Les jardins d'Hélène

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Un hiver en enfer - Jo Witek

22 Janvier 2025, 19:56pm

Publié par Laure

Edward, surnommé Ed le taré ou le Ed le strange, est un ado timide et bourré de toc, souvent moqué au lycée, il se réfugie dans les jeux vidéo. Jusqu’à la goutte de trop d’un racket organisé où la mise va à celui qui boit le plus sans sombrer. Il décide de gagner, coûte que coûte. A la maison, ce n’est pas simple non plus. Proche de son père, sa mère souffre de dépression sévère, anesthésiée comme si elle ne l’avait jamais aimé. Alors quand elle revient miraculeusement guérie et que son père meurt peu après dans un accident de voiture, c’en est trop pour Edward.
Paranoïa, folie ? Il est persuadé que sa mère lui veut du mal. Il faut dire que sa mère fait vite le vide autour de lui.
Abordant le mal-être adolescent et la santé mentale, les relations familiales souvent difficiles à cet âge, le roman bascule peu à peu dans un thriller implacable, semant le doute et scotchant le lecteur à la page : est-ce la dépression, le deuil, sa fragilité, ou sa mère est-elle réellement devenue psychopathe ?  impossible de lâcher le roman avant la fin !
Un thriller psychologique efficace qui n’a rien à envier à ceux “des grands”, seul le personnage principal de l’ado le place dans une collection jeunesse (à partir de la 4e) mais on y prend un grand plaisir à tout âge si l’on aime ce genre.
Je suis Jo Witek depuis pas mal d’années et j’aime la diversité de ses romans, avec un faible sûrement pour ses polars ados, de même Peur Express dans un TGV à l’arrêt sur un pont au milieu de nulle part m’avait particulièrement marquée.


Attention, il s’agit d’une réédition au format poche, le livre a paru en 2014 pour la première fois (par bonheur je ne l’avais pas lu !)
Amateurs de thrillers, foncez sans hésiter !

 

 


 

Actes Sud junior, sortie poche janvier 2025 (1ère édition en 2014), 416 pages, prix : 10,90€, ISBN : 978-2-330-19650-9
 


 

 

Crédit photo couverture : Actes Sud junior

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Go fast, go slow - Sylvie Allouche

9 Novembre 2024, 14:55pm

Publié par Laure

Toujours aussi fan des polars de Sylvie Allouche, et même s’ils sont publiés chez un éditeur pour ados (parce que les intrigues et les personnages sont souvent en lien avec des ados ou de jeunes adultes, des sujets en rapport avec les drogues etc.) c’est du vrai bon polar qu’on ne peut pas lâcher.
Je ne les ai pas forcément lus dans l’ordre (au gré de mes trouvailles sur les rayonnages de bibliothèque), mais je retrouve toujours la commissaire Clara di Lazio, son équipe, et sa nièce Lilo avec beaucoup de plaisir.

Dans go fast, go slow, il va être question de transport de drogue bien sûr, mais de bien plus évidemment, impliquant la famille de Clara.
Camille Delvaux a dix-sept quand son petit copain Tommy lui promet que cette fois c’est le dernier go slow, qu’après ils mèneront une vie tranquille avec l’argent gagné. Mais c’est celui de trop, car malgré le stratagème qui consiste à rouler normalement et à ressembler à la famille tout-le-monde en mettant un faux bébé dans le siège-auto, c’est celui qui va mal tourner. Tommy va tirer sur un flic et se faire abattre.
Camille est incarcérée pour sept ans, et c'est en prison qu’elle apprend qu’elle est enceinte. Elle confie sa fille, Romy, à sa mère adoptive Janou.

Sept ans plus tard à sa sortie de prison, Camille va très vite être rattrapée par le dealer chef de gang qui se fait appeler l’Indien, et Clara est appelée par sa sœur qui pense avoir retrouvé leur frère Vincent disparu depuis quinze ans, en une personne inconnue dans le coma à l’hôpital, seule la médaille VDL (Vincent di Lazio) permettrait de penser qu’il s’agit de lui.

Les deux affaires vont bien sûr s’imbriquer, l’écriture est nerveuse comme la commissaire qui ne connaît pas les temps morts, on imagine très bien une adaptation en série télé 🙂
Les personnages positifs et empathiques font du bien, l’équilibre est bien trouvé, bravo !

 

éd. Syros, mars 2022, 331 pages, prix : 16,95 €, ISBN : 978-2-74-853062-9
 

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Syros

 

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Goodbye papa ! - Taï-Marc Le Thanh

29 Août 2024, 14:21pm

Publié par Laure

Alex, seize ans, a pris l’habitude de gérer sa vie seul bien malgré lui : son père est dans le coma depuis de nombreux mois, sa mère a refait sa vie et son beau-père l’horripile, sa grand-mère est morte, sa sœur aînée est en prison et son grand-frère Tony est devenu Tanya. ça fait un peu beaucoup, trop peut-être, pour le personnage comme pour le lecteur…
Heureusement il y a le psy devenu ami, à qui Alex peut se confier.

Le roman s’ouvre à l’hôpital avec une bonne nouvelle : son père est sorti du coma. Mais la mauvaise nouvelle est qu’il est condamné à court terme : il lui reste trois mois à vivre.
Il faut encaisser la nouvelle, et Alex se demande comment ne pas brusquer son père face à tous les changements qui sont intervenus dans la famille pendant son coma. Et s’il lui cachait la vérité ?
Il se prend alors à rêver de reproduire une scène d’enfance, souvenir agréable d’une famille unie et au complet. Le projet est insensé mais Alex va convaincre les siens.
Le lecteur peine à croire au scénario. Ce qui m’a incitée à poursuivre ma lecture, c’est de savoir si le père allait être dupe ou pas et comment tout cela allait finir.

C’est un roman d’apprentissage délicat, sur le passage - un peu forcé ici par les circonstances - de l’adolescence à l’âge adulte.
Hélas, je n’ai pas été vraiment touchée par cette histoire, pas assez réaliste à mon sens, trop extravagante et trop chargée dans les éléments casés (la transidentité, le premier amour, le deuil, la peur de la mort, le lien parental, etc. )
Peut-être ce roman saura-t-il séduire davantage les adolescents à qui il est prioritairement destiné ? (dès 14 ans)

 

 

 

 

 

 

Actes Sud jeunesse, août 2024, 336 pages, prix : 17 €, ISBN : 978-2-330-19474-1

 

 

Crédit photo couverture : © Actes Sud Jeunesse

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Sœur aînée – Lily-Belle de Chollet

16 Août 2024, 08:34am

Publié par Laure

Tess et son meilleur ami Valentin attendent impatiemment la soirée chez Roxane, qui vit dans un château, non pas pour la fête, mais pour y tourner des séquences de leur web série parodique « Agent Samantha », qui met en scène une tortue en pâte à modeler qui rencontre un beau succès.

Autant dire qu’elle n’est pas ravie quand sa mère lui annonce qu’elle va devoir garder ses frère et sœur, Oscar, 9 ans, et Esmée, 12 ans. Tess tente de négocier mais sans succès, sa mère est sage-femme et un accouchement n’attend pas. Mais elle l’autorise à emmener sa fratrie avec elle. Venir à une soirée lycéenne avec son petit frère et sa petite sœur, la honte !

Vous avez dès lors le pitch que résume la couverture : Sœur aînée, n.f. : personne à qui on gâche la soirée de ses rêves.

Joli titre de la collection, qui aborde un sujet un peu moins lourd que d’autres, mais tout aussi réaliste et touchant. Esmée est particulièrement vraie dans son attitude tout comme Oscar, qu’on a envie de serrer dans ses bras. Leurs mots ne sont pas tendres, mais les événements de la soirée vont leur faire nuancer leurs propos et réaliser qu’au fond, ils s’aiment et forment une famille unie. Mais à chaque âge ses préoccupations, et il n’est pas toujours facile de communiquer, en particulier à l’adolescence !

Et la partie création artistique en vidéo sur les réseaux sociaux à partir d'objets montre un aspect positif de leur utilisation.

Idéal pour les collégiens, version audio disponible gratuitement avec un QR code en 2ème de couverture.

 

Nathan, coll. Court toujours, janvier 2024, 54 pages, prix : 8€, ISBN : 978-2-09-249668-8

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Nathan

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Jusqu’ici tout va bien – Nicolas Pitz

3 Juin 2024, 15:35pm

Publié par Laure

Douglas Swieteck vit à New-York dans une famille pauvre, aussi lorsqu’il assiste à un match de base-ball et que la star Joe Pepitone lui offre sa casquette dédicacée, c’est le plus beau jour de sa vie. C’est la seule case en couleur du chapitre, toutes les autres étant en noir et blanc.

L’auteur illustrateur jouera donc sur l’utilisation ou non de la couleur pour souligner les émotions positives de l’adolescent de 15 ans. Mais la joie ne dure pas, car son frère lui vole sa casquette pour l’échanger contre des cigarettes, et la famille déménage « chez les bouseux », dans la petite ville de Marysville.

Il y rencontrera Lil(ly), son père et quelques personnes bienveillantes qui lui ouvriront la voie de la liberté, de la pensée, de l’art, et lui donneront la force et le courage de devenir soi. Les retrouvailles avec le frère aîné de retour du Vietnam lourdement handicapé (on est en 1969) marqueront aussi la famille.

Cette BD adaptée du roman éponyme pour adolescents de Gary D. Schmidt (élu meilleur livre jeunesse de l’année 2017 par le magazine Lire) est un petit bijou de sensibilité, dans un environnement où tout est rude pour le héros. Peut-on s’élever de son milieu social, s’opposer à sa famille quand celle-ci est défaillante ? Un roman d’apprentissage très bien mis en illustrations, tant dans la construction du scénario que le choix graphique et l’insertion de planches naturalistes inspirées de l’ornithologue Jean-Jacques Audubon.

L’art et les bonnes personnes sur votre route vous tirent vers le haut, c’est le message positif de cette histoire.

 

 

Les arènes BD, février 2024, 226 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-81020-310-9

 

 

Crédit photo couverture : © Nicolas Pitz et éd. Les Arènes BD

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La fourmi rouge - Emilie Chazerand

8 Mai 2024, 17:52pm

Publié par Laure

Vania Strudel, 15 ans, n’est pas une ado comme les autres. Enfin en vrai, si, mais elle est quand même sacrément déjantée et capable des pires horreurs sur ses camarades pas tendres avec elle non plus. Il faut dire qu’elle n’est pas partie gagnante dans la vie, avec un ptosis congénital à l'œil gauche (sa paupière s’affaisse sur son iris, comme Columbo), et “un blase de protège-slip accolé à une pâtisserie autrichienne bourrative” (p. 13). 

Le ton est donné ! Vania vit seule avec son père, sa mère est morte quand elle avait 8 ans. Taxidermiste un peu foufou, il l’entoure d’animaux morts empaillés, et a customisé sa voiture en “ouaflure”, la honte pour Vania ! Celle-ci dresse un portrait drôlatique des personnages qu’elle fréquente (voisins, camarades de classe, amoureux) et comme toute ado, subit nombre de moqueries et rend des coups bas, mais la narration de ces événements complètement déjantés ne peut que faire sourire. 

Pourtant le harcèlement souvent humiliant aurait pu la laisser à terre car sa souffrance est réelle., mais c’est aussi sa force de caractère qui lui permet de ne pas se laisser abattre.

La veille de son entrée en classe de seconde, un email anonyme et mystérieux l’incitant à être “la fourmi rouge parmi les noires” lui donne l’énergie de s’interroger, de revenir sur les faits marquants de sa vie, et de se confier aux bonnes personnes pour les surmonter.

C’est donc un vrai roman d’apprentissage dopé à l’humour, qui réserve pas mal de surprises au lecteur. 

Un personnage d’adolescente hors du commun, et un langage qui “déménage” pour mettre en avant la différence et l’assumer.


(3 étoiles seulement car mon regard d'adulte a parfois trouvé les accumulations un peu lourdingues et la banalisation de la violence scolaire m'a gênée)

 

(à partir de 13 ans)




 

éd. Sarbacane, août 2017, 254 pages, prix : 15,50 €, ISBN : 978-2-84865-998-5

(existe en poche chez Gallimard Jeunesse,coll. Pôle fiction, 7,80 €)

 

 

Crédit photo couverture : © éditions Sarbacane

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Marche ta peine - Maryvonne Rippert

6 Mai 2024, 09:50am

Publié par Laure

Ulis, 14 ans, purge sa peine en devant randonner pendant 2 mois à travers la France avec un éducateur, afin d’éviter le centre de détention pour mineurs. « Marche ta peine » est à prendre au sens littéral. Chaque jour il doit également écrire un journal destiné à la juge : une chose vue, un souvenir, et une pensée.

Le lecteur découvrira au fil du texte la raison de la condamnation d’Ulis, tout comme son évolution intérieure.

C’est un roman dense, touffu, facile à lire mais qui aborde une multitude de thèmes, trop peut-être. Le harcèlement scolaire, la responsabilité, la culpabilité, la justice, le pardon, l’amitié, le premier amour, l’homosexualité, le handicap, l’écriture, la culture, dans le dernier tiers en particulier, c’est un peu chargé.

Dès le départ rien ne se passe comme prévu car Ulis ne partira pas avec l’éducateur envisagé, mais un vieil homme bougon et taiseux qui a lui-même vécu une histoire dramatique, avec laquelle il faut vivre. C’est bien l’histoire de ce personnage qui va nourrir le roman et le lien entre les deux hommes.

Les personnages secondaires sont importants également, jusqu’au chien Capi, Capi et Vitalis, il n’aura pas échappé au lecteur aguerri que ces noms sont empruntés au roman d’Hector Malot, Sans famille.

Une lecture intéressante, qui aborde la gravité du harcèlement et ses conséquences « à vie », mais qui aurait mérité à mon sens de réduire un peu le nombre de sujets abordés.

 

 

Extrait p. 244 : « - ça nous sert à quoi tout ça ? Lire des livres, apprendre des trucs de l’ancien temps, une langue que plus personne ne parle ? […]

- Pourquoi tout devrait-il être utile à quelque chose ? La beauté est-elle utile ? La lecture donne du plaisir, c’est son premier moteur et sa raison d’être. Mais lire demande un effort. Lire laisse entrevoir des modes de pensée, des coutumes, des façons d’agir différentes de celles que l’on croirait a priori les seules valables parce que les nôtres… Lire c’est donc entrer dans la pensée ou l’imaginaire d’un inconnu grâce à des mots qui ne sont pas les nôtres. C’est aussi enrichir son vocabulaire et pouvoir s’exprimer de façon plus subtile…. En lisant, on élargit le champ de sa vision, on amasse une culture générale. Tu vas me répondre : « à quoi ça sert, la culture ? » Eh bien, peut-être à profiter de ce que l’humain a créé en bien ou en mal depuis qu’il est apparu sur terre, tout ce qu’il a nommé et recensé. Tu es jeune, Ulis, tu as de la chance !  […] »

 

 

Milan, août 2022, 318 pages, prix : 15,90 €, ISBN : 978-2-408-03577-8

 

 

Crédit photo couverture : © Victor Lejeune et éd. Milan.

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Souviens-toi de nous toujours – Sylvie Allouche

3 Mai 2024, 14:12pm

Publié par Laure

Le jour de ses 16 ans, Zoé avale des médicaments, achète des billets pour la grande roue à la fête foraine, et dès lors monte l’angoisse de savoir si elle réussira son funeste dessein et l’envie de connaître les motivations de son choix.

Par un va et vient narratif entre passé et présent, le lecteur aura toutes les clés de l’histoire.

J’aime beaucoup les thrillers de Sylvie Allouche (destinés aux adolescents également), tout comme la collection de textes courts « Court toujours » de chez Nathan, je n’ai pas hésité à dévorer ce nouvel opus.

Si j’ai beaucoup aimé toute la partie faisant référence au divorce de ses parents et à sa nouvelle vie en garde alternée, j’ai été un peu frustrée sur la partie finale, tant dans l’explication sentimentale que dans la grande roue, que j’ai trouvée beaucoup trop rapide. Comme s’il fallait finir vite (pour coller dans le format imposé par la collection), mais j’aurais tellement aimé en avoir plus ! Je trouve un certain déséquilibre dans les sujets évoqués.

Le texte reste néanmoins très bon pour les petits lecteurs que la longueur effraie, et comme toujours dans la collection, la version audio est disponible gratuitement (via un QR code à flasher dans le livre)

 

 

Éditions Nathan, coll. Court toujours, avril 2024, 48 pages, prix : 8 €, ISBN : 978-2-09-502672-1

 

 

Crédit photo couverture : éd. Nathan / Marlène Normand

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Géographie de la peur - Claire Castillon

2 Mai 2024, 10:51am

Publié par Laure

Maureen souffre de TAG (trouble anxieux généralisé) et d’agoraphobie. Toute sortie est une épreuve insurmontable et à 19 ans, se rendre à la fac est compliqué. Un échec même. Impossible de mener une vie normale, de sortir avec ses amis, d’avoir un petit ami. Malgré sa patience, même sa mère finit par s’énerver. Seul le temps passé chez le psy semble être un moment privilégié, encore faut-il pourvoir parvenir jusqu’à sa porte.

Comme j’aurais aimé lire ce livre il y a 30 ans ! Bien qu’il soit publié dans une collection pour adolescents, ce roman traite d’un sujet rarement abordé en fiction : le trouble anxieux généralisé doublé d’agoraphobie, et l’enfer qu’il fait vivre au quotidien (et pas qu’au malade !) : cette histoire est une bouée salvatrice pour qui aimerait comprendre ce qui lui arrive ou arrive à son ami.e., pour ne plus entendre ou dire : « c’est de l’anxiété, c’est psychologique, arrête ton cinéma et bouge-toi », etc.

On se demanderait même s’il n’y a pas un fond autobiographique dans ce roman tant il sonne juste. Bien sûr il y a les parents désemparés, le frère cash mais protecteur, les potes qui ne comprennent pas, les amis qui finissent aux abonnés absents, le psy(chanalyste) qu’on a envie de baffer (désolée je n’ai foi que dans les psychiatres qui pratiquent les TCC), et ce Jérôme un peu trop mature pour son âge mais il faut bien qu’il y ait du positif dans l’histoire !

Une issue surprenante mais intéressante pour ce court roman qui met en lumière une maladie invisible mais handicapante, avec précision et humour !

Merci à Claire Castillon d’avoir mis sur le papier cette géographie de la peur qui définit si bien tous les espaces que l’angoisse envahit. Un roman précieux.

 

Extraits : p. 14 : « Si je souffrais des séquelles d’un AVC, les gens formeraient un groupe de soutien WhatsApp. Je serais la fille dans la cour qui a des béquilles et que tout le monde entoure, afin de lui emprunter ses cannes mais aussi pour faire partie des gentils. Au contraire, les visages se ferment. Mon problème n’est pas attrayant comme des béquilles et il m’isole. Peut-être parce qu’il n’y a pas de mots pour expliquer mes crises, à part « agoraphobie » qui entraîne généralement un « C’est quoi ? » ou un « Je vois ». Le « Je vois » sort d’une personne qui connaît le mot « phobie » et le méprise, parce que c’est psychologique. D’ailleurs, la personne le dit : « Je vois, c’est psychologique ». Je peux aller me rhabiller avec mon truc qui n’existe pas. Quelquefois je m’humilie devant ces personnes en expliquant que j’ai aussi un TAG, Trouble Anxieux Généralisé, bien pire qu’une maladie, et que je rêverais de souffrir d’un mal plus concret. Afin de montrer combien c’est invivable, je réunis dans une même phrase les mots « angoisse », « vertige », « dédoublement », « film d’horreur », « image saccadée », « son d’aquarium », et quand j’arrive à « déréalisation », je les perds. Ainsi, ils n’ont pas le temps d’entendre « dépersonnalisation », et c’est peut-être mieux, parce que Nissa, la dernière personne qui m’a écoutée jusqu’au bout, m’a répondu quelque chose qui ne m’a pas tellement aidée : « De toute façon, depuis le primaire, on te trouve bizarre, ça doit venir de là. »

 

 

 

Gallimard jeunesse, coll. Scripto, février 2024, 164 pages, prix : 10,50 €, ISBN : 978-2-07-519639-0

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Gallimard Jeunesse

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Passager de l’été – Jean-Philippe Blondel

23 Août 2023, 15:44pm

Publié par Laure

Samuel a dix-huit ans et quelques, le bac depuis dix jours (en vrai depuis la réforme il savait qu’il l’avait depuis bien longtemps), et il s’apprête à partir sillonner l’Europe en train avec son pote, non, son meilleur ami : Adrien. C’est même pour cela qu’il est serveur dans un bar tout le mois de juillet, pour financer ce voyage tant attendu. Alors quand Adrien lui annonce dans un vocal qu’il ne part pas, c’est un coup dur pour Samuel. Peu importe, il partira seul. Il embobine un peu les parents, et zou, direction Amsterdam, Hambourg, Copenhague, Lund, Cologne …

Vous connaissez Blondel (ou pas), le voyage est autant réel qu’intérieur. Samuel écrit, filme des jeunes qu’il interviewe au fil des rencontres. Passager de l’été est un roman initiatique, de ceux qui vous font basculer de l’adolescence à l’âge adulte. On y sourit, on y aime les personnages rencontrés, ancrés dans la réalité (le Covid-19, la guerre en Ukraine) et l’on y retrouve les petits cailloux semés dans d’autres romans, qui s’entremêlent à ceux de la vie personnelle que l’auteur dévoile parfois sur les réseaux sociaux : les parents décédés dans un accident de voiture, la maladie, et ce thème fort : l’amitié. Ou le deuil d’une amitié.

Une rupture amicale, on en souffre autant qu’une rupture amoureuse, si ce n’est plus. Il faudra bien l’été pour traverser cette épreuve. Et en ressortir grandi.

Un beau roman simple et vrai qui vous fait chaud au cœur (tout en vous le serrant parfois), Blondel continue de faire ce qu’il sait faire le mieux : nous parler de l’intime et donc de nous.

 

Extraits :

p. 41-42 (Stendhal et la cristallisation) : « J’avais pris des notes, cette fois-là. J’avais trouvé ça intéressant, même si j’étais persuadé que ce type de fantasme, ça marchait au XIXe siècle, quand les gens s’ennuyaient et n’avaient rien d’autre à foutre qu’à rêvasser sur leur partenaire, alors qu’au XXIe, avec des blasés saturés d’écrans, de réseaux sociaux et de sites de rencontres comme nous, ça ne pouvait plus fonctionner. La triche, l’hypocrisie, les trahisons, on a été biberonnés à ça, entre les émissions de téléréalité où tout le monde prétend s’aimer mais va dégueuler sur ses camarades dès qu’ils ont le dos tourné, les jeux vidéo où le premier but est de survivre en éliminant tous les autres, et les réseaux sociaux, inutile de s’éterniser. On ne nous fera pas gober n’importe quoi. Un truc que je dois apprendre de toute urgence, c’est l’humilité. Parce que vu comme je me suis comporté avec Adrien, je ne vaux pas mieux que n’importe quel héros de livre sentimental du XIXe siècle. Une midinette. »

p. 47 : « Juste après, j’ai éliminé Adrien. Je l’ai viré de tous mes contacts. Je lui ai interdit l’accès à toutes mes sources. Je l’ai empêché de partager des photos, des vidéos, des messages. Je l’ai rayé. Pour être tout à fait honnête, cela n’a pas été aussi satisfaisant que je le croyais. On reste attachés à ceux qu’on a aimés, qu’on le veuille ou non. »

p. 113 : « On croit toujours que les autres s’intéressent à nos vies parce qu’ils regardent dix secondes ce que nous postons, mais ils scrollent, ils s’en foutent, ils nous ont oubliés au bout de dix minutes, ils continuent leur existence dans laquelle on n’est rien ».

p. 135 : « Je ne sais plus exactement qui sont mes amis. Mais, au fond, ça n’a aucune importance. Resteront dans ma vie ceux qui en ont vraiment envie, en sortiront ceux qui ne sont pas réellement attachés. C’est beaucoup plus simple qu’on ne croit ». 

C'est tellement cela.

 

 

Actes Sud jeunesse, août 2023, 173 pages, prix : 15,60 €, ISBN : 978-2-330-18094-2

 

 

Crédit photo couverture : © Germain Barthélémy et éd. Actes Sud jeunesse

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