Le corset invisible - Eliette Abécassis et Caroline Bongrand
Les
deux romancières que sont Eliette Abécassis (La Répudiée,
2000 ; Qumran, 2001 ;… ; Un heureux événement, 2006) et Caroline Bongrand (Le souligneur, 1993 ; Pitch, 2000 ; etc.) nous livrent dans cet essai à quatre mains un « manifeste pour une nouvelle femme française », un panorama de ce que vit la
femme actuellement, pas si libérée que cela par le féminisme. Ou plutôt si elle a perdu certains carcans, elle s’est aliéné bien d’autres contraintes, la conduisant au défi quotidien et permanent
de devoir être parfaite sur tous les plans : femme, épouse, mère, salariée, dans son corps, etc.
A travers de brefs chapitres faciles à lire, on se retrouve effectivement dans bien des passages, qu’il s’agisse de la mère au foyer, de la femme divorcée avec ou sans enfants, de la femme mariée superwoman qui se bat pour progresser dans sa carrière tout en étant épanouie dans sa vie de famille, là encore, etc. En filigrane bien sûr transparaît aussi un portrait succinct de l’homme moderne.
Si bien des analyses sont intéressantes, elles ne sont pas non plus révolutionnaires : le ton très « magazine féminin » donne une impression de déjà lu, comme s’il s’agissait d’une anthologie d’articles. On ne pourra s’empêcher aussi de trouver certains passages exagérés, du moins engagés du point de vue féminin (un livre sur les femmes écrit par des femmes !).
J’avoue avoir lu un peu en diagonale la dernière partie sur la tyrannie de la beauté et la femme utilisée à son insu dans un but d’expansion économique (tout ce qu’on nous vend pour les régimes), tout comme celle sur la ménopause vendue comme une maladie et la polémique sur le THS / cancer du sein qui suscitent à eux seuls des livres entiers et ne sont donc là qu’abordés superficiellement.
En résumé, une synthèse agréable à lire de la condition féminine aujourd’hui, qui se veut un document très grand public, et qui pêche
peut-être parfois par une vulgarisation trop rapide des problèmes. A lire donc en connaissance de cause.
Cet extrait page 33, que je dédie aux copines mères au foyer (elles comprendront, et l’ayant été moi-même pendant plus de 10 ans, je me comprends aussi, même
si je crois qu’elles ont, tout comme moi, su dépasser ces clichés qui ont la vie dure et trouver leur équilibre en s’affirmant autrement, même si parfois, il y a des baffes qui se perdent, hein
les filles…) : « La mère au foyer : cette soldate inconnue.
Aux yeux de la société, celle qui choisit la vie familiale
est au mieux une planquée, au pire une incapable. C’est pourquoi la femme au foyer porte la culpabilité permanente de ne pas être créatrice de richesses. Ce n’est pas elle qui fait bouillir la
marmite : c’est l’argent de son mari qu’elle dépense. A cause de cette culpabilité, elle en fait trois fois plus que nécessaire dans la maison et se jette dans une quête éperdue de
perfection afin de se faire pardonner sa non-productivité apparente. Le regard que la société pose sur son existence fait peser sur elle un degré
d’exigence impitoyable. Rien ne lui sera pardonné. Son travail, qu’il concerne les enfants, le ménage, l’organisation de la maison, la planification des vacances, ne sera jamais ni reconnu ni
valorisé. Elle est chauffeur, cuisinière, femme de ménage, secrétaire, répétitrice pour ses enfants. Elle n’a pas d’excuse pour ne pas être belle et disponible le soir. Elle est en quelque sorte
la femme idéale : « cordon-bleu dans la cuisine, sainte dans le salon et avec les enfants, pute dans la chambre ». Et pourtant, une femme qui ne travaille pas n’est pas respectée.
On la sait incapable de partir, car elle est inféodée au mari financièrement. Si son mari se désintéresse d’elle à la cinquantaine, au moment où les enfants quittent eux aussi la maison, elle se
demande ce qu’elle a fait de sa vie. »
Et on en remet une couche p. 114 :
« Etre une mère qui ne travaille pas, c’est apparaître comme un parasite. La femme au foyer est l’objet de tous les fantasmes : voilà une personne qui ne produit rien, qui est
entretenue, qui a le temps de faire ce qu’elle veut, qui a de la chance, qui est une privilégiée, à qui la difficulté de la vie et du monde du travail est épargnée, une femme qui a le temps de
vivre.
Or être une mère est une
profession à part entière, qui exige le sens des responsabilités, la prise d’initiatives, des capacités intellectuelles, physiques et émotionnelles, une grande réactivité, un sens du management,
une capacité d’adapter ses horaires aux charges nouvelles qui peuvent surgir, de la bonne volonté face aux tâches supplémentaires, la capacité de supporter un environnement stressant et un chef
parfois tyrannique – l’enfant – et un collègue de bureau qui pratique l’absentéisme – le mari. »
Albin Michel, mars 2007, 217 pages, prix : 16 €
Ou Livre de Poche, mars 2008, prix : 6 €
Ma note : 3/5
Crédit photo couverture : LGF / Le Livre de Poche.