Holden, mon frère - Fanny Chiarello
Lu juste après Prends garde à toi, publié un an après ce titre, les deux romans se répondent, abordant des thèmes similaires (la place de la culture et son accès selon sa condition sociale), en prenant ici l'exemple inverse. Si Louise était brillante et choyée dans une famille aimante et socialement élevée, c'est tout le contraire pour Kevin, 15 ans, qui préfère se réfugier à la bibliothèque (parce qu'il y fait chaud et qu'on ne lui demande rien) que de rentrer dans sa famille bancale, père qui disparaît pendant des semaines, mère sur les nerfs, frères indifférents. Kevin ne s’est même jamais posé la question de la lecture tant le livre n'a pas sa place dans la maison, jusqu'à ce qu'une mamie énergique croisée à la bibliothèque lui mette en main L'attrape-cœurs de Salinger, puis le guide dans ses lectures, résonances parfaites à son adolescence.
décor, p. 8 : « Ma classe compte trois des types les plus populaires du collège. Deux d'entre eux sont Guillaume et Brandon ; ils ne se sont jamais quittés, de la maternité à la troisième. Ils ont redoublé le CP ensemble, pris leur première cuite ensemble au CM2, et passé leur première garde à vue ensemble, cet été, quand ils ont fracturé une voiture pour voler un paquet de cigarettes vide sur le tableau de bord. La troisième gloire de la classe est Loïc Huc. Il est moins extravagant que les deux autres mais tout le monde lui voue une crainte mêlée de fascination. S'il frappe sa mère, rien ne peut l'arrêter. Inégalable. Je dois mon incisive fêlée à son vigoureux coup franc. »
Autant dire que dans cette ambiance, le travail scolaire et la lecture ne sont pas des priorités.
p. 67 : « Dans notre collège, il est mal vu d'aimer les bouquins, mais ne pas savoir lire est tout aussi infamant. Un subtil dosage. »
Kevin va se lier d'amitié avec Laurie, l'intello de la classe qui fréquente aussi la bibliothèque, mais pas pour les mêmes raisons ! Ce roman retrace le parcours d'un jeune garçon pour qui tout n'est pas perdu, quand on place sur sa voie les bonnes personnes, et combien la littérature peut-être une béquille, un moyen d'évasion, une ouverture sur le monde, un lien entre générations. Pourtant, j'ai moins aimé ce roman que « Prends garde à toi », peut-être parce que si pour Louise, le style était parfaitement adapté, je trouve ici que l'expression de l'auteur est un peu trop parfaite encore pour coller au personnage de Kevin (même si le roman tend à le sortir de sa condition sociale), moins réaliste peut-être, un peu répétitif aussi, je l'ai trouvé un peu longuet et me suis ennuyée passés les deux tiers, mais je trouve intéressant de lire ces deux textes de Fanny Chiarello en parallèle.
p. 117 : « Drôle d'idée que de lire des romans, quand on y pense bien : on s'attache à des personnages qui n'existent pas, on se sent moins seul alors qu'il suffirait de lever la tête de sa page pour constater qu'on l'est toujours autant dans le vrai monde, et après, tout est fini. Chacun rentre chez soi, Holden et tous les autres dans leur néant, et moi dans ma baignoire auréolée de traces douteuses. »
Sélectionné pour le prix des lecteurs 13-16 ans 2014 de la ville du Mans et du département de la Sarthe.
L'école des loisirs, collection Medium, avril 2012, 208 pages, prix : 10,70 €
Etoiles :
Crédit photo couverture : © Séverin Millet et éd. L'école des loisirs.