Les jardins d'Hélène

Géographie de la peur - Claire Castillon

2 Mai 2024, 10:51am

Publié par Laure

Maureen souffre de TAG (trouble anxieux généralisé) et d’agoraphobie. Toute sortie est une épreuve insurmontable et à 19 ans, se rendre à la fac est compliqué. Un échec même. Impossible de mener une vie normale, de sortir avec ses amis, d’avoir un petit ami. Malgré sa patience, même sa mère finit par s’énerver. Seul le temps passé chez le psy semble être un moment privilégié, encore faut-il pourvoir parvenir jusqu’à sa porte.

Comme j’aurais aimé lire ce livre il y a 30 ans ! Bien qu’il soit publié dans une collection pour adolescents, ce roman traite d’un sujet rarement abordé en fiction : le trouble anxieux généralisé doublé d’agoraphobie, et l’enfer qu’il fait vivre au quotidien (et pas qu’au malade !) : cette histoire est une bouée salvatrice pour qui aimerait comprendre ce qui lui arrive ou arrive à son ami.e., pour ne plus entendre ou dire : « c’est de l’anxiété, c’est psychologique, arrête ton cinéma et bouge-toi », etc.

On se demanderait même s’il n’y a pas un fond autobiographique dans ce roman tant il sonne juste. Bien sûr il y a les parents désemparés, le frère cash mais protecteur, les potes qui ne comprennent pas, les amis qui finissent aux abonnés absents, le psy(chanalyste) qu’on a envie de baffer (désolée je n’ai foi que dans les psychiatres qui pratiquent les TCC), et ce Jérôme un peu trop mature pour son âge mais il faut bien qu’il y ait du positif dans l’histoire !

Une issue surprenante mais intéressante pour ce court roman qui met en lumière une maladie invisible mais handicapante, avec précision et humour !

Merci à Claire Castillon d’avoir mis sur le papier cette géographie de la peur qui définit si bien tous les espaces que l’angoisse envahit. Un roman précieux.

 

Extraits : p. 14 : « Si je souffrais des séquelles d’un AVC, les gens formeraient un groupe de soutien WhatsApp. Je serais la fille dans la cour qui a des béquilles et que tout le monde entoure, afin de lui emprunter ses cannes mais aussi pour faire partie des gentils. Au contraire, les visages se ferment. Mon problème n’est pas attrayant comme des béquilles et il m’isole. Peut-être parce qu’il n’y a pas de mots pour expliquer mes crises, à part « agoraphobie » qui entraîne généralement un « C’est quoi ? » ou un « Je vois ». Le « Je vois » sort d’une personne qui connaît le mot « phobie » et le méprise, parce que c’est psychologique. D’ailleurs, la personne le dit : « Je vois, c’est psychologique ». Je peux aller me rhabiller avec mon truc qui n’existe pas. Quelquefois je m’humilie devant ces personnes en expliquant que j’ai aussi un TAG, Trouble Anxieux Généralisé, bien pire qu’une maladie, et que je rêverais de souffrir d’un mal plus concret. Afin de montrer combien c’est invivable, je réunis dans une même phrase les mots « angoisse », « vertige », « dédoublement », « film d’horreur », « image saccadée », « son d’aquarium », et quand j’arrive à « déréalisation », je les perds. Ainsi, ils n’ont pas le temps d’entendre « dépersonnalisation », et c’est peut-être mieux, parce que Nissa, la dernière personne qui m’a écoutée jusqu’au bout, m’a répondu quelque chose qui ne m’a pas tellement aidée : « De toute façon, depuis le primaire, on te trouve bizarre, ça doit venir de là. »

 

 

 

Gallimard jeunesse, coll. Scripto, février 2024, 164 pages, prix : 10,50 €, ISBN : 978-2-07-519639-0

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Gallimard Jeunesse

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A
Ah, les fameux handicaps invisibles... c'est en quelque sorte une "double peine". <br /> A en juger par l'extrait que tu as choisi et malgré tes (très) légers bémols, je sens que je vais lire tout ça avec gourmandise.
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