La bâtarde d'Istanbul - Elif Shafak
Traduit de l’anglais (Turquie) par Aline Azoulay
Je ne sais par où commencer tant ce livre est riche et savoureux, retors et malicieux.
Le début donne le ton, Zeliha Kazanci se rend chez son gynécologue, à Istanbul, pour avorter. Mais parce qu’Allah se manifeste curieusement à elle, elle renonce, et donnera naissance à la petite Asya, dont on ignore tout du père, celle qui sera donc « la bâtarde d’Istanbul ». Curieuse famille que ces Kazanci, où les sœurs sont toutes un peu foldingues et les hommes meurent prématurément : aucun ne dépasse les 41 ans. Mustafa, seul garçon de la famille, part aux Etats-Unis.
En parallèle, une famille arménienne - américaine : Rose, américaine du Kentucky, divorce de Barsam, arménien survivant du conflit turco-arménien de 1915. Elle emporte avec elle leur fille, Armanoush, et se remarie avec un Turc, Mustafa Kazanci. Voilà qui dans la communauté arménienne passe très mal !
Jeune étudiante, Armanoush Tchakhmakhchian va enquêter sur son passé, revenir en Turquie pour revoir la maison de sa grand-mère, et elle se fait héberger dans la famille de son beau-père, les Kazanci. C’est donc là qu’elle fait la connaissance d’Asya, notre jeune et belle bâtarde d’Istanbul.
Vous suivez ? Les deux jeunes femmes vont s’apprécier, la famille Kazanci va l’enchanter tout autant que l’adorer et elles vont toutes deux découvrir un passé… aux lourds secrets.
L’intrigue est complexe (disons, foisonnante), les personnages nombreux et savoureux, attachants, colorés, drôles, fantasques, il y a un je-ne-sais-quoi dans l’écriture qui fait de ce roman une friandise sucrée qu’on savoure longtemps, et qu’on quitte presque à regrets.
J’ai aimé les titres de chapitres, qui portent tous le nom d’une épice ou d’une gourmandise : cannelle, pois chiches, sucre, noisettes grillées, vanille, etc. jusqu’au cyanure de potassium final. Tous ces éléments prennent bien sûr un sens dans le récit, qui ajoute au ton déjà bien enjoué de l’histoire.
Bref, une très belle découverte !
Extraits :
Armanoush ne peut s’empêcher de dépenser compulsivement un mois d’économies en achats de livres :
p. 97 : « Armanoush Tchakhmakhchian regarda le caissier de la librairie empiler dans son sac à dos, pendant qu’ils attendaient l’acceptation de son paiement par carte de crédit, les douze romans qu’elle venait d’acheter. Quand il lui donna le reçu, elle le signa en évitant de regarder le montant total de ses achats. Elle avait encore dépensé un mois d’économies en livres ! C’était une véritable papivore ; un trait de caractère qui ne lui valait rien de bon, puisqu’il était sans intérêt pour les garçons et qu’il contrariait sa mère qui espérait la voir mariée à un homme fortuné. »
p. 101 : « Tu sais, le mot FIN n’apparaît jamais quand tu termines un livre. Ce n’est pas comme au cinéma. Quand je referme un roman, je n’ai pas l’impression d’avoir terminé quoi que ce soit, si bien que j’ai besoin d’en ouvrir un autre (…) »
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de Elle 2008, dans la catégorie romans.
Phébus, août 2007, 319 pages, prix : 20 €
Ma note : 16/20
Crédit photo couverture : éd. Phébus et Amazon.fr, photo de Richard Hamilton Smith, la mosquée bleue : reflets des minarets, Istanbul (détail).