Les jardins d'Hélène

Ce que nous désirons le plus – Caroline Laurent

9 Septembre 2022, 19:05pm

Publié par Laure

Ce récit de Caroline Laurent fait référence à son premier ouvrage, co-écrit avec Évelyne Pisier, Et soudain, la liberté, que j’avais beaucoup apprécié.

Le 4 janvier 2021, Caroline Laurent découvre qu’Évelyne Pisier, son amie décédée en 2017 avant la fin de leur livre écrit ensemble, savait et n’a rien dit de ce qui défraie dès lors la chronique : l’inceste dont fut victime son fils, infligé par son beau-père l’homme qui était alors son deuxième mari (l’affaire est racontée par sa fille par Camille Kouchner dans son récit intitulé la familia grande.)

Pour Caroline Laurent, c’est un coup de massue d’une rare violence. Après avoir surmonté le deuil, c’est le deuil d’une amitié qu’elle croyait sincère qu’il faut endurer, et l’incapacité d’écrire à nouveau. Le pourra-t-elle un jour ?

J’ai abordé ce livre comme toujours sans en avoir lu la quatrième de couverture et sans savoir de quoi il parlait. Ayant beaucoup aimé son précédent roman également (Rivage de la colère) j’avais fait mon choix sur son seul nom d’autrice. J’ai donc été un peu perdue et déstabilisée. Il ne s’agissait vraisemblablement pas d’un roman, et je ne comprenais pas de quoi elle parlait. (Car jamais elle ne citera de nom, c’est le rappel de son premier livre qui fera le lien et internet qui m’apportera la réponse) Mais son texte, si personnel, si beau, m’a plu d’emblée. Il reste intimiste et touche au deuil, à la création, à la trahison. Suivre le cheminement de ses pensées et son avancée pour retrouver le désir et la capacité d’écrire est intéressant car superbement écrit (elle a donc amplement réussi !)

L’ouvrage reste difficile à conseiller en bibliothèque je trouve, car ce n’est pas un roman, et il a trait à un point particulier de la vie et de l’œuvre d’une écrivaine et éditrice. Je crois qu’on l’appréciera mieux si l’on a déjà lu Caroline Laurent auparavant, et notamment son premier livre, Et soudain, la liberté. Bien sûr la trahison reste un sujet universel mais son lien étroit à l’écriture ici ne le rend pas si facile à partager.

 

Quelques extraits :

p. 14 / 163 (numérique) : « Au départ, il m’a semblé que la meilleure façon de restituer la catastrophe consisterait à raconter point par point la journée du 4 janvier. J’ai fait machine arrière. Au fil des détails ma plume s’encrassait, je veux dire par là qu’elle devenait sale, douteuse – journalistique. Sans doute servait-elle à un public abstrait ce que celui-ci réclamait : de l’affect et du drama. Je ne veux pas de drama.

Consigner des instantanés me paraît plus juste, parce que plus proche de ce que j’ai vécu. Ces éclats sont à l’image de ma mémoire fragmentée. Ils me poursuivent comme une douloureuse empreinte – la marque d’une mâchoire humaine sur ma peau. »

 

p. 17 / 163 (numérique) « Le chagrin est un pays de silence. On le croit à tort bruyant et démonstratif, mais c’est la joie qui s’époumone partout où elle passe. Le chagrin, le vrai, commence après les larmes. Le chagrin commence quand on ne sait plus pleurer. »

 

p. 57/163 (numérique) « Je me suis souvent demandé si je voulais écrire ce que je vivais, ou bien si je vivais ce qui me permettrait d’écrire. Je n’ai pas la réponse. A mes vingt-huit ans je n’aurais jamais pensé vivre une folle histoire d’amitié avec un livre, pas plus que je n’aurais imaginé revenir dessus cinq ans plus tard, toujours dans un livre. Suis-je le fantôme de moi-même ? Aux extrémités de la corde qui enserre mon cou, deux textes sont là qui disent la perte, mais la perte a changé de nature. Après avoir perdu un être de chair, j’ai perdu un être de fiction. Ecrire est une folie. (…) Vaille que vaille, cependant, quelque chose lutte en moi. Appelons ça le désir. Lui seul nous tient debout. Il est notre illusion suffisante. »

 

p. 136/163 (numérique) : « L’amour, la mort 

Et rien que des mots pour en témoigner. Comment les deux pôles de l’existence peuvent-ils se confondre à ce point ?

Pauvreté du langage.

Un jour nous naissons. Un jour nous mourons.

La vie est ce qui nous échappe entre deux dates que nous ne choisissons pas. »

 

 

 

 

 

 

Les escales, août 2022, 208 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-36569-582-4

 

 

Crédit photo couverture : © Hokus Pokus créations et éd. Les Escales.

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