La bibliothèque noire – Cyrille Martinez
Attention coup de cœur en vue !
Sous couvert de fiction un brin fantastique, c’est l’histoire de la lecture publique et des bibliothèques (en particulier la BNF) que nous raconte Cyrille Martinez.
Le lecteur bibliothécaire y lira aussi l’histoire de son métier, son évolution, sa « profonde mutation » récente due à la crise de la lecture, l’invasion des écrans et du tout numérique.
Le scénario catastrophe ouvre néanmoins une jolie porte post apocalyptique avec la naissance de la bibliothèque noire, chut, je n’en dis pas plus.
La fiction permet de manière astucieuse d’énoncer quelques vérités (vraies !). Si le lecteur bibliothécaire professionnel en saisit toutes les clés en riant souvent (le ton y est pour beaucoup aussi !), le lecteur lambda mais néanmoins attentif y lira entre les lignes tout l’enjeu actuel du livre, de la lecture, et des bibliothèques dans la société.
Vous l’aurez compris, je l’ai trouvée ma pépite de l’année, celle que j’ai envie de faire lire à tous, ne serait-ce que pour le savoureux classement des différents genres romanesques par Cyrille Martinez.
Original, hilarant, et très bien documenté !
Quelques extraits (il fut très difficile de n'en sélectionner que quelques uns) :
p. 11 : « Un bon livre de littérature, dit-on, comporte plus de vérité qu’un mauvais livre d’histoire. »
p. 13 : « Au Moyen Age, un jour qu’il faisait gris et que l’orage couvait, un moine déposa les 917 manuscrits de sa collection dans une salle accessible, sous certaines conditions, à d’autres lecteurs. La Bibliothèque était née et, avec elle, l’idée que la lecture devienne accessible au plus grand nombre. Les livres ne relevaient plus uniquement de la propriété privée. On pouvait envisager de lire d’autres manuscrits que les siens, d’autres textes que ceux dont on s’était rendu propriétaire. »
p. 27 : « Les Lecteurs de Romans sont non seulement exclusivement intéressés par un genre, mais par un nombre réduit de titres à l’intérieur de ce genre. Les meilleurs romans sont les plus lus, et une idée couramment répandue veut que ce soit justement parce qu’ils sont les plus lus qu’ils sont les meilleurs. La lecture extensive prévaut : ici les lecteurs lisent beaucoup mais rarement deux fois le même ouvrage. Sauf circonstances exceptionnelles, mort d’un romancier ou anniversaire de sa mort, les lecteurs de la Tour des Romans ne reviennent jamais sur un texte. […] Contrairement à la Tour des Romans, dans celle des Sciences on pratique la lecture intensive. »
p. 104 : « Pour accéder aux réseaux d’informations fausses et vraies, les lecteurs, enfin ceux qu’on a toujours appelé les lecteurs, avaient impérativement besoin d’une connexion. C’était leur principale demande. Vous leur parlez des 14 millions d’imprimés à leur disposition, histoire de leur rappeler qu’une bibliothèque c’est au départ, avant tout, des collections, ils vous répondent très bien, ce patrimoine écrit est remarquable, quel Trésor fabuleux, on adore être entourés de livres, mais sinon, quand la connexion sera-t-elle rétablie ? »
p. 107 : « Séjourneur, - euse, n.f. et m. – Celle, celui qui profite de la Salle de lecture pour y occuper un poste de travail sans utiliser les ressources documentaires de la bibliothèque. Syn. Squatteur. » [je précise que séjourneur est bien le vrai terme utilisé en bibliothéconomie]
Pourquoi je l’ai lu : je crois que je suis tombée dessus par hasard en feuilletant la liste des nouvelles acquisitions sur le portail de ma bibliothèque départementale. Son titre m’a intriguée.
Où et comment je l’ai lu : Je l’ai donc fait venir de ladite bibliothèque départementale (maintenant je pense que je vais l’acheter !) et je l’ai lu un lundi après-midi de juillet sur la chaise longue au jardin. (Comme beaucoup de bibliothécaires, je travaille du mardi au samedi soir, je suis donc en week-end les dimanches et lundis).
Buchet Chastel, coll. Qui vive, mars 2018, 180 pages, prix : 14 €, ISBN : 978-2-283-03115-5
Crédit photo couverture : © Sophie Potié, 2018