Roman en trois actes (Installation, Perturbation, Confession), ce deuxième ouvrage de Denis Michelis pose la question du bon fils et du bon père.
Un homme et son fils adolescent s'installent à la campagne. La mère est partie refaire sa vie, elle ne supportait plus ce « mauvais » fils. Le père lui, en souffre, il est sans cesse épuisé, bon à rien. Albertin (quel curieux prénom), en classe de 1ère ES, est mauvais élève, un peu fainéant sur les bords aussi, plus préoccupé par ses hormones que par les cours (un ado quoi, diront certains!)
Les dialogues sont relevés, très visuels, les phrases sont souvent interrompues, formant un enchaînement savoureux,
p. 31 : « Je t'ai demandé s'il restait encore du riz.
Mais bon sang tu m'écoutes à la fin ?
Mon père joue les indignés.
Manger, manger, manger.
Qu'est-ce que vous savez faire à part manger, traîner et vous masturber ? »
Dans le deuxième acte arrive un personnage tiers, Hans, un vieil ami qui sort d'on ne sait où. Il prend les choses en main pour faire entrer Constant dans le moule. Car oui, désormais Albertin s'appelle Constant. Hans, c'est un peu le père idéal, il cuisine, il bricole, il fait le ménage, il conduit au lycée, il est toujours attentif, mais en filigrane ses méthodes ne sont sans doute pas si nobles. Le vrai père lui « donne » son fils pour l'année scolaire.
Et ça marche, le niveau scolaire de Constant remonte, il rentre dans le pli.
Mais la dernière partie interroge, plaçant le lecteur en position inconfortable. Au fond cet Hans existe-t-il vraiment ? N'est-on pas depuis le début aux lisières du fantastique ? Où est la réalité ? Faut-il tuer symboliquement le père ?
Une fois encore, après sa critique habile du monde du travail dans « La chance que tu as », Denis Michelis dérange avec la réussite scolaire comme norme du « bon enfant », réussite scolaire mais aussi familiale, et amoureuse.. Roman social, qui joue avec les codes de l'étrange.
p.195 : « Encore bravo d'avoir réussi à changer un mauvais fils en bon fils, et que peuvent attendre les bons fils sinon intégrer, une fois leur bac bien au chaud au fond de leur cartable de bon fils, de grandes classes préparatoires qui les guideront vers de grandes écoles, et ces grandes écoles, cher monsieur, leur permettront d'obtenir sans effort de grands diplômes, et ces grands diplômes exerceront une force d'attraction telle que ces bons fils se marieront, auront beaucoup d'enfants qui à leur tour deviendront de bons fils, etc.
Le pays a besoin de bons fils.
Le pays a besoin de vous. »
Et peu importe les moyens employés pour y arriver ?
Denis Michelis livre un roman étrange, plaisant dans ses dialogues enlevés, troublant dans son atmosphère, qui ne manque pas au passage de faire penser à Œdipe, un roman qui en tout cas ne laisse pas indifférent. Un auteur à suivre !
On notera aussi l'intéressante couverture représentant une feuille d'arbre (celui auquel se confie Albertin/Constant dans le roman) et les deux visages qu'elle représente.
Notabilia / Les éditions Noir sur Blanc, mai 2016, 207 pages, prix : 16 €
ISBN : 978-2-88250-425-8
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Crédit photo couverture : © Visuel : Paprika / et les éd. Noir sur Blanc