Irène sur le plancher des vaches - Frédéric Michaud
En dix courts chapitres qui sont autant de nouvelles, Frédéric Michaud évoque la vie du petit village d’Abbéfontaine, dans le Jura, et la disparition de ses paysans, par autant de petits sauts de cinq ans de chapitre en chapitre, des années 60 à 2005.
1960, Irène Gauthier est une enfant qui avec ses sœurs passe ses week-ends à aider son père à l’épierrage des champs. Que ces cailloux à enlever avant le passage du tracteur pèsent lourds ! Et comme elle préfèrerait vivre sa vie d’enfant à jouer et à rêver plutôt qu’à aider aux champs ! D’emblée, Irène m’a touchée, car des adultes aujourd’hui encore marqués par cette activité lorsqu’ils rentraient du pensionnat en fin de semaine, qui en voulaient à leurs parents sans oser le dire, j’en ai connus, qui en parlent encore, et j’ai retrouvé dans ce récit de Frédéric Michaud toute la réalité d’une époque et d’un milieu de vie. J’ai quitté Irène à regret, espérant la retrouver quelques chapitres plus loin, ou au moins à la fin (ce qui est le cas, je vous rassure). Et l’auteur nous offre ainsi des tranches de vie de ce petit village jurassien perdant au fil des lustres ses paysans, l’agriculture se mécanisant, se modernisant, s’intensifiant, vouant à la disparition les petites fermes familiales et la campagne à un dortoir pour citadins en mal de verdure.
Ah qu’ils sont attachants ces personnages et comme on aimerait les suivre plus longtemps ! La vieille fille Perticoz en 1965, la Madeleine Tush et l’opération bol de riz pour l’Ethiopie en 1985, tous les habitants du village qui répondent à l’invitation du prêtre à venir partager un bol de riz et offrir en aumône la différence financière d’un repas normal, pauvre prêtre qui les voit tous débarquer avec leurs cocottes de riz au lard, leur lapin à la moutarde, c’est qu’à la campagne, on a besoin de plats qui tiennent au corps ! Et l’Ethiopie, va savoir où c’est ! Et la difficulté de cette fille qui tente de dire à sa mère qu’elle s’est séparée de son conjoint et cette mère qui ne veut rien entendre, focalisée sur la « nouvelle » cuisine de sa fille (1990).
J’ai une tendresse particulière pour ce livre de Michaud, pour sa construction originale, pour sa façon si perspicace de décrire la vie, les faiblesses et les défauts de ses personnages. Comme j’aurais aimé que ce livre soit plus long !
p. 68 : « Madame Bluem était née à Abbéfontaine et y avait toujours vécu, mais elle l’avait toujours vu « d’en bas ». D’ici, la vue n’était pas seulement dominante, on découvrait l’arrière des maisons, une vie cachée faite d’épaves de voitures, de clapiers, de balançoires, de fil à linge et de petites constructions annexes ayant échappé à tout permis de construire. C’était un terreau d’informations sur la vie des gens. » Et ce terreau, Michaud le cultive à merveille. Irène sur le plancher des vaches est son premier roman ; on ne peut que souhaiter qu'il y en ait d'autres.
Ed. Delphine Montalant, septembre 2009, 106 pages, prix : 15 €
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Crédit photo couverture : © Catherine Mantelet et éd. D.Montalant