Bonheur fantôme - Anne Percin
« Chacun a ses fantômes. Plus ou moins gênants, plus ou moins envahissants, plus ou moins agréables à croiser. Je suis loin d'être le seul, chacun cache le sien qui finit par se trahir si on y regarde bien. » (p.176).
Parfois lors d'une lecture, sans que l'on sache vraiment pourquoi, une alchimie parfaite se forme entre le texte
et le lecteur. J'ai aimé plus que tout cette lecture, j'ai eu envie de la faire durer, j'ai envie de la prolonger, en retrouvant le personnage (10 ans plus jeune) dans un roman précédent,
Point de côté, chez Thierry Magnier en 2006.
Bonheur fantôme est le premier roman d'Anne Percin en littérature générale (dite « adultes » chez nous les bibliothécaires) mais elle a
déjà publié quelques livres en jeunesse.
Pierre, 28 ans, quitte tout sur un coup de tête, son job, ses amis, son amour, Paris, pour aller s'enterrer au fin fond de la Sarthe, dans une vieille maison achetée une bouchée de pain en bord de route, quelque part du côté de la Flèche. L'auteur a beau dire dans une interview ne pas connaître la Sarthe, elle la décrit très bien, cette campagne où je vis, et je les visualise bien, ces maisons et ces vieux voisins... Sans doute parce qu'au final la vie rurale est un peu partout la même ?
Pierre s'installe et pour tenter de vivre à peu près, fait des brocantes, et sympathise avec le cafetier du coin, et Paulette, sa voisine. Mais Pierre n'oublie pas ses premières amours, la philosophie, la thèse ébauchée sur Simone Weil, et surtout son projet d'écrire la biographie de Rosa Bonheur, artiste peintre du XIXème un brin oubliée, avec qui il se sent des affinités particulières.
Au fil du texte et de la mélancolie (qui n'a pourtant rien de triste, il y a des scènes très drôles : ah le
dépeçage du lapin !! inoubliable !), ce sont comme plusieurs petites histoires qui se recoupent pour n'en reconstruire plus qu'une, celle de Pierre, et des siens.
Roman d'amour et d'écriture, profondément ancré dans la vie comme je les aime, Bonheur fantôme est un bijou à garder précieusement, tout en humanité et sensibilité, avec un voile de pudeur qui lui fait honneur.
Mon premier vrai coup de cœur de l'année.
p.134 : « Et comme je ne sais pas encore hurler, je tâche de transformer ce bruit en mots. J'essaie d'écrire, c'est tout ce que j'ai. Mais écrire, ce n'est pas oublier. Écrire ne console pas, écrire ne ment pas. Écrire, c'est vivre, vivre, vivre, c'est exister encore plus, encore plus fort, et la souffrance, loin de s'effondrer, monte en puissance dans les poumons de mots et crie de toutes ses forces. »
p. 158. « Quand je respire à fond, mes narines sont saturées de l'odeur des vieux livres. Je respire le dix-neuvième siècle. J'ai l'impression d'être dans une boule qu'on retourne, où tombe une neige synthétique.
C'est une drôle de bulle, un drôle d'univers. J'ai créé autour de moi un rempart fait de ruines, avec fortifications littéraires, fondations enfantines, tour de guet philosophique, meurtrières ironiques. Bien malin qui m'en délogera. Je suis bien parti pour finir vieux garçon, finalement. Ou fou, comme Adèle Hugo. Quand je reconnais chez elle certains symptômes, je referme le livre précipitamment. Imagination délirante, sentimentalisme exacerbé, sensibilité maladive, pressentiment d'une destinée d'exception et, à l'égard du frère ou de la sœur perdus, un mélange oppressant de culpabilité et de rancune... En plus, elle aimait passionnément la musique. Encore une victime du piano. C'est un instrument dangereux, comme un amant terrible. »
Il en parle très bien et renvoie vers d'autres liens : le billet d'ICB
Edit du 01/02 : et comment avais-je pu manquer
ça, chez Laurent toujours ? !!
Rouergue, collection La Brune, août 2009, 219 pages, prix : 16,50 €
Etoiles :
Crédit photo couverture : Franck Secka et Christophe Paquet, éd. Du Rouergue.