François Rey est un chirurgien aguerri, il quitte sa clinique lyonnaise pour un week-end de Toussaint dans son relais de chasse familial en Savoie. Il blesse un magnifique cerf à six cors, et au moment de l’achever, hésite, le charge dans son pick-up et l’opère pour le soigner et le rendre à la vie dans la nature. Au cours de sa chasse, il croit apercevoir sa fille apeurée sur le siège d’une voiture qui roule à vivre allure et fait une embardée pour éviter le cerf. Il s’inquiète quand il ne parvient à la joindre au téléphone.
Ses enfants sont grands, son fils est devenu trader à New-York et passe en coup de vent, et sa fille fait médecine (longue tradition familiale) mais plus pour très longtemps, prise malgré elle dans le grand banditisme par son compagnon. Sa femme a sombré dans un mysticisme égoïste, elle s’absente régulièrement pour des retraites dans des couvents.
François est donc un homme solitaire, qui vit pour son travail et la nature, la chasse, la beauté animale. Il a un rapport très sensoriel à ce qui l’entoure. C’est un homme de l’art aussi, épris de musique sacrée et de peinture.
La construction de ce roman est très surprenante, réécrivant les scènes, mêlant les temps passé et présent, emportant le lecteur dans une sorte de roman noir haletant, mystérieux jusqu’à la dernière ligne. Où est la réalité ?
Regard de désillusion sur le monde financier d’aujourd’hui, où le travail ne vaut que par et pour l’argent, d’autant plus que cette désillusion vient de ses propres enfants, à qui il n’a pas réussi à transmettre ses valeurs.
J'ai beaucoup aimé, malgré mon peu d'appétence pour la chasse et la montagne !
Prix Médicis 2019
Stock, août 2019, 352 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-234-08738-5
« T’es beau, mon rein ». Ainsi s’ouvre ce roman destiné aux ados à partir de 15 ans (âge précisé sur la 4ème de couverture). C’est ainsi qu’Angélique (Angie) a toujours appelé son frère jumeau Sacha.
Ce soir, Sacha prépare une fête chez lui pour Halloween, il va revoir ses potes pour la première fois. Il est sous Xanax à haute dose, que s’est-il donc passé dans sa vie pour qu’il soit aussi mal ?
La soirée se déroule, entre alcool, shit, désirs adolescents. Ça m’a rappelé Tifenn : 1 – Punk : 0, de Vincent Mondiot, lu récemment. Trop de vomi et de bad trip, malgré le désir d’amour maladroit bien présent. Le mal-être de Sacha se dévoilera d’un twist, totalement inattendu, un uppercut dans l’œil du lecteur, qui revient une page en arrière pour être sûr d’avoir bien compris.
Le roman, qui temporellement se déroule en une nuit, de 21h03 à 03h03, joue sur ce renversement, évidemment. Et permet de le reconsidérer autrement.
Un roman fort sur le mal-être adolescent, le lien fusionnel avec un jumeau, le suicide.
Mon avis mitigé n’est dû qu’à toute la partie somme toute banale d’avant le twist….
Actes Sud junior, février 2020, 92 pages, prix : 13 €, ISBN : 978-2-330-13099-2
Avoir l'esprit d'escalier (ou de l'escalier), c'est tout le contraire d'avoir le sens de la repartie. C'est se dire longtemps après qu'on aurait dû dire ceci plutôt que cela sur le moment, et c'est tout aussi vérifiable quand on est un esprit de l'escalier au sens propre.
Un bon vieux dandy mort il y a 118 ans, qui hante les coins et recoins d'un bel immeuble haussmannien et qui tombe amoureux d'une jeune tout juste décédée, pas du tout de la même époque. L'écart de langage est grand quand on a plus d'un siècle de différence, mais les émois de l'amour sont les mêmes et l'amour toujours triomphe.
Un superbe album dont j'ai adoré les illustrations de Gérald Guerlais, mises en valeur dans le grand format et les doubles pages, et le texte plein d'humour et de jeux de langage de Caroline Beauvais.
On relèvera au passage les allusions graphiques aux précédents livres de l'autrice, et les amoureux des chats seront gâtés.
(à partir de 7/8 ans)
Éditions Sarbacane, janvier 2020, 32 pages, prix : 16,50€, ISBN : 978-2-37731-373-0
Monsieur Souris est chef de chantier et s’apprête aujourd’hui à diriger ses engins pour une opération : pas de problème, l’équipe est habituée à respecter les consignes de sécurité et chacun remplit son rôle. On verra donc successivement la foreuse, la pelleteuse, la bétonnière, la grue, le rouleau compresseur.
Tous œuvrent de concert et le chantier prend fin quand soudain le sol tremble et le vent se lève… le sol ? Vraiment ? Je vous laisse découvrir la chute, adorable et totalement inattendue, qui d’une histoire sur les engins de chantier, vous emmènera complètement ailleurs !
La métaphore est bien vue et la surprise réussie. La présentation classique, texte à gauche sur aplat de couleur vive, dessin en pleine page à droite est simple mais efficace, la fin fait reconsidérer le détail de l’illustration.
Dès 3 ans.
L’école des loisirs, février 2020, 28 pages, prix : 12,20 €, ISBN : 978-2-211-30197-8
Esperluette, c’est ce signe typographique qui signifie le mot « et ». Ici, L & J, J pour Jordan, L pour la narratrice, qui écrit une lettre à son ami disparu, des années après le drame qu’ils ont traversé. Esperluette pour ce pseudo qu’elle adoptera à un tournant de sa vie.
Ils ont grandi ensemble, amis d’enfance, lui moins doué à l’école, lui qui tourne mal, des petits larcins d’ado sans grande conséquence, jusqu’à ce plan dans lequel il embarque L, pour se faire de l’argent. Mais le plan tourne court, drame survient, et à jamais l’insouciance de la vie pour la jeune qui revient sur les faits des années plus tard.
Glaçant, beau, triste, dur, terrible, réaliste, ce roman bref (c’est la collection qui le veut : 92 pages à la première personne, d’un texte qui pourrait être lu à voix haute, c’est le format de tous les titres de cette collection, et sur la couverture, toujours un objet qui symbolise au mieux l’histoire), ce roman bref donc, touche et pose la question de la culpabilité et de la vie après, de la vie avec.
Actes Sud junior, mars 2020, 96 pages, prix : 9,80 €, ISBN : 978-2-330-13345-0
Augustin Mal est un homme ordinaire qui a pour lui d’être bien éduqué, courtois, poli et propre sur lui. Du moins le croit-il, car son comportement est loin de le montrer. Il s’exprime sans filtre et ne s’embarrasse pas de codes sociaux ni de politesse bienveillante. Il est en manque d’amour et un peu de sexe ne lui déplairait pas. Il envie les femmes, car elles n’ont qu’à se laisser séduire, se servir et consommer !
Tout est simple finalement dans son monde, sauf que… tout ne se déroule pas comme il le croit. Il va rencontrer Gigi dans un groupe de parole, dont il ignore jusqu’au sujet des rencontres, sinon qu’elle dit beaucoup de mal de son mari, et que tous les gens qui sont là doivent être malades, sauf lui.
Et la situation va devenir… singulière, c’est le moins qu’on puisse dire. Quel curieux roman que ce petit ouvrage aussi bref que surprenant ! C’en est férocement drôle, la perception qu’a le héros de lui-même et celle qu’en a le lecteur étant diamétralement opposée. Un bonhomme sacrément dérangé, pour un roman qui ne laisse pas indifférent.
P.O.L, février 2020, 102 pages, prix : 13,90 €, ISBN : 978-2-8180-4932-7
Stella Rodriguez a 11 ans, elle est passionnée de physique et d’astronomie, passion qu’elle partageait avec son père récemment décédé. C’est dans ces circonstances, en revenant d’une visite à la NASA, qu’elle rencontre un trou noir, un vrai, qui la suit partout et s’installe chez elle. Le problème c’est qu’il avale tout ce qu’il trouve et grossit un peu vite. C’est bien pratique quand on a la flemme de sortir les poubelles, qu’on ne veut pas porter les pulls qui grattent de la tata, et pour planquer quelques souvenirs, mais quand il avale leur jeune chien (sans nom), c’est plus délicat. C’est avec son petit frère Cosmo qu’elle va se faire avaler par le trou noir pour sauver Chien-sans-Nom…
Ce roman surprend par son originalité dans la façon de traiter le sujet du deuil. Au premier degré, c’est un roman fantastique, plein d’humour, de blagues et de fantaisie, mais à bien y regarder, c’est une jolie métaphore de la façon de vivre la perte d’un être cher. Cette façon de sombrer, de se laisser envahir par la tristesse, et puis la nécessité d’accepter, de poursuivre sa vie en acceptant que le défunt sera toujours dans votre cœur et vos pensées. Une jolie réussite.
(Même si personnellement, j’ai eu un peu de mal avec le fantastique, et n’ai plus trop l’âge des nombreuses blagues imaginées. Mais j’ai aimé l’idée que pour une fois ce soit une fille qui soit passionnée de sciences !)
Dès 10 ans
Nathan, février 2020, 217 pages, prix : 12,95 €, ISBN : 978-2-09-258226-8
Taches rousses est un premier roman qui frappe fort en s’ouvrant sur des chapitres très crus mais voyons où ils nous mènent… D’un côté, Wes, un peintre torturé qui signe des tableaux d’une rare violence où les femmes sont mutilées, de l’autre, Beck, jeune comédienne qui vit aux crochets d’un senior qu’elle semble détester, et qui n’a de cesse de cacher ses taches de rousseur qui lui sont insupportables. Le sexe est partout mais il est malsain, en tous les cas ne véhicule rien de positif. En trame de fond la violence paternelle subie dans l’enfance de Beck, et la disparition de sa petite sœur Leah à l’âge de quatorze ans. Quand des meurtres en série mutilant des femmes surviennent dans le quartier de Los Angeles où vit Beck, quel lien faire entre Wes et le passé de la jeune femme ?
D’ordinaire, je suis incapable de dire « c’est bien écrit, ou c’est mal écrit » Pour moi, l’écriture coule toute seule et se fait invisible au profit de l’histoire, ou un style particulier émerge qui contribue à la beauté de l’œuvre, mais là, l’écriture accroche, me dérange. Ça manque de fluidité. Pour la première fois il me vient à l’esprit « c’est mal écrit ». L’usage abusif et inapproprié des virgules rendent les phrases incorrectes. Les descriptions nombreuses alourdissent inutilement le texte.
Quant au scénario, de même je suis d’ordinaire incapable de dénouer l’intrigue avant d’avoir fini de la lire, là elle est évidente, et se confirme au fil du texte. Point de surprise donc. Et cette noirceur, cette violence extrême, même si j’en entends la raison romanesque, je peine à l’accepter dans cette lecture. Est-ce le but, de montrer qu’un premier roman féminin peut aussi rivaliser dans le registre de la surenchère dans la violence ? Juste pour démontrer que la violence entraine la violence ? Ce qui n’est pas nouveau et un peu rapide ?
Bref, j’espérais autre chose de ce thriller.
Albin Michel, février 2020, 365 pages, prix : 21,90 €, ISBN : 978-2-226-44682-4
J’avais été plutôt déstabilisée par le précédent album de l’auteur, ces jours qui disparaissent, trop surnaturel à mon goût, or celui-ci est un vrai thriller psychologique dessiné : fond et forme constituent un ensemble réussi.
L’histoire s’ouvre sur une jeune fille ensanglantée qui erre dans la nuit, un couteau à la main. Repérée et connue de la police comme étant « débile », ils la ramènent chez elle, découvrant alors une tuerie familiale dans toute son horreur. Elle est une coupable toute désignée. Pierre Grimaud, son frère âgé de quinze ans, est le seul survivant.
Hospitalisé, il sort du coma six ans plus tard. C’est Anna Kieffer, la psychologue qui avait déjà travaillé avec sa sœur au moment de l’enquête, qui revient le prendre en charge, bien qu’elle soit éloignée géographiquement. Une longue rééducation et bon nombre de cauchemars attendent encore la victime. Comment se souvenir de cet homme en noir qui revient hanter ses nuits, pourra-t-il se souvenir du coupable ?
Sur près de 300 pages, le lecteur est happé, le scénario est riche de personnages secondaires un peu mystérieux (insuffisamment exploités je trouve, mais leurs failles servent l’intrigue et sèment le doute) pour arriver à une résolution machiavélique de l’enquête.
Fascinante psychopathologie criminelle, servie par un dessin clair et léger, au découpage classique. Un bel album.
Glénat, coll. 1000 feuilles, janvier 2019, 292 pages, prix : 25 €, ISBN : 978-2-344-02807-0