Une bouche sans personne – Gilles Marchand
Un comptable de 47 ans mène une vie relativement solitaire, protégé par son univers professionnel codifié et monotone, et les écharpes dont il se pare hiver comme été pour cacher une cicatrice qu’il a depuis son enfance. Sa vie extérieure se résume au bistrot qu’il fréquente tous les soirs, il y retrouve Lisa, la serveuse, Sam, et Thomas. Un soir, il commence à se dévoiler et à raconter son enfance avec son grand-père Pierre-Jean, qui l’a élevé.
Par quelques indices semés ici et là, on devine que son secret a trait à la seconde guerre mondiale et que l’action présente se déroule à la fin des années 80 (il y a encore des francs !).
Au fur et à mesure que le protagoniste se dévoile, le décor autour devient de plus en plus loufoque : la concierge de son immeuble est morte et les poubelles s’amoncellent, jusqu’à ce qu’un ancien militaire y creuse un tunnel pour continuer à entrer et sortir, son univers professionnel et sa vision de la boulangère et d’une vieille dame et son chien prennent une tournure de plus en plus étrange, comme les lettres que reçoit Sam, de ses parents décédés.
J’ai aimé l’humour absurde qui parsème le récit, pour mieux circonscrire le drame de la révélation finale que l’on sent toutefois arriver petit à petit.
Une belle surprise que ce premier roman, original, fort, décalé.
p. 56 « Je sors la monnaie, je paie et je m’en vais. A peine deux ou trois paroles échangées. Une fois n’est pas coutume. Aujourd’hui, pas d’avis sur mes dernières lectures, pas de conseil. Ce que j’aime ici aussi, c’est le respect de l’humeur, le refus des phrases toutes faites et des considérations météorologiques. Ma librairie est une anti-boulangerie. »
p. 206 : « Je ne sais pas encore comment je vais m’y prendre. Je n’ai pas de méthode. Ou plutôt si, je n’ai qu’une méthode : celle qu’a appliquée consciencieusement Pierre-Jean tout au long de sa vie. Ne pas s’encombrer de la réalité, transformer son présent pour oublier son passé. Il m’avait expliqué que si j’estimais que le monde n’était pas assez beau et que je n’étais pas en mesure de le changer, personne ne pourrait jamais m’empêcher de l’imaginer tel que je voudrais qu’il soit. »
Lu dans le cadre de ma participation aux 68 premières fois proposée par Charlotte.
Aux forges du Vulcain, août 2016, 260 pages, prix : 17 €
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Crédit photo couverture : © Elena Vieillard et éd. Aux Forges du Vulcain