Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mona de Pracontal
Plongez dans ce roman du Grand Nord, une véritable odyssée qui vous immerge sur près de 500 pages dans l’Arctique auprès de Sven, de 1916 à 1946. C’est rude, sincère, véridique, dépaysant, étonnant, bref… découvrez le Spitzberg, la chasse au phoque, les aurores boréales et la vie solitaire de cet ermite qui s’est rarement senti seul. L’aventure et le dépaysement sont garantis avec cet homme attachant à qui l’auteur américain Nathaniel Ian Miller donne magnifiquement vie dans ce premier roman.
J’ai aimé tout particulièrement le début et la fin du roman (sur de longues pages !) qui m’ont emportée dans les liens familiaux et amicaux de ces hommes à la vie si particulière, chasseurs-trappeurs dans le climat hostile du cercle polaire, leurs drames et leur résilience. Si j’ai trouvé quelques longueurs au centre du roman, je ne regrette pas d’avoir persévéré, d’avoir fait la connaissance de Sven le Borgne et de Skuld, et de tous les personnages qui gravitent autour d’eux, avec chacun leur importance quand on sait l’isolement des hommes dans ces bases du Grand Nord. La nature et la solitude sont au premier plan, et pour y survivre il faut avant tout une grande force mentale que Sven a su trouver. Bravo à l’auteur pour ce beau voyage.
Buchet-Chastel, août 2022, 468 pages, prix : 24,50 €, ISBN : 978-2-283-03603-7
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Stéphane Vanderhaeghe Préface de Brian Evenson
Ma première lecture de 2023 est on ne peut plus déroutante. Le genre de livre brillant par le style mais répugnant par l'histoire. On ne peut pas aimer ce livre, on est même parfois tenté de l'abandonner tant il est glauque et dérangeant. Et pourtant, l'écriture dépouillée, précise, et les nombreux non-dits qui font sens pour le lecteur lui confèrent toute sa force.
Sloper est agent d'entretien dans un immeuble de bureaux quelque part aux États-Unis. Il ramasse les déchets des autres (le titre original est waste : déchets, gâchis) et récupère dans les corbeilles les restes de nourriture qu'il mange chez lui le soir, dans la cave qu'il loue dans la maison de sa propre mère. Car Sloper n'a pas accès à l'étage, il vit au sous-sol, et n'a d'échange avec sa génitrice que le loyer qu'il lui glisse sous la porte.
Tout bascule quand il découvre un corps qui bloque le vide-ordures sur son lieu de travail. Je n'en dis pas plus.
Un bijou de littérature dérangeante, qui évoque pour certains Chuck Palahniuk et Bret Easton Ellis (je ne les ai pas lus). Si vous aimez les feel-good books, passez votre chemin sans hésiter !
La préface de Brian Evenson dit très bien ce que j'exprime maladroitement :
p. 10 : "Ordure est un livre dont il faut faire l'expérience - pas un livre qu'on aime. Il faut le traverser, le vivre, le subir même : ce n'est pas quelque chose pour lequel on éprouve du plaisir. Il st doté de cette dimension viscérale avec laquelle il passe en revue, sans la moindre concession, les paramètres implacables d'une froide existence." [...] p. 13 : "Ordure est un livre puissant et original, une réussite majeure, qui montre de manière on ne peut plus authentique toute l'étendue d'un style minimaliste."
Emprunté par hasard en médiathèque où il était sur le présentoir des nouveautés.
Quidam éditeur, janvier 2022, 103 pages, prix : 13,50€, ISBN : 978-2-37491-253-0
Crédit photo couverture : Hugues Vollant et Quidam éditeur.
Kiara Johnson a dix-sept ans et une vie bien loin de l’insouciance adolescente dans ce quartier d’Oakland en Californie. Son père est mort, sa mère est internée, son frère aîné Marcus se laisse vivre en espérant devenir une star du rap, et son petit voisin Trevor, neuf ans, est souvent seul, sa mère junkie étant incapable de l’élever. Ses petits boulots ne suffisent plus à payer le loyer et à nourrir tout le monde. C’est un peu par hasard qu’elle tombera dans la prostitution, y voyant d’abord un argent facile détaché de toute sensation, jusqu’à être prise au cœur d’un réseau mené par des policiers sans scrupules.
C’est une piscine à crottes qui ouvre le roman et en donne le ton. L’ex de Dee, la mère de Trevor, y jette rageusement toutes les crottes de chiens qu’il a pu trouver dans les sacs plastiques des poubelles du coin. Une piscine que personne n’utilise et qui tait une histoire dramatique.
Dit comme cela, ça peut paraître glauque, sordide et déprimant. Et pourtant ! Quelle force dans le personnage de Kia, quelle maturité et beauté dans l’écriture ! D’ordinaire, je ne fais pas de lien avec la personnalité de l’auteur, mais là, il est à noter que ce premier roman a été écrit à l’âge de dix-sept ans, Leila Mottley en a aujourd’hui dix-neuf. Une courte postface de l’autrice explique comment elle s’est inspirée d’un fait réel pour montrer la vulnérabilité et l’invisibilité de ces jeunes femmes noires en danger permanent.
La lumière et l’espoir arrivent néanmoins, même si le roman reste grave… et beau à la fois. L’attachement de Kiara à Trevor et sa force pour l’élever, sa détermination à porter à bout de bras une famille disloquée, sans jamais se plaindre sur son sort, sont éminemment touchants.
Un très beau personnage pour un très bon premier roman.
Extraits :
p. 24/25 : « Maman accusait la prison de la mort de papa, ou plutôt elle accusait ceux qui avaient fait en sorte qu’il finisse là-bas, c’est-à-dire qu’elle accusait la rue. Papa, c’était ni un escroc ni un dealer et d’ailleurs je ne l’ai vu défoncé qu’une seule fois, un jour où il fumait un bang près de la piscine à crottes avec Oncle Ty. Mais peu importe, parce que tout ce que voyait maman c’était l’image du jour où papa s’est fait arrêter, des bouches distordues de ses amis quand les flics se sont pointés et qu’ils les ont plaqués contre les murs. Peu importe ce qu’ils avaient fait ou pas parce que maman avait besoin d’accuser quelqu’un ou quelque chose et qu’elle avait le cuir bien trop fragile pour en vouloir au monde lui-même, pour supporter le cliquetis des menottes, la facilité avec laquelle les flics les ont glissées aux poignets de papa. […]
Le cancer était tellement avancé qu’il n’y avait en fait aucun espoir que ça s’arrange, alors papa a dit non quand maman l’a supplié d’essayer la chimio et la radiothérapie. Il a dit qu’il refusait de partir en la laissant s’endetter à cause de ses factures d’hôpital.
Une mort rapide qu’on a trouvée particulièrement lente. »
p. 30 [avec une copine elles participent à des enterrements pour y manger à leur faim aux buffets] : « Les jours d’enterrement, c’est notre jugement dernier à nous : on joue aux voleuses mais en réalité on cherche juste une excuse à nos larmes, puis on se ressaisit, on mange jusqu’à ne plus en pouvoir et on trouve un coin où danser. Les jours d’enterrement, c’est l’apogée de nos anciens nous, l’occasion d’organiser nos propres commémorations pour ceux qu’on n’a pas enterrés comme il fallait. Masi les enterrements ont toujours une fin et on doit tous retourner à l’effervescence de la vie, alors je respire une dernière fois le parfum de cette pièce et je me relève. »
p. 169 : « Je crois que ce jour pourrait être celui que j’attendais. Le jour où mon frère va décider de redresser la tête et de réapprendre à tenir plus ou moins le coup dans cette vie. Le jour où il va poser sa tête sur mes genoux et me laisser le bercer. Il pourrait même me prendre la main ou me demander pourquoi j’ai des bleus en travers de la poitrine. Il y a des moments comme ça où j’ai l’impression d’être coincée entre la mère et l’enfant. Où j’ai l’impression d’être nulle part.»
Albin Michel, coll. Terres d'Amérique, août 2022, 401 pages, prix : 21,90 €, ISBN : 978-2-226-45664-9
Paradaïze, c’est un complexe résidentiel où vivent de riches familles, quelque part près du golfe du Mexique. Polo, 16 ans, y est employé comme jardinier, contraint par sa mère qui le traite de bon à rien et compte sur lui pour nourrir les siens. Il fréquente Franco, un autre ado obèse et mal dans sa peau, qui lui au contraire vit dans un de ces logements aisés avec ses grands-parents. Franco n’a qu’un rêve, perdre sa virginité avec la belle Marián, une quadra mariée et mère de famille, résidente de Paradaïze.
Mus l’un par une colère intérieure et le besoin d’argent pour sortir de la misère, l’autre par une sexualité bête et crasse nourrie à la pornographie, le récit se profile vers un dénouement qu’on devine fatal.
J’avais choisi ce livre sur des critiques élogieuses, dont cet uppercut : « une claque magistrale ». Je n’aurai pas cet enthousiasme Je m’y suis presque ennuyée, lisant la chronique annoncée d’une misère gigantesque qui côtoie la richesse indécente de quelques autres, faisant naître les drames sociaux dans une escalade de violence.
J’ai eu du mal à accrocher à l’écriture également, le texte est bref je suis allée au bout, mais ce roman ne m’a pas séduite plus que cela.
Grasset, coll. En lettres d'Ancre, mars 2022, 216 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-246-82771-9
En 1964, Patricia Highsmith, célèbre romancière américaine, s’est retirée dans un cottage anglais, dans le Suffolk, pour y écrire tranquille, et y vivre sereinement sa liaison avec une femme, Sam, par ailleurs mariée et mère de famille. Mais le calme recherché ne sera pas de longue durée, car une journaliste lui tourne autour pour écrire sa biographie, sa voisine se montre bien curieuse autant qu’effrayée par son lapin sauvagement égorgé, et le mari de Sam devient un peu trop envahissant. Et Pat semble quelque peu addict à l’alcool….
Alternant style indirect à la troisième personne et récit à la première personne par Patricia Highsmith elle-même, Jill Dawson donne à lire une sorte de documentaire fiction mêlant la vraie vie de l’écrivaine à son roman en train de s’écrire. Les frontières finissent par se brouiller, pour le plus grand bonheur du lecteur qui se délecte des indices donnés pour comprendre peu à peu la construction dans laquelle il est embarqué. Et il faut bien avouer que c’est plutôt brillant, le tout étant le roman malin et abouti de Jill Dawson, ce sang d’encre, the crime writer dans son titre original.
Dans une postface sous forme de remerciements, l’autrice – Jill Dawson – donne toutes les références aux textes de Patricia Highsmith dont elle use dans le roman, sans pour autant jamais les copier directement. Il n’est pas nécessaire de connaître les romans de P. Highsmith pour comprendre l’intrigue, mais nul doute qu’elle vous donnera envie d’aller ensuite les découvrir davantage !
(PS : ne cherchez pas le chat de la couverture dans l'histoire, il n'y en a pas !)
Extrait p. 23 : « -Dans mes livres ce sont l’attente, l’atmosphère qui dominent. Je n’écris pas de romans policiers. Comme je vous l’ai dit au téléphone, je n’aime pas ce terme. Mon petit traité doit d’ailleurs s’appeler L’Art du suspense, mode d’emploi. Dostoïevski écrivait des romans à suspense, c’est-à-dire des histoires où l’on sent planer la menace d’une violence ou d’un danger larvé, imminent. C’est dans cette lignée que je me situe. »
Ed. Denoël, coll. & d’ailleurs, février 2018, 374 pages, prix : 21,50€, ISBN : 978-2-207-13672-0
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Florence Moreau
J’avoue, j’ai choisi ce livre pour son titre et sa couverture principalement, et la promesse qui en était faite d’un « doux parfum d’Iran ».
L’histoire s’annonce classique : des amours contrariées. L’ouverture par la fin, en 2013, d’une femme âgée qui rend visite à son amour de jeunesse en maison de retraite, nous annonce dès lors que leur histoire ne s’est pas concrétisée comme elle aurait dû.
Retour en 1953 à Téhéran, aux balbutiements de leur amour, protégé par un libraire qui les abrite dans sa boutique le temps de leurs rencontres mal vues des parents du jeune homme. Bahman est un jeune activiste politique, Roya une étudiante ambitieuse dans un milieu qui encourage la place de la place dans la société. Leurs fiançailles sont teintées d’amertume par l’attitude de la mère de Bahman. Rien n’ira comme prévu, et en plein coup d’État politique, ils se perdront de vue et construiront chacun une nouvelle vie aux États-Unis, avant de se retrouver dans le premier chapitre qui ouvre le roman sur le crépuscule de leur existence.
L’autrice dénoue l’intrigue avec parfois quelques longueurs ; les personnages secondaires sont intéressants, la position accordée à la femme également, je regrette toutefois quelques artifices un peu mielleux, et que le contexte iranien soit abordé de façon superficielle.
Je ne sais comment qualifier ce roman : une romance, un feel-good ? Une ambition plus littéraire que quelques grosses ficelles ne suffisent pas à élever ?
A conseiller à ceux qui veulent avant tout une histoire d’amour.
Hauteville, août 2021, 380 pages, prix : 18,90 €, ISBN : 978-2-38122-367-4
Liz travaille aux urgences pédiatriques et s’y voit déstabilisée quand elle ausculte Betsey, dix mois, la fille d’une de ses amies, arrivée tardivement pour un traumatisme crânien qui révèle une fracture. Maltraitance ? Liz n’y croit pas tant elle sait l’amour que son amie Jess porte à ses trois enfants.
Mais connait-on vraiment ses proches ? Son chef ne lui laisse pas le choix et lance la machine policière et judiciaire de l’aide sociale à l’enfance.
Le prologue qui donne la parole à Jess laisse peu de doute au lecteur : peut-on avoir envie de voir disparaître son enfant ? de lui faire du mal ?
L’intrigue semble ténue et s’annonce donc longue (plus de 400 pages) mais elle s’applique à dénouer avec justesse et précision le mécanisme de la dépression post-partum, de la charge mentale et de la solitude qui pèsent souvent sur les jeunes mères aujourd’hui. Les allers-retours avec la vie personnelle de la pédiatre Liz enrichissent le propos.
Bien sûr la réalité sera un peu plus complexe que le prologue le laissait entendre, l’autopsie du drame se veut minutieuse. Le dernier twist me semble hélas si peu crédible qu’il dévalorise un peu l’ensemble mais cela n’engage que moi.
A lire si vous aimez Desperate Housewives et les sujets qui ont trait à la maternité, évitez toutefois si vous êtes enceinte ou toute jeune maman !
Traduit du néerlandais (Pays-Bas) par Daniel Cunin
Lauréat de l’International Booker Prize en 2020, ce roman de la jeune Marieke Lucas Rijneveld (29 ans à l’époque) interpelle et impressionne fortement. C’est un roman sombre, à la fin surprenante et courageuse.
La narratrice, surnommée Parka du fait qu’elle ne quitte plus sa parka, s’en veut depuis la mort accidentelle de son frère sur le lac gelé, alors qu’elle venait de prier Dieu de le prendre lui plutôt que son lapin qui allait certainement passer à la casserole pour Noël. Comment vivre après cela ?
C’est bien tout le drame de cette famille protestante qui élève des vaches à la campagne, et chez qui la parole est difficile. Chacun tait ses souffrances. Les tourments vont s’ajouter les uns aux autres, et la petite fille s’enfermer dans un imaginaire débridé et des passages à l’acte sordides. Il faut avoir le cœur bien accroché sur tous ces passages relatifs à la scatologie (voire à la scatophilie), à l’inceste, au viol, à la violence.
Ils rendent la lecture extrêmement dérangeante, mais participent de la force du personnage, qui en devient inoubliable, jusque dans la fin en apothéose.
Buchet Chastel, août 2020, 286 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-282-03336-4
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Caroline Bouet
Une maison d’été entre amis au bord d’un lac. Les ados et enfants se rebellent normalement face à leurs parents, mais cela ira bien plus loin, face au comportement totalement indolent et insouciant des adultes qui privilégient leurs petits plaisirs personnels : alcool, drogue et sexe.
Quand une tempête cataclysmique s’annonce, les enfants prennent les choses en main, écœurés et inquiets de l’absence de réactions appropriées de leurs parents. Le récit bascule dès lors dans une atmosphère post-apocalyptique. On pense inévitablement à Dans la forêt de Jean Hegland, ou la route de Cormac McCarthy. Entre fuite et survie, les jeunes ont pris la place des adultes qu’ils rendent responsables de tout ce qui arrive, tant à la planète qu’à leur groupe.
Le thème n’est pas nouveau mais il apporte une écriture et un point de vue neufs qui rendent saisissant ce roman, notamment par quelques scènes inoubliables. Je me suis parfois perdue dans les nombreux personnages mais celui d’Evie qui mène le récit est un bon point d’ancrage pour entrer dans ce « monde à l’envers ».
Ed. Les Escales, août 2021, 256pages, prix : 21 €, ISBN : 978-2-36569-570-1
Cinq histoires de vie, celles de Paula, Judith, Brida, Malika et Jorinde, toutes dans la quarantaine. Toutes différentes, leurs parcours amoureux, de mère, de femme, se succèdent dans le récit et se relient, car elles se connaissent les unes les autres. Elles sont libraire, médecin, écrivain, professeur de violon, actrice, et racontent leurs rapports aux hommes, à la famille, leur ambition professionnelle et personnelle, leur difficulté à accomplir leur choix, la place des enfants dans le couple…
Un roman intimiste qui démarre lentement, l’écriture est simple et d’emblée se présente comme une évidence : précise, élégante, elle traduit toutes les émotions des personnages. Contemporain, sociétal, j’ai vraiment beaucoup ce roman !
Albin Michel, Août 2021, 327 pages, prix : 19,90 €, ISBN : 978-2-226-44921-4