Les jardins d'Hélène

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Traverser les montagnes, et venir naître ici - Marie Pavlenko

23 Août 2024, 15:15pm

Publié par Laure

C’est le nom de l’autrice, que je connaissais en jeunesse, qui m’a attirée plus que le titre, que je trouvais bien long et qui ne me parlait pas. Bien m’en a pris de tenter la lecture, car quelle claque ! Un vrai beau coup de cœur pour ce roman sensible et dur, qui touche par sa justesse, sa poésie et la beauté de sa narration.


Astrid, la quarantaine, a acheté une maison dans un hameau du Mercantour sans même la visiter. Elle fuit une vie perdue. On comprend très vite que ses deux enfants et son mari sont morts, sans savoir comment (on aura la réponse à la fin) ; on partage d’emblée sa souffrance. Peu après son installation, elle découvre dans la neige une jeune femme incapable de se relever, enceinte et épuisée. Soraya a à peine dix-sept, a fui la Syrie, et connaît le parcours atroce des migrants. O combien ce roman est plus parlant que bien des documentaires ou articles de presse !
Les deux femmes vont se reconstruire l’une l’autre, s’ouvrir peu à peu, ce n’est pas simple, ça demande du temps, de la patience, de l’humilité, de la bienveillance, mais tout cela sonne si juste dans ce roman de Marie Pavlenko ! La poésie, par les extraits cités en exergue des chapitres ou par les titres achetés par Astrid, apporte une vraie profondeur, beauté et douceur au texte.


C’est splendide, bouleversant.


J’ai craint un instant que l’intrigue ne bascule dans la facilité (l’écriture pour la jeunesse ado n’est pas loin, en particulier dans ce que va vivre Soraya avec un personnage), mais l’autrice a l'intelligence de ne pas céder au feel-good dans ce roman publié en littérature générale.


On voudrait ne pas finir la lecture pour ne pas quitter les personnages, tout en lisant quasi d’une traite pour vivre pleinement avec eux. C’est cela un roman réussi, non ?
Un vrai beau roman qui m'a émue et contenue dans sa bulle terriblement réaliste et représentative de ce dont l’humanité est capable, en bien comme en mal.

 

Extraits :

P. 30/269 (numérique) : “Sois sage ô ma douleur, elle comprend maintenant, oui, tranquille, tranquille. Il n’y a que a qu’elle arrive à lire. De la poésie, des éclats de lumière qui résonnent comme de gros gongs frappés en elle.
Il faut qu’elle trouve une librairie.
Astrid traverse un nouveau pan de forêt.
Le silence est plein d’yeux.”

P. 197/269 : “Écouter, prévoir, mesurer, soupeser, anticiper, attendre, réagir, dorloter, donner. De l’attention, de l’amour, de la patience, de l’énergie. Donner. Donner encore.”

 

 

 

 

 

Les Escales, domaine français,  22 août 2024, 352 pages, prix : 21 €, ISBN : 978-2-36569-807-8
 


 

 

Crédit photo couverture : © Hokus Pokus Créations et éd. Les Escales.

 

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Une nuit particulière - Grégoire Delacourt

20 Août 2024, 18:46pm

Publié par Laure

Rien n’est crédible dans ce roman, mais tout est joliment écrit : c’est l’histoire d’un homme et une femme, chabadabada….

Aurore sait que son mari va la quitter. Elle erre un soir et rencontre Simeone. Elle l’interpelle, l’emmène à l’hôtel, ils discutent, s’évadent, passent par Roissy avant de finir sur une plage normande. Ils roulent à 180 pour arriver avant le jour.  C’est pas Deauville, mais le Touquet, c’est pareil. On sait que ça finira mal. L’indice est donné dès la première page, ce n’est pas un secret.

 
Deux grandes parties : selon Aurore, selon Simeone. Arrivée à celle de Simeone, j’avoue, je me suis un peu ennuyée. Mais 190 petites pages aux marges larges et bien aérées, ça se lit tout seul. Surtout un soir d’été. On aura toutes les clés, un twist final, pour ce joli roman qui fait passer un bon moment si vous cherchez une belle histoire triste, des définitions de l’amour, éthéré, bourgeois, piqueté de belles références culturelles, la mort en arrière-plan.

Pas certaine que ce soit un remède à la mélancolie, au contraire.

 

Ed. Grasset, mars 2023, 193 pages, prix : 19 €, ISBN : 978-2-246-83431-1

Existe en poche : le livre de poche, 2024, 7,40 €

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Grasset

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Ma tempête – Eric Pessan

23 Juillet 2024, 13:14pm

Publié par Laure

David est un metteur en scène de théâtre, en couple, et papa d’une petite Miranda. Il apprend que son adaptation de la Tempête de Shakespeare est annulée, il rumine alors sa déprime ; sa femme le secoue (l’argent ne coule pas à flots) et lui demande de garder la petite car le personnel de la crèche est en grève ce jour-là.

C’est donc à sa fille Miranda, prénommée comme celle de Prospéro dans la pièce shakespearienne, qu’il va jouer SA tempête. Celle-ci est multiple, littéraire et théâtrale, mêlant mise en scène avec des peluches et vraies informations sur les représentations théâtrales au XVIIe siècle, intérieure (crise de couple, d’estime de soi, différend avec son frère qui par son mandat d’élu local lui coupe les subventions nécessaires à son travail) et extérieure, car la météo fait rage à ce moment-là dans sa ville et l’orage s’abat sur les toits et les vitres.

L’imbrication de tous ces éléments pour en faire un roman est vraiment intéressante et réussie. Même si l’on ne connaît pas la pièce de Shakespeare.

L’ensemble m’a toutefois parfois un peu ennuyée et agacée. Les propos sur la place de la culture dans nos vies, le régime des intermittents du spectacle et les subventions publiques au cœur de leur survie et des programmations sont une longue et sempiternelle plainte qui m’a parue plus larmoyante que combattive.  Le débat n’est pas neuf entre culture et divertissement, lien entre qualité et popularité et j’en passe, mais il me semble peu productif ici… (peut-être parce que tous les jours j’y œuvre, à ma petite échelle de colibri fonctionnaire territoriale de la filière culturelle.)

 

Extraits :

p. 17 : « Le père explique à sa fille que l’île de Prospéro ressemble à leur appartement juché au huitième étage de cet immeuble : l’art y est partout présent, dans la bibliothèque, sur les murs, et surtout – il s’approche d’elle qui rentre instinctivement la tête dans les épaules, elle ne perd pas une miette de ce qu’il raconte – dans nos cerveaux. Et David embrasse le front de la fillette, puis la chatouille ; son rire encore éclate dans la cuisine, emplit l’espace tout entier, roule comme une bille insouciante. C’est de cela dont David besoin : des joies et des lumières solaires de sa fille. On insiste beaucoup sur le travail nécessaire à bien élever un enfant, on dit peu l’inverse : tout ce que l’enfant offre en contrepartie à ses parents. La paternité, c’est donnant-donnant, protection, éducation et nourriture contre émerveillement, amour inconditionnel et supplément de vie. Une tendresse pour adoucir la rugosité du monde. »

 

p. 69 : « Rien ne change, les comédiens ont toujours besoin du soutien du roi, du pontife, de l’empereur, du président de la commission culture, du conseil régional, du conseil départemental, du conseiller de la direction régionales des affaires culturelles, du chargé de mission spectacle vivant de la municipalité. Hormis quelques rares acteurs jouant dans les théâtres privés, sans soutien du roi, les comédiens ne sont rien. Et le roi change souvent dans notre monde : à chaque élection, les innombrables couronnes changent de tête. »

 

p.  « La fin est un monologue. Les fins sont souvent des monologues. Même quand plusieurs personnes se parlent, le signe de la fin est qu’elles ne s’écoutent plus, elles croisent des monologues. Dialoguer est un art difficile. Dialoguer réellement, c’est-à-dire accueillir la parole de l’autre en acceptant la possibilité qu’elle nous bouleverse, ou qu’elle modifie notre propre parole, n’arrive presque jamais dans une vie.

Prospéro demeure seul, il parle au public ou à lui-même. Les spectateurs écoutent sa pensée exprimée à voix haute. Depuis l’enfance, David et son frère n’ont plus été capables de dialoguer. David se réfugie souvent dans le confort du monologue. Il est harassé par avance à l’idée de défendre l’importance de la culture pour l’émancipation des individus. Son frère monologue impératifs de croissance, productivité, compétitivité, ajustement de l’offre à la demande. Ce serait ça, être de gauche ou de droite ? Opposer l’idée de la nécessité d’éduquer à celle d’ajuster l’offre ? »

 

Badge Lecteur professionnel

 

Aux forges du Vulcain, 25 août 2023, 133 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-37305-734-8

 

 

Crédit photo couverture : © Elena Vieillard et éd. Aux forges du Vulcain.

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La liste 2 mes envies - Grégoire Delacourt

20 Mai 2024, 19:42pm

Publié par Laure

12 ans après (La liste de mes envies, 2012), Jocelyne Guerbette, la mercière d’Arras gagnante de 18 Millions d’euros au Loto, revient en librairie sous la plume toujours de Grégoire Delacourt.

Alors ça aurait pu être sympa, elle m’avait bien plu la Jocelyne du 1er opus ou plutôt la capacité de Delacourt à disséquer le couple en se mettant dans le quotidien et la peau d’une femme.

Mais là, comment dire… ce n’est plus ni moins qu’une suite commerciale (il faut bien vivre), même pour le titre personne ne s’est foulé, on remplace le de par 2, ni vu ni connu je t’embrouille (à tel point qu’on est obligés d’expliquer à nos lecteurs que c’est bien une suite et pas juste un changement de couverture), 248 pages, marges larges, interligne confortable, notes de bas de page à rallonge et inutiles, c’est formaté pour être vite lu, et ça l’est. D’autant plus vite que c’est léger, creux, vide. Bavard tout simplement.

L’ex-mari de Jocelyne est donc mort, elle a largué son amant de passage, a récupéré ses 15 millions restant du jackpot, et fréquente les réunions des GA, les gagnants anonymes.  L’auteur passe le roman à démontrer que l’argent ne fait pas le bonheur, tout en énumérant toutes les choses de luxe (ou pas) qu’on peut s’acheter avec. On s’ennuie vite et j’ai bien failli abandonner (un chapitre par dépense effectuée pour liquider le magot, on a vite compris), le dernier quart se réveille un tant soit peu, mais pour se complaire dans un feel-good dégoulinant, le malheur de l’Alzheimer, réel ou supposé un peu de suspens, le nouvel amour naissant et le « ensemble c’est tout » au fin fond des Ardennes. Tout le monde est content, et le twist final qui fait le job.

 

Page 64 : « J’ai gagné beaucoup d’argent à l’EuroMillions et comme je ne vais pas me mettre à acheter ce dont je n’ai pas besoin, j’ai décidé de donner. Et ça, dis-je en désignant ses courses et le ticket que lui tend la caissière, ça, c’est une façon de le faire.

- Si c’est vrai, vous allez faire un sacré buzz ! C’est adorable de votre part, madame, vraiment, je vous remercie, mais je peux encore payer mes courses.

- Alors je vous en prie, faites, lâche soudain la caissière impatiente en levant les yeux au ciel. »

Il ne doit pas les faire si souvent ses courses, l’auteur : la caissière ne me donne jamais de ticket avant que j’aie réglé mes achats. Bon maintenant elle n’en donne même plus du tout, mais je veux bien croire que le roman ait été écrit avant. Bref, d’abord tu payes ou t’appelles Jocelyne, et après tu as le ticket. Non mais.

 

 

Albin Michel, avril 2024, 248 pages, prix : 19,90 €, ISBN : 978-2-226-49447-4

 

 

Crédit photo couverture : photomontage divers créateurs chez Shutterstock / et éd. Albin Michel

 

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Mon vieux et moi – Pierre Gagnon

29 Février 2024, 15:09pm

Publié par Laure

Le narrateur, jeune retraité, « adopte un vieux », en accueillant chez lui Léo, un vieil homme de 99 ans, qu’il rencontrait au centre d’hébergement quand il visitait sa tante.

p. 10 : « Un bonheur paisible, ici, chez moi, avec celui que j’aimerai comme mon enfantn sabs avoir à l’éduquer. La voilà, ma retraite ! »

Vous imaginez bien qu’à cet âge, il faut s’organiser, aménager sa maison et faire le plein de couches (oui ce n’est pas glamour, les vieux), et s’adapter aux troubles cognitifs.

Cette novella offre une parenthèse de tendresse et de bienveillance, ces mots galvaudés qui pourtant transparaissent à travers le texte. Emprunté au hasard d’une étagère labellisée « facile à lire » à la bibliothèque, c’est un joli texte, de ceux qui font du bien, qui sont honnêtes et réalistes. C’est déjà beaucoup pour si peu de pages.

 

p. 48 : « Léo est devenu vieux. Les vieux oublient, s’étouffent, font répéter, voient trouble, tombent, n’en veulent plus, en veulent encore, ne dorment plus la nuit, dorment trop le jour, font des miettes, oublient de prendre leurs médicaments, nous engueulent tant qu’on serait tenté de les engueuler à note tour, pètent sans le savoir, répondent quand on n’a rien demandé, demandent sans attendre de réponse, échappent puis répandent, ont mal, rient de moins en moins, gênent le passage, s’emmerdent, souhaitent mourir et n’y parviennent pas… »

p. 72 « Je n’améliore pas la condition de Léo, je le sais, mais je ne l’aggrave pas non plus. C’est mon serment d’Hippocrate. »

 

 

J’ai lu, janvier 2012, 78 pages, prix : 4,50 €, ISBN : 978-2-290-03560-3

 

Crédit photo couverture :  © Michael Martin / Corbis © éditions J’ai lu

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Le fils du professeur - Luc Chomarat

20 Janvier 2024, 14:13pm

Publié par Laure

Un narrateur dont nous ne connaîtrons pas le prénom raconte son enfance, de son entrée à l’école maternelle jusqu’au baccalauréat, à St Étienne dans les années 1960, avec un passage obligé par le football. 

Cela pourrait paraître banal mais c’est terriblement attachant. Il y a une magie dans l’écriture qui berce entre attendrissement et étonnement, avec beaucoup de sensibilité (mais pas de sensiblerie). Car certains passages interpellent, l’incipit notamment “Quand j’étais enfant je trouvais tout normal. Ma mère m’enfermait régulièrement à la cave, dans le noir complet. Je trouvais ça normal”, alors que rien ensuite n’y reviendra. Il y a bien quelques bizarreries, mais l’ensemble trouvera sa clé dans la fin, jusque dans la toute dernière phrase. Et l’on se surprend à se demander si l’on a bien compris, on revient sur certains passages au début, ceux sur la mère entre autres, et là oui, bien sûr, tout était dit, de manière elliptique ; la fin éclaire tous les étonnements du lecteur, toutes les obsessions de l’enfant. Et une telle construction en apothéose, ce n’est pas si courant. 

Je ne connaissais pas Luc Chomarat, je n’avais jamais rien lu de lui, mais je vais désormais jeter un œil attentif à ses romans. 

 

Un extrait qui fera sourire un grand nombre de lecteurs, sur les dernières années collège : “Il y a aussi des cours qui disparaissent, heureusement. On ne fait plus de technologie ni de flûte à bec au bout d’un moment. En technologie on doit apporter un Té qui est une grande règle en bois inutile. La flûte à bec est un instrument pourri dont personne ne joue sur aucun disque et qui n’existe qu’au collège. Le prof de musique déteste le monde entier.”

 

La manufacture de livres, août 2021, 264 pages, prix : 19,90 €, ISBN : 978-2-35887-774-9

 

 

Crédit photo couverture : © Deepol / plainpicture et éd. la manufacture de livres

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En salle - Claire Baglin

3 Novembre 2023, 11:19am

Publié par Laure

Claire (son prénom n’apparaitra que tardivement, c’est aussi celui de l’autrice) raconte en parallèle son embauche et son parcours dans une chaîne de fast-food à vingt ans, et des scènes familiales, du temps où âgée d’une dizaine d’années elle fréquentait ces restaurants avec ses parents, jusqu’à sa vie de jeune adulte vivant chez eux, observant la vie d’ouvrier en usine de son père.

Ce qui caractérise sans doute ce roman, c’est sa sécheresse. Une aridité dans le verbe et  l’émotion, le récit est assez factuel, linéaire sur une session de travail.  

L’essentiel est dans ce que ce roman ne dit pas et qui se lit entre les lignes : la soumission, l’obéissance d’une classe sociale modeste. Une lutte quotidienne pour paraître plus fort et ne pas se laisser écraser par de petits chefs. Mais subir le système qui  consiste à produire toujours plus et plus vite pour un salaire de misère pour que d’autres plus riches consomment, et vous traitent avec mépris parfois. Craindre le regard de l’autre sur son intérieur, ne pas inviter en l’absence des parents et sans prévenir, ce sont ces scènes-là que j’ai trouvées les plus touchantes.

Lapidaire dans son style, le rythme colle au sujet qu’il dénonce et en fait la réussite de ce court premier roman, un style à double tranchant que vous aimerez, ou pas. Clivant, mais intéressant.

 

 

Ed. de Minuit, septembre 2022, 158 pages, prix : 16 €, ISBN : 978-2-7073-4798-5

 

 

crédit photo couverture : © Les éditions de Minuit

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L’archiviste - Alexandra Koszelyk

19 Septembre 2023, 16:42pm

Publié par Laure

Lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, K., archiviste, veille la nuit sur les œuvres culturelles et patrimoniales du pays, mises à l’abri au sous-sol d’une bibliothèque, et le jour, veille sur sa mère malade. 

Jusqu’au jour où elle reçoit la visite d’un “Homme au chapeau”, qui la sommera de modifier certaines œuvres pour les tourner à l’avantage de l’envahisseur ; en échange de quoi il lui laissera la vie sauve ainsi qu’à sa sœur qu’il dit détenir captive. Tandis qu’elle s’y astreint le cœur lourd, K. revoit la création de ces œuvres. Moment surnaturel mais qui passe sans gêner le lecteur, au contraire le côté informatif est intéressant. C’est ainsi qu’elle falsifie l’hymne national, les âmes mortes de Gogol, et quelques autres trésors de l’art ukrainien.

Si j’avais beaucoup aimé le premier roman d’Alexandra Koszelyk, A crier dans les ruines, je suis restée plus à l’écart de celui-ci, où je me suis un peu ennuyée. Le mécanisme compris, il sert davantage à défendre la culture (et l’utiliser comme une arme ?), à rendre hommage à un pays, qu’à emmener le lecteur dans une intrigue, que j’ai trouvée un peu faible, même si la fin lui redonne un peu d’envergure. 

Ce roman pourrait être un premier pas facile d’entrée dans l’histoire de l’Ukraine par le biais de la fiction pour qui souhaiterait poursuivre la route.

 

Extrait p. 17 : “K s’attardait rarement dans les rues, où elle peinait à retrouver les échos de l’ancien temps. Il n’y avait plus que les livres pour rejoindre le chemin de ce qu’elle connaissait. Au cœur de tous ces ouvrages, l'oralité du monde s’était effacée au profit de la page et de l’encre. L’écrit est ce chant silencieux qui conserve les productions de l’esprit au long des siècles : qu’est-ce qu’une langue, si ce n’est une musique au secours d’une idée, une harmonie et un rythme portés par les trouvailles de l’imaginaire ?”

 

Aux forges du Vulcain, octobre 2022, 267 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2373-05655-6

 

 

Crédit photo couverture : © Elena Vieillard et éd. du Tripode. 

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Les silences des pères - Rachid Benzine

18 Septembre 2023, 15:44pm

Publié par Laure

Un fils devenu pianiste concertiste de renommée internationale revient à Trappes au domicile de son père décédé. Un père avec qui il avait coupé les ponts vingt-deux ans auparavant, un père qu’il n’a jamais vraiment connu.

p. 14 (numérique) : “Il est encore à l’appartement, dans sa chambre. Si tu veux le voir. » Elles me remercient d’être présent. « C’est important, ça lui aurait fait plaisir. » Je n’ose pas leur dire que ce sont des paroles convenues. Que leur deuil n’est pas le mien. Que pour pleurer quelqu’un, il faut l’avoir aimé. Que pour regretter un mort, on doit éprouver plus que des regrets. Que la mort n’annule pas tout.”

p. 17 : C’est à la fois mon père et un étranger qui est mort

p. 20 : Il me demande ensuite de caresser l’épaule de mon père. Je m’exécute sans éprouver aucun sentiment. Il me pousse à faire le même geste, encore et encore. Je finis par ressentir une forme de tendresse, beaucoup de tendresse. Instinctivement, ma main se pose sur sa joue.

Je me tourne vers l’imam en train d’essorer le gant de toilette : “Il n’est pas fait mention de l’étape où l’on caresse l’épaule”. Il me répond calmement que ça ne fait pas partie du rituel. “Mais ça vous aura probablement fait beaucoup de bien, à ton père comme à toi.”

Passé le rituel de la toilette mortuaire, le fils va ranger un peu l’appartement et trouver une série de cassettes que son père avait enregistrées pour son propre père. C’est alors tout un pan de son histoire familiale qu’il découvre, le sort réservé aux immigrés arrivés en France dans les années 1960. Remontant le temps et la vie de son père, dans les mines de charbon dans le nord de la France, puis en usine à Aubervilliers et chez Lip à Besançon, c’est aussi un pan de l’histoire sociale et politique de la France qui est narré. En cherchant à rencontrer les témoins ayant connu son père et en écoutant ces cassettes, il découvre aussi sa vie amoureuse, ses peines et ses douleurs, et combien ce dernier l’a aimé, quand bien même il lui avait tourné le dos.

Un très bel hommage, tout en pudeur et retenue, qui émeut sincèrement.

Je n’avais jamais lu Rachid Benzine, mais je suis ravie de l’avoir découvert et ne manquerai sans doute pas de lire ses autres titres.

 

Seuil, août 2023, 176 pages, prix : 17,50 €, ISBN : 978-2-02-147776-4

Crédit photo couverture : éd. du Seuil

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Ressentiments distingués - Christophe Carlier

27 Août 2023, 11:35am

Publié par Laure

 

Sur une île où dominent pluie et brouillard, le facteur perclus d’arthrose se met à distribuer des courriers anonymes. Un corbeau sévit, de courtes phrases à chaque fois, pas de revendications, mais le trouble envahit le bistrot “La Marine” et chacun soupçonne l’autre. 

La réussite ? c’est le texte délicieusement malicieux de Christophe Carlier.

Une deuxième partie plus surprenante donne la parole au corbeau lui-même, j’avoue avoir été déçue, j’attendais une résolution policière avec le gendarme Gwenagan. Mais la troisième et dernière partie offre un twist dans la lignée espiègle du roman.

Sympathique et bien écrit, une lecture plaisante, comme une petite gourmandise. 

 


Extrait p. 76 : “Qui donc sur l’île a l'œil fuyant, la voix fausse et le geste rare ? Gwenagan ne met guère de temps à percevoir que son portrait-robot est une somme de clichés. [...] Une autre manière de réfléchir est de se demander si, chez tel ou tel, la part d’ombre que tous possèdent, intrusive et malfaisante, peut prendre la forme épistolaire, si mesurée, si différée, qui relève d’une cruauté sophistiquée. A ce jeu-là, les violents, les sanguins, les impulsifs ou les indélicats sont rapidement innocentés.”

 

Du même auteur :

- L'assassin à la pomme verte

- L'eau de rose

 

Phébus, janvier 2017, 173 pages, prix : 16 €, ISBN : 978-2-7529-1083-7

 

 

Crédit photo couverture : © Héloïse Jouanard, Libella / Phébus.

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