L'inattendue - Karine Reysset
L’inattendue est le premier livre publié de Karine Reysset, initialement aux éditions du Rouergue en 2003, tout juste ressorti en poche le mois dernier.
On connaît Karine Reysset pour ses romans ados à l’Ecole des Loisirs, et ses romans adultes désormais chez L’Olivier (voir par exemple Comme une mère), et je suis ravie de cette sortie en poche pour un titre dont je n’avais jamais entendu parler.
L’inattendue est le journal de bord d’une grossesse, de l’attente,
de la longue attente qui précède cette heureuse nouvelle, une attente si longue que lorsque les deux barres bleues apparaissent dans le petit cadre, ça en devient inattendu ; puis la
relation étroite qui se noue entre un bébé in utero et sa mère, jusqu’à la délivrance, la connaissance, la vie au dehors.
Commencé dans un train (parce que c’est toujours dans un train qu’on écrit - dit l’auteur), ce carnet peut surprendre au premier abord, par ses phrases inachevées, coupées dans le vif. On
rétablit sans problème en pensée le mot manquant, mais le procédé galopant tout au long du livre peut décevoir un peu, ou au contraire donner un rythme à la pensée entrain de s’écrire. Ça
surprend en tout cas, au moins au début.
C’est l’histoire banale d’une première grossesse et de son attente, de son aboutissement, et pourtant il y a les mots justes de l’auteur qui en font un récit attachant, entre peur et bonheur, avec les ombres planantes d’un petit frère décédé de mort subite du nourrisson il y a longtemps, si longtemps. Mais ici l’auteur n’est plus la sœur, elle est la mère, et tout doit changer, malgré la crainte en filigrane. Elle est mère mais elle est d’abord femme, une femme amoureuse, elle parle aussi de son homme dans son devenir de père, son Olivier bien connu en littérature aussi, avec justesse, avec ses défauts et ses qualités.
Enfin l’enfant paraît, le carnet peut se refermer, un autre s’ouvrir, c’est une autre histoire qui commence.
Une sensibilité certaine, une réflexion intérieure au plus juste, et une jolie plume font de ces petits carnets de l’attente un bien joli livre.
Quelques passages (mais il y en a tant qu’on a envie de
relever !) :
p. 19, dans le train : « Le jeune homme en face de moi écrit aussi avec le stylo que je lui ai prêté. Il me le rend. C’était du travail. Moi c’est pas du
travail, c’est pas une activité (souligné). C’est ma voix, celle qui ne parle pas, celle qui se tait. Celle qui se cache. Ma voix, ce n’est pas moi. C’est pour ça que je peux. Sinon ce serait
trop. C’est ma voix de quand j’écris avec ma voix. »
p. 27, l’attente : « Dans quatre jours, peut-être deux, je saurais si. Et alors le carnet pourra vraiment commencer. En attendant, je fais du remplissage, du coloriage. Petite musique d’attente. Avant de passer aux choses sérieuses. NON. C’est du sérieux ma détresse, ma décrépitude, ma pauvreté. Mendiante qui tend son corps, donnez-moi un enfant, même un tout petit, une petite graine à laisser pousser, un valeureux chêne ou un olivier freluquet, une rose, une guimauve. Je veux bien vous débarrasser de tous vos enfants, qui prennent trop de place, qui vous embarrassent. Je n’en demande pas tant que ça. Un me suffirait. Pour commencer à monter ma petite affaire. En attendant, je me trimballe le ventre plein de vide. »
p. 35, le nid : « Dis maman comment on fait les ? Comme elle m’a expliqué, le petit nid préparé au cas où. Dommage. J’y avais mis des brindilles, de la paille, des pétales, du coton, de la barbe à papa, des fougères, de la laine de mouton. J’avais posé de la couleur, du rose vif à la manière d’un Baselitz, enfant à l’envers, tête en bas, prêt à naître. Mais tout ça est à refaire et mon corps fatigué s’épuise à reconstruire, inlassablement. La prochaine fois, je mettrai un peu de sel, j’en ai fait provision sur l’île, et puis de la crème de marron pour qu’il morde à l’hameçon. »
de la crème de marron pour qu’il morde à l’hameçon, voilà le petit mot en plus qui me fait tant aimer l’écriture de Karine Reysset.
Pocket, juillet 2009, 174 pages, prix :5,90€
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Crédit photo couverture : © Nathalie Girard et éd. Pocket