Les jardins d'Hélène

Ma tempête – Eric Pessan

23 Juillet 2024, 13:14pm

Publié par Laure

David est un metteur en scène de théâtre, en couple, et papa d’une petite Miranda. Il apprend que son adaptation de la Tempête de Shakespeare est annulée, il rumine alors sa déprime ; sa femme le secoue (l’argent ne coule pas à flots) et lui demande de garder la petite car le personnel de la crèche est en grève ce jour-là.

C’est donc à sa fille Miranda, prénommée comme celle de Prospéro dans la pièce shakespearienne, qu’il va jouer SA tempête. Celle-ci est multiple, littéraire et théâtrale, mêlant mise en scène avec des peluches et vraies informations sur les représentations théâtrales au XVIIe siècle, intérieure (crise de couple, d’estime de soi, différend avec son frère qui par son mandat d’élu local lui coupe les subventions nécessaires à son travail) et extérieure, car la météo fait rage à ce moment-là dans sa ville et l’orage s’abat sur les toits et les vitres.

L’imbrication de tous ces éléments pour en faire un roman est vraiment intéressante et réussie. Même si l’on ne connaît pas la pièce de Shakespeare.

L’ensemble m’a toutefois parfois un peu ennuyée et agacée. Les propos sur la place de la culture dans nos vies, le régime des intermittents du spectacle et les subventions publiques au cœur de leur survie et des programmations sont une longue et sempiternelle plainte qui m’a parue plus larmoyante que combattive.  Le débat n’est pas neuf entre culture et divertissement, lien entre qualité et popularité et j’en passe, mais il me semble peu productif ici… (peut-être parce que tous les jours j’y œuvre, à ma petite échelle de colibri fonctionnaire territoriale de la filière culturelle.)

 

Extraits :

p. 17 : « Le père explique à sa fille que l’île de Prospéro ressemble à leur appartement juché au huitième étage de cet immeuble : l’art y est partout présent, dans la bibliothèque, sur les murs, et surtout – il s’approche d’elle qui rentre instinctivement la tête dans les épaules, elle ne perd pas une miette de ce qu’il raconte – dans nos cerveaux. Et David embrasse le front de la fillette, puis la chatouille ; son rire encore éclate dans la cuisine, emplit l’espace tout entier, roule comme une bille insouciante. C’est de cela dont David besoin : des joies et des lumières solaires de sa fille. On insiste beaucoup sur le travail nécessaire à bien élever un enfant, on dit peu l’inverse : tout ce que l’enfant offre en contrepartie à ses parents. La paternité, c’est donnant-donnant, protection, éducation et nourriture contre émerveillement, amour inconditionnel et supplément de vie. Une tendresse pour adoucir la rugosité du monde. »

 

p. 69 : « Rien ne change, les comédiens ont toujours besoin du soutien du roi, du pontife, de l’empereur, du président de la commission culture, du conseil régional, du conseil départemental, du conseiller de la direction régionales des affaires culturelles, du chargé de mission spectacle vivant de la municipalité. Hormis quelques rares acteurs jouant dans les théâtres privés, sans soutien du roi, les comédiens ne sont rien. Et le roi change souvent dans notre monde : à chaque élection, les innombrables couronnes changent de tête. »

 

p.  « La fin est un monologue. Les fins sont souvent des monologues. Même quand plusieurs personnes se parlent, le signe de la fin est qu’elles ne s’écoutent plus, elles croisent des monologues. Dialoguer est un art difficile. Dialoguer réellement, c’est-à-dire accueillir la parole de l’autre en acceptant la possibilité qu’elle nous bouleverse, ou qu’elle modifie notre propre parole, n’arrive presque jamais dans une vie.

Prospéro demeure seul, il parle au public ou à lui-même. Les spectateurs écoutent sa pensée exprimée à voix haute. Depuis l’enfance, David et son frère n’ont plus été capables de dialoguer. David se réfugie souvent dans le confort du monologue. Il est harassé par avance à l’idée de défendre l’importance de la culture pour l’émancipation des individus. Son frère monologue impératifs de croissance, productivité, compétitivité, ajustement de l’offre à la demande. Ce serait ça, être de gauche ou de droite ? Opposer l’idée de la nécessité d’éduquer à celle d’ajuster l’offre ? »

 

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Aux forges du Vulcain, 25 août 2023, 133 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-37305-734-8

 

 

Crédit photo couverture : © Elena Vieillard et éd. Aux forges du Vulcain.

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