Dans ce roman qui semble être pour bonne part autobiographique, Jean-Philippe Blondel revient sur vingt ans d'enseignement de l'anglais à des élèves de Terminale
au sein du même établissement (un lycée de province) et de la même salle : 229, bâtiment G , la G229 donc. Ce n'est pas un roman sur l'Education Nationale (il y a bien quelques observations
goguenardes sur le balai ballet régulier des réformes et quelques grèves, mais point de « c'était mieux avant » ni d'épisodes
récurrents de violence et autres débats sur le niveau des élèves), non, c'est un roman sur le temps qui passe, inexorablement, et sur les liens qui se nouent entre un prof et des ados chaque
année, au cœur du U que forment les tables de la salle de cours.
Le temps qui passe, inéluctable, car si la salle est immuable, si seul le rétroprojecteur est devenu
vidéoprojecteur, les élèves ont toujours 17 ans. Tous les ans ils changent et tous les ans ils ont toujours 17 ans. Ce ne sont jamais les mêmes et pourtant, ils ont toujours les mêmes rêves, font
toujours les mêmes bêtises ou les mêmes blagues. Les années qui passent, seul le prof les additionne. Il a commencé à 25 ans, il en a aujourd'hui 45, sera-t-il toujours dans cette même salle
quand sa fille dans quelques années viendra s'y asseoir ? Ne devrait-il pas bouger, changer de poste, viser l'université, comme certains le lui conseillent ? Quand les nouveaux élèves sont les
enfants de ses premiers anciens élèves ? Quand les collègues partent, en retraite, mutés, morts... Et oui, le temps passe, seule la salle reste, à peine repeinte, toujours la même, une faveur de
jeunesse faite à un prof qui assumait plus d'heures de cours que prévues et qui méritait bien ça. Mais même ces élèves qui rêvent d'ailleurs ne finissent-ils pas par revenir, parce que c'est plus
facile, parce que la vie etc. alors pourquoi après tout ne pas rester où l'on est bien ?
C'est le constat d'un homme à un tournant de sa vie (ou pas), sans employer les grands mots de la middle life
crisis, c'est bien la deuxième moitié qu'il entame, et on peut juger sain de s'interroger sur son métier et son parcours. Il les aime ces élèves, même si bien souvent ils le font tourner en
bourrique. Enseigner, ça ne s'improvise pas, et ce prof là semble le faire très bien, alors … n'a-t-elle pas raison cette inspectrice qui au hasard d'un départ en retraite lui dit : (p. 167)
« (…) vous n'avez pas l'impression de faire du sur place ?
- Si, mais j'aime bien.
- Vous êtes resté coincé dans votre adolescence, n'est-ce pas
?
- Pardon ?
- Il y a un morceau de vous qui a toujours dix-sept ans et l'autre qui avance.
Alors il y a un morceau de vous qui aime bien être avec les gens de dix-sept ans, et l'autre qui avance. Vous n'avez pas peur d'être écartelé ?
- Je ne suis pas sûr de comprendre.
- Je crois que vous comprenez très bien. Ce n'est pas un reproche, hein ! C'est
juste un constat.(...) »
Ce lien (et retour) à l'adolescence si souvent tissé dans ses romans (cf Blog entre autres)... On
retrouve dans G229 quelques fils de ses romans précédents, le Soukhoumi de Qui vive ?, l'ancien élève
devenu pion surveillant assistant d'éducation mais
aussi baby-sitter, l'accident des dernières pages et Blog..., petites et grandes joies et souffrances se rejoignent au fil des textes.
Ce que j'aime dans l'écriture de Blondel, c'est sa simplicité, sa réalité, cette émotion à fleur de peau assumée,
cet amour du métier qui ne semble pas s'émousser, tout simplement parce qu'à travers ces liens tissés avec les jeunes, et sans cesse renouvelés, c'est la vie dans tout son bouillonnement qui
s'expose. Et tant qu'il y a de la vie ...
Rentrée littéraire d'hiver,
Buchet Chastel, janvier 2011, 239 pages, prix : 14,50
€
Etoiles :
Crédit photo couverture : ©Stephen Stickler / Corbis et éd. Buchet-Chastel