L'hypothèse des forêts - Laurence Albert
Une chose surprend quand on aperçoit ce livre : sa couverture, qui irrésistiblement donne envie de pousser cette porte pour découvrir ce qu’il y a derrière ce verre opaque où se reflète une forêt dans la lumière du soleil. C’est très réussi. Le second point, plus déstabilisant, c’est le titre : l’hypothèse des forêts. C’est vendeur un titre pareil ? Comme ça, au départ, c’est un mystère. Pas très engageant à vrai dire. Ça sonne « mathématiques », ou houellebecquien, après la possibilité d’une île, il ne manquerait plus que la probabilité des ormes ? J’ironise, mais ce titre est pour moi un obstacle, un verrou qu’il faut faire sauter.
Cette curieuse hypothèse est l’histoire de trois sœurs, Léonie, Hortense et Rose Taillandier, trois femmes adultes au moment du récit, qui vont revenir sur leur enfance, douloureux passé dont elles cherchent à guérir. Rose, la petite dernière, est la narratrice principale de leur histoire. On devine un drame ancien, lié à leur mère, internée en psychiatrie, sans que l’on sache bien pourquoi. En parallèle, on fait connaissance avec Thomas, aide-soignant dans cet hôpital, qui a quitté son Québec natal pour tenter de retrouver Léonie, rencontrée lorsqu’il vivait à Montréal, et dont il est tombé éperdument amoureux. Léonie Taillandier, l’aînée des trois sœurs, qui un beau matin a disparu. Pourquoi ? En se rapprochant de sa mère Marianne, et de Rose qui lui rend visite régulièrement, il espère la retrouver, comprendre sa fuite.
Le ressort du livre est construit sur l’alternance des chapitres écrits à la première personne, tantôt celle de Rose, tantôt celle de Thomas, on pense inévitablement à Karine Fougeray et à Ker Violette, même principe, roman polyphonique pour reconstituer le secret et le drame. Ça marche peut-être un tout petit peu moins bien ici, il m’a fallu souvent me raccrocher à l’accord des participes passés ou revenir au début de chapitre pour savoir qui « racontait l’histoire». Surtout que je ne voyais pas bien encore combien de personnages s’exprimaient. Du moins au début, car sur la fin l’évidence du fonctionnement a pris le dessus.
Puis on découvre la maladie de la mère (que je tais volontairement ici) et on imagine le drame vécu par les filles, à peine esquissé, mais qui détruit à jamais. La tentative de reconstruction de ces trois femmes, confiées encore toutes jeunes à leur tante lors de l’internement de leur mère, témoins aussi de la lâcheté de leur père qui a préféré prendre la fuite, se dénoue au fil des pages. On pourrait dire résilience pour utiliser ce mot à la mode. Mais la résilience fonctionne-t-elle pour chacune ? Où est Léonie ?
Hortense a la danse pour refuge, Rose a la forêt, ses forêts, la nature qui lui permet encore de respirer.
Après un petit passage à vide vers le milieu (faiblesse de ma part ou du roman qui me semblait patiner un peu ?) les quatre-vingt dernières pages m’ont vraiment emportée, et avec elles mon adhésion tout entière à ce roman fort et douloureux. Car malgré l’histoire terrible de cette famille, il est toujours empreint d’une lueur d’espoir, farouchement entretenue par Rose, qui porte au plus profond d’elle-même son acharnement au bonheur. Une lutte permanente pour le bonheur alors qu’elle lutte tout autant contre elle-même avant d’oser s’y abandonner.
Il faudra vraiment avoir atteint ces deux cents pages denses, mystérieuses, pour percevoir toute la force de cette histoire, qui laissera longtemps en vous l’empreinte de ses tensions.
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Ed. Delphine Montalant, mars 2009, 201 pages, prix : 17 €
Ma note :
Crédit photo couverture : © Catherine Mantelet et éd. D. Montalant