Banquises - Valentine Goby
Vingt huit ans après la disparition de sa sœur aînée au Groenland, Lisa prend l’avion pour cette même destination, pour peut-être enfin mettre un terme à cette situation restée ouverte et ces recherches vaines mais pour d’abord se libérer elle-même de vingt huit années d’emprisonnement intérieur.
Sarah avait 22 ans quand elle a disparu, en 1982, nul ne sait ce qui lui est arrivé, les recherches n‘ont rien donné d’autre qu’un sac à dos trouvé sur un bateau. Bien sûr ses parents se sont effondrés, sa mère en particulier ne s’en est jamais remise. Lisa, adolescente à l’époque, est devenue transparente aux yeux de sa mère.
Voyage sur la banquise, description de paysages en destruction à cause du réchauffement climatique, nature souveraine, les scènes à Uummannaq sont des épreuves fortes, qui font découvrir un pays finalement peu connu, mais ce qui m’a semblé essentiel dans ce roman, ce sont les flashback qui reviennent sur la vie familiale après la disparition de Sarah, et l’impossible deuil pour les parents (il n’y a pas de corps, et elle était majeure, il n’est pas interdit de changer de vie), l’enfermement obsessionnel de la mère dans l’espoir si mince, la position du père, qui ne peut rien pour sa femme, et Lisa, qui ne semble plus exister pour personne. Jusqu’à la fin du voyage sans réponse mais qui permettra enfin la renaissance à soi-même de Lisa, les pensées de la mère resteront frappantes pour le lecteur.
Un voyage qui sonde des pistes mais sans donner toutes les réponses, qui fait découvrir un pays tout en laissant le lecteur sur sa faim, une écriture qui parfois pâtit de quelques longueurs, c’est le voyage intérieur qui m’a plus touchée que le voyage réel, et qui pour moi garde un goût d’inachèvement, même si l’histoire s’achève bel et bien, sur la voix de Lisa.
Extrait p.118-119 : « Le père a besoin de sa femme. Terrible comme il a besoin d’elle, de moins en moins femme, de plus en plus mère. Il voudrait être elle. Pouvoir lui aussi situer la douleur quelque part. Elle c’est le ventre. Lui c’est diffus, partout, autant dire nulle part. Il a besoin du ventre de sa femme. Il voudrait qu’elle le prenne en elle, qu’elle l’absorbe dans ses muqueuses tièdes. Il voudrait jouir dans ce ventre presque sans bouger, presque sans effort, y déverser toute la souffrance qui n’a pas de lieu en lui, déverser l’amour et la peur, et la serrer, cette femme, et qu’elle le serre, dans ses bras, dans sa peau chaude, qu’elle l’enlace, se contracte autour de son sexe même devenu mou, vieux, son sexe son ventre, qu’elle accomplisse encore le pacte primitif. Seulement c’est étroit. C’est occupé. Par la fille absente, par le réenfantement de la fille » © Valentine Goby.
Albin Michel, août 2011, 246 pages, prix :18 €
Existe en numérique au prix de 13.99€
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Crédit photo couverture : © éd. Albin Michel.