La grand-mère de Jade - Frédérique Deghelt
Ce que je garderai d’abord de cette lecture, c’est une infinie douceur, qui court sur près de 400 pages. Puis cette humanité qui réchauffe le cœur et cet amour souvent redit pour la lecture.
Jade prend sous son aile sa grand-mère Jeanne, qui a fait un malaise seule chez elle, et que ses filles très occupées veulent placer en maison de retraite. Jade vient de rompre avec Julien, elle est journaliste indépendante, elle ne sait pas encore comment elle s’organisera, mais elle embarque en douce sa grand-mère dans son appartement parisien.
Au fil de l’histoire on découvre une grand-mère qui a cultivé un vice caché : la lecture. Vaste gourmandise pour la littérature, la découverte, les auteurs… En secret parce que pour une femme de sa condition, à la campagne, la lecture est considérée comme une perte de temps. Et voilà que Jade écrit un roman qui se voit refusé par les éditeurs. Mais Mamoune, sa grand-mère octogénaire, a tellement lu qu’elle pourrait peut-être bien l’aider un peu à retravailler son texte…
Malgré toutes les qualités humaines du récit, il m’a parfois semblé un peu redondant, un peu lisse aussi, parfait et gentil (même si ça fait du bien de croire qu’une telle histoire pourrait être vraie), bref, pas aussi bon que ce que j’avais pu lire de Frédérique Deghelt jusqu’à présent. (cf mes billets sur la vie d’une autre et sur Je porte un enfant et dans mes yeux…)
Et puis il y a l’épilogue. Celui qui met fin à l’histoire et vous renverse totalement. Elle a sacrément du talent, Frédérique Deghelt, c’est certain !
J’ai aimé :
p. 49 : « Quand je lui raconte mon histoire, je la sens très loin de moi. Et comment pourrait-elle comprendre que lire, à mon époque, c’était avant tout dépenser de la lumière, perdre son temps à ne rien faire ?
Je suis entrée dans les livres par effraction, sans l’instruction qui donne le goût et l’aptitude à la lecture. En ouvrant des livres, j’ai choisi la pire chose qu’une femme de mon milieu puisse faire. J’ai contemplé un monde qui m’était interdit. J’avais parfaitement conscience que ce n’était pas le mien. Je l’ai contemplé longtemps. Puis j’ai refermé la porte, mais il m’était désormais impossible d’oublier ce que j’avais entrevu : un espace immense dont je ne pourrais plus me passer. »
p. 163 : « Je suis une lectrice. Je ne serai jamais capable d’écrire le moindre texte, mais quand je lis le roman d’un écrivain, je suis toujours frappée de ce regard singulier : cette façon de saisir la banalité et d’en rendre compte sous un angle insolite, cet art de tisser un lien entre des choses qui n’ont pas l’air d’en avoir. Plus il m’emporte dans une histoire qui semble vraie, plus il est insaisissable. »
p. 348 : « Ainsi les écrits pour ne point dire les écrivains formeraient une farandole qui fait danser nos vies, aide à comprendre, à cheminer et parfois à mourir. […] J’ai lu adossée à la vie réelle, j’ai lu contre quelque chose dont je ne voulais pas. Ce que je sais de meilleur, je croyais que c’était les livres qui me l’avaient appris, mais je n’en suis plus si sûre aujourd’hui. »
p. 372 : « Albert m’a aujourd’hui expliqué que la plupart des lecteurs de romans sont des lectrices et je crois moi que si les femmes lisent tant c’est parce qu’elles peuvent entendre ce qui n’est pas dit et qu’elles n’ont jamais peur que les sentiments laissent sur elles ces traces qui existent déjà dans leur cœur. »
Et comme Cuné, à tort ou à raison, je ne sais pas ce qui a conduit l’auteur à ce personnage, j’ai voulu voir dans le personnage de l’éditeur un bel hommage à Hubert Nyssen. Parce que tout y concourt et correspond à l’image que je me fais de cet homme.
Les lectures de Cuné , Clarabel, Anne, Michel, Marie, ...
Actes Sud, coll. Un endroit où aller, janvier 2009, 391 pages, prix : 21 €
Ma note :
Crédit photo couverture : © Jonathan Viner et éd. Actes Sud