Les vies extraordinaires d'Eugène - Isabelle Monnin
Quel beau livre que ce premier roman d'Isabelle Monnin ! Au premier abord, on pourrait imaginer que c'est un énième roman sur la perte d'un enfant (il y a eu Laurens, il y a eu Darrieussecq, il y a eu leur polémique, il y a Forest, etc.) et pourtant non : il y a réellement un nouveau regard dans ce récit, quelque chose de plus et de différent.
Eugène est né grand prématuré au sixième mois de grossesse et malgré tous les soins apportés, n'a pas survécu, victime d'une maladie nosocomiale, un staphylocoque doré que les médecins n'ont pu soigner. Ses parents sont effondrés, anéantis, bien évidemment. Sa mère ne parle plus, « parce qu'il n'y a plus rien à dire » et son père se fait l'historien de la vie de leur
fils trop tôt perdu. Avec la méticulosité de son métier, il rédige l'histoire de la vie d'Eugène, mais c'est toujours trop court, tout est dit en quelques lignes, quelques pages, au mieux. Alors il cherche autour de lui, rencontre ceux qui auraient été ses compagnons de crèche, de jardin public, etc. pendant que sa femme, toujours silencieuse, coud des pantalons de velours rouge, de toutes les tailles, de celles qui auraient vu grandir son fils...
Donner la parole au père est une approche que j'ai aimée d'emblée, peut-être parce qu'elle est moins courante justement que les récits qui donnent le point de vue de la mère. Pourtant, elle est bien présente cette mère, « Elle », jamais autrement nommée, et on assiste impuissant à ce qui semble être une bascule dans la folie. Le père souffre du décès de son enfant, mais aussi de son impuissance à voir revenir à la raison son épouse. Cette tension est un fil conducteur du roman aussi : reparlera-t-elle ?
Et puis le père dans son travail d'écriture amène aussi les grands-parents d'Eugène, et son propre grand-père qui se meurt, âgé, malade, ayant perdu la mémoire. Les pages sur l'échange entre le père et le grand-père sont très fortes, très belles aussi.
Et la lettre finale de la mère qui s'exprime enfin (par écrit !), s'adressant à son tout-petit... Quelle richesse et émotion dans le choix des propos ! Et puis une fin, autre encore, un prolongement, qui tient plus du procédé de création romanesque, qui laisse une porte ouverte à l’imagination du lecteur, qui font de ce premier roman un vrai roman riche de sens et de qualités.
Si au départ j'ai eu peur de l'écriture que je trouvais un peu hachée, des transformations orthographiques/phoniques de certaines références parfaitement identifiables malgré tout, la démarche de ce père en proie avec sa douleur a vite gagné mon intérêt et mon enthousiasme.
Un bon premier roman de cette rentrée littéraire.
Merci à et aux éditions JC Lattès pour le partenariat qui m'a permis de découvrir ce livre, et une pensée émue pour l'auteur que j'ai rencontrée ce midi très rapidement. Ce n'est jamais facile d'aller vers un auteur (pour moi du moins), que lui dire d'original et d'intelligent, mais j'ai aimé ce bref échange.
Ed. Jean-Claude Lattès, août 2010, 231 pages, prix : 17 €
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Crédit photo couverture : © Claire Garate pour la photo du bandeau, et éd. JC Lattès