L'obscurité du dehors - Cormac McCarthy
Traduit de l’américain par François Hirsch et Patricia Schaeffer
C’est l’histoire terrible et sombre d’un inceste et d’une quête éperdue à travers un paysage quasi apocalyptique (déjà, en 1968, on avait la même atmosphère de désolation et d’obscurité que dans la Route). Rinthy Holme est sur le point d’accoucher, seule dans leur cabane au fond des bois loin de tout voisinage, et elle demande à son frère Culla d’aller chercher la sage-femme. Celui-ci refuse, car cela ferait jaser. On comprend vite la situation d’inceste et l’on assiste horrifié à l’accouchement difficile et solitaire de la jeune femme (quelle force narrative dans le récit de McCarthy !) Epuisée elle s’endort et son frère part abandonner le bébé dans les bois, à son réveil il lui annoncera qu’il était mort. Mais ne retrouvant pas son corps, elle est persuadée qu’il l’a donné à ce colporteur qui passait parfois et qui est passé ce jour-là.
Rinthy n’aura de cesse de retrouver son bébé alors que Culla fuit de son côté.
Quelle horreur et quel talent se dégagent à la fois de ce roman profondément noir de McCarthy ! Dans ces bois opaques et denses, au milieu de nulle part, des êtres miséreux et parfois difformes errent en n’ayant pour communication que la violence et la barbarie. Alternant la narration de la quête de Rinthy et du parcours de Culla, on assiste à des scènes presque surréalistes d’une noirceur éprouvante, se demandant quelle sera la chute et si la lumière sera à l’orée du bois. McCarthy traduit à merveille dans son écriture la pauvreté matérielle et intellectuelle de ces hommes, et multiplie les références bibliques, le Bien et le Mal, le péché originel, le mensonge, l’expiation. Un roman sans espoir mais dont la force montre à quel point Cormac McCarthy est – vraiment – un grand écrivain.
Un passage pris au hasard (qui n’a rien d’horrible) :
p. 129 : « Il continua une fois que le soleil fut couché. Il n’y avait plus de maisons. Plus tard une lune se montra et la route se déroulait devant lui, crayeuse et vaporeuse à travers les bois obscurs. Les pépieuses des marais se taisaient invariablement à son approche et recommençaient derrière lui comme s’il s’était déplacé dans du vide insonorisé. Il tenait un bâton à la main et il en tâtait chacune des petites ombres couchées à plat ventre à travers lesquelles il passait mais sa route ne contenait que des formes des choses.
Quand il arriva à Preston Flats la ville lui parut non seulement déserte mais abandonnée, comme balayée et décimée par la peste. Il s’arrêta au centre de la place où les empreintes de l’activité humaine étaient visibles tout autour de lui, fossilisées dans la boue sèche. Il tournait sur lui-même, personnage d’amphithéâtre dans ce désert labouré par la lune, enchaîné à une ombre qui se débattait violemment dans la poussière »
Actes Sud, 1991 pour la traduction française, 235 pages, prix : 20 €
(Existe en poche)
Titre original : Outer Dark, première édition en 1968
Etoiles :
Crédit photo couverture : © Actes Sud