Les jardins d'Hélène

A ma fille

6 Juillet 2006, 10:50am

Publié par Laure

Il y a treize ans, la loi ne permettait pas encore de reconnaître un enfant né avant la fin du sixième mois de grossesse. Il n'apparaissait pas sur le livret de famille, il n'était pas déclaré à l'état civil, et n'avait pas droit à des funérailles. Il était déclaré non viable et incinéré avec les déchets humains de l'hôpital (quelle immonde formule, comme s'il s'agissait d'un membre amputé ou tout autre morceau de chair, et quand bien même, le terme déchet me révulse).

Dans ces circonstances il est difficile pour une mère (et un père) de faire le deuil de cet enfant. On ne peut faire le deuil que de ce qui est reconnu, par la société, la loi, la famille, des rituels, mais on ne peut pas faire le deuil de ce qui est nié. Les médecins qui travaillent en obstétrique ne sont pas toujours formés à accompagner les parents. Ils savent déclencher un accouchement, faire des examens compliqués ou un curetage, mais parfois ils ne savent pas vous dire autre chose que « vous en aurez d'autres ». Ce n'est pas leur faute. Parfois il y a une sage-femme qui vous prend en main et si elle ne pleure pas avec vous, vous sentez qu'elle vous comprend. Elle ne dit pas grand-chose mais vous savez ce que dit son silence.

Et puis quand c'est fini elle vous dit que c'était une petite fille, et comme elle a vu que vous portiez encore autour du cou votre médaille de baptême, elle s'est permis de faire un signe de croix. Elle vous a demandé si vous vouliez voir l'enfant et vous avez répondu non. En pensant que peut-être vous regretterez cette réponse toute votre vie.  Mais comment regarder un foetus de cinq mois ? Puisque même la loi vous dit que ce n'est pas un bébé.

Depuis la loi a changé, pour tous ces parents comme moi qui ont eu besoin qu'on reconnaisse leur douleur et leur enfant perdu avant de n'être. Et c'est bien. Vous pouvez déclarer votre enfant né et décédé.

Je n'ai toujours pas lu ce livre de Frydman, paru en 1997, Mourir avant de n'être, mais il est dans ma bibliothèque depuis sa sortie en librairie. Le savoir près de moi me rassure, même si je n'éprouve plus le besoin de le lire. Je sais aussi que même aujourd'hui je ne pourrais le faire sans larmes. Oui les larmes et moi sommes de fidèle compagnie en ce moment ! (Ceux qui suivent comprendront) Et j'en viens de plus en plus fort à croire à Nietzsche : « ce qui ne tue pas rend plus fort » 

Et ce matin pendant que je faisais du catalogage je me disais que j'allais égayer mon travail en écoutant un texte sur CD, tiens ces nouvelles d'Anna Gavalda que j'aime tant, lues par elle-même, en plus. Et voilà qu'elle commence par I.I.G. Ces paroles identiques de mon gynécologue, son visage blême : « il y a un problème ». Et me voilà 13 ans en arrière, comme elle en parle si bien, Anna. Je croyais ne pas l'avoir fait exprès (j'aurais pu prendre n'importe quel autre CD), et puis une telle coïncidence, non ce n'est pas possible.

Quelque chose voulait sans doute que je dise aujourd'hui : je pense à toi Géraldine, tu aurais 13 ans aujourd'hui.

 

Nota : les commentaires sont volontairement fermés sur ce billet, n'y voyez pas de mépris de ma part, mais quand je vois à quel point vos petits mots de soutien sur un tout autre sujet m'ont émue ces derniers jours, je me dis que là, je ne pourrais pas le supporter, il faut arrêter de me liquéfier ! J Bonne journée à vous !

 

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