Les Passeurs de livres de Daraya – Delphine Minoui
C’est en octobre 2015 que Delphine Minoui, grand reporter spécialiste du Moyen-Orient a un premier échange par Skype avec Ahmad Moudjahed, jeune syrien de 23 ans. Ahmad est descendu pour la première fois dans la rue en mars 2011, au début de la révolution syrienne.
Il vit à Daraya, « une prison à ciel ouvert à seulement sept kilomètres au Sud-Ouest de Damas » (p.31), une ville fantôme qui est passée de 250 000 habitants avant la révolution à 12 000 habitants en 2015, dont 2000 combattants.
Fin 2013, des amis d’Ahmad l’appellent pour exhumer des livres d’une maison en ruines. P. 17 : « Au cœur de la guerre, l’idée lui paraît saugrenue. A quoi bon sauver des livres quand on n’arrive pas à sauver des vies ? Il n’a jamais été grand lecteur. Pour lui, les livres ont le goût du mensonge et de la propagande ».
Mais dès lors, les livres sauvés des décombres pour constituer une bibliothèque secrète deviennent le symbole de leur liberté, et d’une forme de résistance. Il n’est pas question de piller, les jeunes résistants notent autant que possible les noms des propriétaires à l’intérieur des ouvrages, dans l’espoir de pouvoir les restituer après la guerre.
« Lire pour s’évader. Lire pour se retrouver. Lire pour exister …
Chez les jeunes de Daraya, c’est encore plus que ça. Là-bas, dans l’enclave syrienne, la lecture est aussi un acte de transgression. C’est l’affirmation d’une liberté dont ils ont été si longtemps privés. » (p. 51)
La bibliothèque secrète occupe une bonne place au début du livre mais elle laisse assez vite la place à l’histoire plus large du conflit de cette ville assiégée. C’est toute l’horreur des bombardements, du gaz sarin et du napalm, quotidien d’une population et des activistes qui luttent. Fragilité des moyens de communication aussi en temps de guerre, peur, famine, ce document est avant tout un récit des terreurs imposées par le régime de Bachar al-Assad sur la ville.
La bibliothèque, aussi surprenante et noble soit cette idée, est un prétexte presque anecdotique au reportage global de Delphine Minoui sur la ville de Daraya. Il était néanmoins nécessaire et important d’entendre – de lire – cette parole de résistants, leur réalité quotidienne, et le courage de ces hommes. Instructif et intéressant.
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de ELLE 2018, catégorie Documents
Seuil, octobre 2017, 157 pages, prix : 16 €, ISBN : 978-2-02-136302-9
Crédit photo couverture : © Ahmad Moudjahed / et éd. du Seuil