Les jardins d'Hélène

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Mon Père - Grégoire Delacourt

11 Avril 2025, 15:58pm

Publié par Laure

C’est l’histoire d’un père qui a n’a pas vu l’horreur que son fils vivait entre les mains du Père. Une histoire de pédophilie et de viols dans l’Église catholique, la douleur d’un enfant et de son papa qui réalise, et laisse exploser sa violence et sa haine à la cure, enfermé avec le prêtre coupable du vendredi soir jusqu’à la messe du dimanche matin. Un huis-clos mâtiné de parallèles aux textes bibliques et au naufrage du couple parental et de leur mariage.

La construction est habile entre temps de l’innocence et temps de la révélation ; et la fin rebat les cartes de manière inattendue, dans un nouveau temps du récit à des jours de là.

J’ai lu en début d’année le roman suivant de G. Delacourt, l’enfant réparé (2021), qui laissait entendre des liens avec celui-ci. Oui l’un peut éclairer l’autre. On notera d’ailleurs que dans mon Père, publié en 2019, l’abbé Pierre y était encore innocent : p. 136 « A la fin de sa vie, l’abbé Pierre confessait que la plénitude de Dieu n’avait pas toujours comblé sa solitude terrestre, que parfois la chaleur, les bras et la volupté de l’autre lui avaient manqué. Cela en a-t-il fait pour autant un prédateur ? Cela a-t-il fait triompher l’ennemi en lui-même ? ». On sait aujourd’hui que oui. La réalité dépasse parfois la fiction.

Un roman bref sur un sujet délicat, qui aurait mérité de mettre peut-être davantage à l’écart le mal-être du narrateur anéanti d’être trompé par sa femme, se plaçant ainsi trop au centre du récit.

 

 

JC Lattès, février 2019, 219 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-7096-6533-9

 

 

Crédit photo couverture : © Mrs/Moment/Getty Images / et éd. JC Lattès

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Les bouchères - Sophie Demange

5 Avril 2025, 13:58pm

Publié par Laure

Un premier roman délicieusement tranchant !

Dans un quartier bourgeois de Rouen, trois jeunes femmes cabossées par la vie reprennent la boucherie du père de l’une d’entre elles, porté disparu depuis longtemps.

Elles modernisent, aiguisent, coupent, vendent, séduisent une clientèle aussi curieuse de bonne chère que de ragots locaux. 

Elles ont du caractère ces bouchères, et ne se laissent pas faire : le patriarcat n’a qu’à bien se tenir ! D’ailleurs quand il se tient mal, son malheur n’est pas loin. Si la première scène du genre est assez frappante, le lecteur se prend au jeu : c’est noir et mordant ! Car peu à peu des hommes du quartier disparaissent, le lecteur sait tout de leur sort et de ses causes, la police et les habitants un peu moins : ce point de vue place le lecteur dans une position privilégiée.

Ce roman dénonce les violences faites aux femmes, du sexisme ordinaire au viol, déroulant le passé douloureux des trois protagonistes, le présent laissant place à une vengeance… saignante. Tous les hommes ne sont pas des brutes et agresseurs, l’autrice a su composer également des personnages masculins plus “aimables”.  

 

Écouté dans la version audio lue par Rachel Arditi, j’ai beaucoup aimé le rythme et les intonations donnés par la comédienne.

 

 

 

 

Éditions de l’Iconoclaste, janvier 2025, 310 pages, prix : 20,90 €

Version audio éditée par Lizzie, texte lu par Rachel Arditi

 

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Les deux tilleuls – Francis Grembert

18 Février 2025, 11:38am

Publié par Laure

Dans une campagne du Nord de la France, à six kilomètres à peine de la Belgique, un petit garçon de 7 ans grandit dans l’insouciance et la joie des jeux en plein air, avec son petit frère François, de 3 ans son cadet. Jusqu’à ce 10 août 1969, où en rentrant de la messe, François se fait renverser par une voiture.

Plus de 50 ans après, l’auteur raconte, dans une langue élégante et ciselée, la fin abrupte de la complicité avec ce petit frère adoré ; il fait revivre l’enfance, mais aussi tout cette vie rurale, la ferme avec ses deux grands tilleuls, quelques animaux, un cheval avant l’arrivée du tracteur.

Pudique et touchant.

 

p. 16/17 : « J’ai de la chance. Ça, je le sais. Ma vie avec François, nos parents, nos grands-parents, et les animaux de la ferme, est la plus belle de toutes. Lequel de nous deux épatera l’autre ? Lequel sera la plus grande fierté de Claire et Gérard ? Je ne me suis pas posé ces deux questions le 10 août 1969 à midi passé, parce qu’il n’y avait pas de raison pour que je me les pose.

p. 33 : « En haut de la cour poussent deux grands tilleuls. Gérard les aime et s’en étonne. Comment peut-on aimer des arbres à ce point ? »

p. 42 : « Que veut dire « grièvement » ? Je ne connais que « gravement », c’est moins grave. Ou alors : c’est un mot pour tromper les enfants de sept ans. Je demande. On me dit que c’est la même chose. Je n’aime pas ça. On ment aux enfants avec des entourloupes de mots. »

p. 62/63 : « En haut de la tombe se dresse une croix où est inscrit : « François Grembert » C’est incroyable, c’est la chose la plus fantastique au monde, bien plus que toutes les prouesses de Zorro et de Rintintin réunis. C’est la littérature à son point ultime. On lit un nom et un prénom. Ça veut dire la mort. »

p. 101 : « Les livres sont aussi importants que les champs. Sans eux, je suis incomplet. »

 

Arléa, coll. La rencontre, janvier 2025, 102 pages, prix : 18 €, ISBN : 9782363083920

 

 

Crédit photo couverture : © Ion Andrescu, Enfant sur la pelouse, 1880 Camera-photo Arte Vnezia / Bridgeman Images / et éd. Arléa

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Requiem pour un chat - Olivier Bellamy

16 Février 2025, 15:39pm

Publié par Laure

Journaliste spécialiste de musique classique, Olivier Bellamy est aussi un amoureux des chats. Et tout maître d’un félin sait la souffrance et la tristesse quand celui tombe malade et quand il meurt. Ce sont de jolis passages que nous offre l’auteur sur sa relation à sa chatte Margot, sur son inquiétude, sur la perte. Le reste est plus anodin, en tout cas m’a moins intéressée, mais j’ai trouvé néanmoins intéressants et étonnants toutes les constructions autour de la lettre M, sa position dans les mots, et toutes les déclinaisons que l’auteur en fait.

Pas un grand livre, mais un joli moment sur la relation homme-animal.

p. 178 : « Pompéi a permis aux historiens de mieux connaître la vie des Romains en décryptant leurs occupations au moment d’être pétrifiés. Si un nouveau Vésuve survenait aujourd’hui, les trois quarts de la population seraient devant un écran. Tant de temps, d’évolution pour en arriver là, à cette navrante et désolante uniformité. »

p. 206 : « La beauté est odieuse loin de ceux qu’on aime »

 

 

Grasset, février 2018, 268 pages, prix : 19 €, ISBN : 978-2-246-81376-7

 

 

Crédit photo couverture : © Laporta/Leemage et éd. Grasset

 

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L'enfant réparé - Grégoire Delacourt

2 Janvier 2025, 10:22am

Publié par Laure

C’est un récit très personnel que livre ici Grégoire Delacourt, un retour sur son enfance, ses parents, son mariage, ses histoires d’amour et comment ce noyau familial parental a imposé à lui ses romans. Malgré quelques poncifs, il y a aussi quelques fulgurances, des phrases qui font mouche et touchent. Si l’on pourrait croire que l’auteur fait d’abord ici sa psychanalyse (il la fait d’ailleurs, et la raconte), il va au-delà dans la douleur de l’enfance qui marque à vie et l’on ne peut qu’avoir envie de (re)lire ses romans à l’aune de ce nouvel éclairage.

J’étais restée sur une image extrêmement négative de cet écrivain, rencontré dans un salon du livre au moment de la sortie de l’enfant réparé justement. Je lui avais dit que parmi tout ce que j’avais lu de lui, mon préféré était « on ne voyait que le bonheur », il m’avait répondu sèchement qu’il ne me demandait pas ce que j’avais aimé, mais d’acheter son livre. Ce que je n’ai pas fait, pendant qu’’il vociférait sur la libraire ou bénévole du stand qui lui servait un verre de Jasnières, comment pouvait-on oser lui servir du blanc local, je m’étais alors demandé s’il était déjà bourré ou s’il était juste odieux et j’avais alors quitté le salon (j’allais le voir à la base juste pour lui transmettre un message d’une collègue éloignée)

Ce qui me conforte dans l’idée que je préfère m’en tenir à la lecture.

Ce texte me réconcilie un peu avec lui, ce livre est profondément triste.

 

Extraits :

p.66 Sur l’écriture d’un court-métrage : « Pour la première fois, j’avais écrit pour moi, osé la fiction, ce mensonge qui dit la vérité, en racontant une enfance qui ne se réalise pas. »

p. 221 « Les mots ne guérissent pas. N’effacent pas. Ils tracent juste d’autres vies. »

p. 181 : « Jusqu’à ce livre-ci, écrire était une fête. C’est l’urgence cette fois qui commande. Les silences dégueulent, je dois les contenir ; parfois retenir la colère. Tout remonte. Tout s’assemble. Mon histoire est banale, c’est ce qui la rend triste. »

 

Grasset, septembre 2021, 231 pages, prix :19 €, ISBN : 978-2-246-82884-6

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Grasset / bandeau : collection particulière

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Les fruits du myrobolan - Marco Martella

1 Janvier 2025, 16:26pm

Publié par Laure

 

Écrivain-jardinier d’origine italienne, Marco Martella s’est installé dans la campagne briarde il y a plus de vingt ans, et c’est un récit tout en délicatesse qu’il en présente : dix chapitres à la rencontre des hommes et des arbres, de la nature et des myrobolans en particulier.


Ce qui en surgit, c’est une sérénité paisible dans le foisonnement du monde, le cheminement d’une pensée qui s’intéresse au vivant, qu’il soit végétal ou humain. La langue est superbe, poétique, classique, soignée.


Une parenthèse hors du temps, apaisée et apaisante.

 

extraits:
p. 24-25 : “Je cueillis un fruit et je le portai à ma bouche, méfiant, comme c’est souvent le cas quand on mange un fruit poussant spontanément dans la nature. Je ne peux pas dire que sa saveur un peu âcre me plut. Il fallut que j’en mange un autre, puis encore un autre avant de comprendre : le goût du fruit du myrobolan était celui qu’ont les choses libres et sauvages, un goût austère mais doux, réconfortant même et étrangement familier.
Mon ami me regardait en souriant. A un certain moment je l’entendis marmonner quelque chose, le genre de phrases énigmatiques qu’il prononçait parfois pour lui-même. “Les fruits du silence… Les seuls qui comptent”, ou quelque chose comme ça.”

p. 59 : “Je sais que dans le monde qui vient de naître, ce monde technologique, virtuel et tellement bavard qui n’est pas celui dont on rêvait, la littérature ne sert plus à rien. Si l’homme qu’elle présupposait et auquel elle s’adressait n’est plus, elle n’a plus de raison d’être.”

p. 172 : “Je songeais à tout ce qui nous reste de beau et de précieux dans le désert que devient le monde, à quel point il importe de le reconnaître comme tel, même s’il n’y a plus que des restes, et le mettre à l’abri.”

 

Actes Sud, coll. un endroit où aller, mai 2023, 183 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-330-17994-6
 


 

 

Crédit photo couverture : © éd. Actes Sud

 

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Célèbre - Maud Ventura

29 Décembre 2024, 17:28pm

Publié par Laure

Première expérience de lecture audio, et quel calvaire ! Non pas pour l'audio, tout va bien et la voix de la comédienne lectrice, Suzanne Jouannet, est agréable et adaptée à ce récit à la première personne du personnage de Cléo Louvent.

Chanteuse, star franco-américaine, elle dort vit et mange par et pour la célébrité, n'hésitant pas à tout détruire sur son passage. Elle est détestable, insupportable, odieuse, égocentrique, capricieuse, arrogante et j'en passe, vous avez compris le tableau. 09h30 d'écoute, ou 550 pages en version papier, que c'est long quand c'est interminablement répétitif , ça ne cesse de s'étirer pour redire toujours la même chose. Et c'est cela qui pêche, car l'histoire en soi et les liens avec la réalité du star system sont plutôt justes.
J'ai commencé à y trouver un soupçon d'intérêt à la piste 31 ou 32 (quand elle tombe amoureuse de John), sur 40 (38 pour le roman + 2 pour les références et les remerciements), il était temps !
J'ai trainé ce livre comme un boulet, n'avais pas lu "Mon mari" donc n'avais pas de comparaison avec son précédent roman, je voulais aller au bout de cette première lecture audio, mais 250 pages auraient suffi à dresser le même portrait. La fin sauve un peu l'ensemble. Mais pas le plaisir de lecture dont je ne retiendrai que la longueur.

 



 

 

L'Iconoclaste, août 2024, 558 pages, prix : 21,90 €, ISBN: 978-2-37880-450-3

audio : Lizzie, octobre 2024, durée : 9h et 30 minutes, prix : 23,99 €

 

 

crédit photo couverture : éd. L'Iconoclaste

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Traverser les montagnes, et venir naître ici - Marie Pavlenko

23 Août 2024, 15:15pm

Publié par Laure

C’est le nom de l’autrice, que je connaissais en jeunesse, qui m’a attirée plus que le titre, que je trouvais bien long et qui ne me parlait pas. Bien m’en a pris de tenter la lecture, car quelle claque ! Un vrai beau coup de cœur pour ce roman sensible et dur, qui touche par sa justesse, sa poésie et la beauté de sa narration.


Astrid, la quarantaine, a acheté une maison dans un hameau du Mercantour sans même la visiter. Elle fuit une vie perdue. On comprend très vite que ses deux enfants et son mari sont morts, sans savoir comment (on aura la réponse à la fin) ; on partage d’emblée sa souffrance. Peu après son installation, elle découvre dans la neige une jeune femme incapable de se relever, enceinte et épuisée. Soraya a à peine dix-sept, a fui la Syrie, et connaît le parcours atroce des migrants. O combien ce roman est plus parlant que bien des documentaires ou articles de presse !
Les deux femmes vont se reconstruire l’une l’autre, s’ouvrir peu à peu, ce n’est pas simple, ça demande du temps, de la patience, de l’humilité, de la bienveillance, mais tout cela sonne si juste dans ce roman de Marie Pavlenko ! La poésie, par les extraits cités en exergue des chapitres ou par les titres achetés par Astrid, apporte une vraie profondeur, beauté et douceur au texte.


C’est splendide, bouleversant.


J’ai craint un instant que l’intrigue ne bascule dans la facilité (l’écriture pour la jeunesse ado n’est pas loin, en particulier dans ce que va vivre Soraya avec un personnage), mais l’autrice a l'intelligence de ne pas céder au feel-good dans ce roman publié en littérature générale.


On voudrait ne pas finir la lecture pour ne pas quitter les personnages, tout en lisant quasi d’une traite pour vivre pleinement avec eux. C’est cela un roman réussi, non ?
Un vrai beau roman qui m'a émue et contenue dans sa bulle terriblement réaliste et représentative de ce dont l’humanité est capable, en bien comme en mal.

 

Extraits :

P. 30/269 (numérique) : “Sois sage ô ma douleur, elle comprend maintenant, oui, tranquille, tranquille. Il n’y a que a qu’elle arrive à lire. De la poésie, des éclats de lumière qui résonnent comme de gros gongs frappés en elle.
Il faut qu’elle trouve une librairie.
Astrid traverse un nouveau pan de forêt.
Le silence est plein d’yeux.”

P. 197/269 : “Écouter, prévoir, mesurer, soupeser, anticiper, attendre, réagir, dorloter, donner. De l’attention, de l’amour, de la patience, de l’énergie. Donner. Donner encore.”

 

 

 

 

 

Les Escales, domaine français,  22 août 2024, 352 pages, prix : 21 €, ISBN : 978-2-36569-807-8
 


 

 

Crédit photo couverture : © Hokus Pokus Créations et éd. Les Escales.

 

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Une nuit particulière - Grégoire Delacourt

20 Août 2024, 18:46pm

Publié par Laure

Rien n’est crédible dans ce roman, mais tout est joliment écrit : c’est l’histoire d’un homme et une femme, chabadabada….

Aurore sait que son mari va la quitter. Elle erre un soir et rencontre Simeone. Elle l’interpelle, l’emmène à l’hôtel, ils discutent, s’évadent, passent par Roissy avant de finir sur une plage normande. Ils roulent à 180 pour arriver avant le jour.  C’est pas Deauville, mais le Touquet, c’est pareil. On sait que ça finira mal. L’indice est donné dès la première page, ce n’est pas un secret.

 
Deux grandes parties : selon Aurore, selon Simeone. Arrivée à celle de Simeone, j’avoue, je me suis un peu ennuyée. Mais 190 petites pages aux marges larges et bien aérées, ça se lit tout seul. Surtout un soir d’été. On aura toutes les clés, un twist final, pour ce joli roman qui fait passer un bon moment si vous cherchez une belle histoire triste, des définitions de l’amour, éthéré, bourgeois, piqueté de belles références culturelles, la mort en arrière-plan.

Pas certaine que ce soit un remède à la mélancolie, au contraire.

 

Ed. Grasset, mars 2023, 193 pages, prix : 19 €, ISBN : 978-2-246-83431-1

Existe en poche : le livre de poche, 2024, 7,40 €

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Grasset

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Ma tempête – Eric Pessan

23 Juillet 2024, 13:14pm

Publié par Laure

David est un metteur en scène de théâtre, en couple, et papa d’une petite Miranda. Il apprend que son adaptation de la Tempête de Shakespeare est annulée, il rumine alors sa déprime ; sa femme le secoue (l’argent ne coule pas à flots) et lui demande de garder la petite car le personnel de la crèche est en grève ce jour-là.

C’est donc à sa fille Miranda, prénommée comme celle de Prospéro dans la pièce shakespearienne, qu’il va jouer SA tempête. Celle-ci est multiple, littéraire et théâtrale, mêlant mise en scène avec des peluches et vraies informations sur les représentations théâtrales au XVIIe siècle, intérieure (crise de couple, d’estime de soi, différend avec son frère qui par son mandat d’élu local lui coupe les subventions nécessaires à son travail) et extérieure, car la météo fait rage à ce moment-là dans sa ville et l’orage s’abat sur les toits et les vitres.

L’imbrication de tous ces éléments pour en faire un roman est vraiment intéressante et réussie. Même si l’on ne connaît pas la pièce de Shakespeare.

L’ensemble m’a toutefois parfois un peu ennuyée et agacée. Les propos sur la place de la culture dans nos vies, le régime des intermittents du spectacle et les subventions publiques au cœur de leur survie et des programmations sont une longue et sempiternelle plainte qui m’a parue plus larmoyante que combattive.  Le débat n’est pas neuf entre culture et divertissement, lien entre qualité et popularité et j’en passe, mais il me semble peu productif ici… (peut-être parce que tous les jours j’y œuvre, à ma petite échelle de colibri fonctionnaire territoriale de la filière culturelle.)

 

Extraits :

p. 17 : « Le père explique à sa fille que l’île de Prospéro ressemble à leur appartement juché au huitième étage de cet immeuble : l’art y est partout présent, dans la bibliothèque, sur les murs, et surtout – il s’approche d’elle qui rentre instinctivement la tête dans les épaules, elle ne perd pas une miette de ce qu’il raconte – dans nos cerveaux. Et David embrasse le front de la fillette, puis la chatouille ; son rire encore éclate dans la cuisine, emplit l’espace tout entier, roule comme une bille insouciante. C’est de cela dont David besoin : des joies et des lumières solaires de sa fille. On insiste beaucoup sur le travail nécessaire à bien élever un enfant, on dit peu l’inverse : tout ce que l’enfant offre en contrepartie à ses parents. La paternité, c’est donnant-donnant, protection, éducation et nourriture contre émerveillement, amour inconditionnel et supplément de vie. Une tendresse pour adoucir la rugosité du monde. »

 

p. 69 : « Rien ne change, les comédiens ont toujours besoin du soutien du roi, du pontife, de l’empereur, du président de la commission culture, du conseil régional, du conseil départemental, du conseiller de la direction régionales des affaires culturelles, du chargé de mission spectacle vivant de la municipalité. Hormis quelques rares acteurs jouant dans les théâtres privés, sans soutien du roi, les comédiens ne sont rien. Et le roi change souvent dans notre monde : à chaque élection, les innombrables couronnes changent de tête. »

 

p.  « La fin est un monologue. Les fins sont souvent des monologues. Même quand plusieurs personnes se parlent, le signe de la fin est qu’elles ne s’écoutent plus, elles croisent des monologues. Dialoguer est un art difficile. Dialoguer réellement, c’est-à-dire accueillir la parole de l’autre en acceptant la possibilité qu’elle nous bouleverse, ou qu’elle modifie notre propre parole, n’arrive presque jamais dans une vie.

Prospéro demeure seul, il parle au public ou à lui-même. Les spectateurs écoutent sa pensée exprimée à voix haute. Depuis l’enfance, David et son frère n’ont plus été capables de dialoguer. David se réfugie souvent dans le confort du monologue. Il est harassé par avance à l’idée de défendre l’importance de la culture pour l’émancipation des individus. Son frère monologue impératifs de croissance, productivité, compétitivité, ajustement de l’offre à la demande. Ce serait ça, être de gauche ou de droite ? Opposer l’idée de la nécessité d’éduquer à celle d’ajuster l’offre ? »

 

Badge Lecteur professionnel

 

Aux forges du Vulcain, 25 août 2023, 133 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-37305-734-8

 

 

Crédit photo couverture : © Elena Vieillard et éd. Aux forges du Vulcain.

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