme de son expérience personnelle, elle-même en attente de la fameuse green card pour avoir le droit de travailler sur le territoire états-unien, elle profite des 40 questions pour relater aussi son parcours et expliquer les faits et lois américaines.
C’est le titre qui m’a attirée au hasard d’un rayon de médiathèque : « raconte-moi la fin », c’est ce que lui demande à chaque fois sa petite fille quand elle parle de ses cas à la maison, est-ce que ça finit bien ? Parfois, mais c’est si compliqué. La plupart du temps, elle se contente de répondre : « Je ne sais pas encore comment ça finit ».
Valeria Luiselli est également romancière (L’histoire de mes dents, août 2017, éd. de l’Olivier) et donne à voir dans ce récit une réalité de l’immigration, qui loin de nous, informe et sidère.
p. 30/31 : "Les chiffres et les cartes racontent des histoires d’horreur, mais les histoires les plus horribles sont peut-être celles pour lesquelles il n’y a pas de chiffres, pas de cartes, pas de responsabilité possible, jamais de mots écrits ni prononcés. Et peut-être que la seule façon de garantir un minimum de justice – si tant est que cela soit possible – c’est d’entendre et d’enregistrer ces histoires encore et encore, afin qu’elles reviennent, toujours, nous hanter et nous faire honte. Car être conscient de ce qui se passe à notre époque et choisir de ne pas agir est devenu inacceptable. Parce que nous ne pouvons pas nous permettre de continuer à banaliser l’horreur et la violence. Parce que nous pouvons tous être tenus pour responsables si quelque chose se passe sous notre nez et que nous n’osons même pas regarder."
Éditions de l’Olivier, coll. Les feux, avril 2018, 125 pages, prix : 14,50 €, ISBN : 978-2-8236-1241-7
Crédit photo couverture : © cedric©scandella.fr
Traduit de l’anglais par Aurélie Tronchet
Un premier roman étonnant par sa forme, des phrases courtes, rarement plus de trois lignes toujours entrecoupées de blanc, bref mais profond néanmoins, évocateur, poétique parfois.
Une femme accouche alors que Londres est sous l’eau, submergée par une crue apocalyptique. Il faut fuir. L’exil s’organise. Elle est séparée de son mari. Le lecteur accompagne cette femme et son enfant durant une année, leur relation forte dans un contexte de migration forcée, la survie dans les camps de réfugiés, l’espoir de retrouver le père de son enfant.
C’est un beau roman sur le lien maternel, la vie dans un environnement hostile, agréable à lire, qui peut laisser un peu sur sa faim mais qui se découvre comme une respiration, tant il tire sa force de sa forme épurée. Il mêle également de nombreux passages en italique inspirés de textes mythologiques ou religieux qui accentuent son côté poétique.
Quelques extraits :
p. 81 : « On nous dit de ne pas paniquer, la consigne la plus susceptible de provoquer la panique que l’homme connaisse ».
p. 84 : « Moi, Z, O, C. Nous dormons d’un œil, alignés, les bébés ventousés à nos mamelons. Ils ont six mois."
Ils ont appris à se tenir assis ici, dans cet endroit du pas-assez. Ils ont redressé leur dos. Ils ont commencé à essayer d’attraper notre pain. »
p. 96 : « Quand tu as un enfant, la peur est transférée, aurait pu me dire ma mère.
D’une certaine manière, elle est multipliée, aurait-elle pu dire. »
p. 123 : « Je bois l’air frais comme de l’alcool, chaque gorgée est une froideur qui m’attire et m’enserre la taille. »
Gallimard, coll. Du monde entier, février 2018, 169 pages, prix : 16,50 €, ISBN : 978-2-07-270152-8
Crédit photo couverture : © plainpicture / Glasshouse / chiei kurimoto / et éd. Gallimard