Les jardins d'Hélène

Une histoire de France – Joffrine Donnadieu

27 Février 2020, 16:17pm

Publié par Laure

Joffrine Donnadieu n’avait pas encore trente ans quand paraissait ce premier roman fulgurant, aussi dérangeant que bien écrit, d’une construction maîtrisée qui laisse toute sa place à une écriture au scalpel, précise, qui évolue avec son personnage. Bref, le fond et la forme s’allient pour une histoire de France qui est autant celle d’un personnage (prénommé France) que celle d’une petite fille (Romy), mais aussi celle d’un pays, cette France sociale des bases militaires et des usines Kléber d’une ville moyenne de l’Est dans les années 2000.

 

Romy a neuf ans en 1999, un père souvent absent pour cause de missions militaires dont il surmonte les horreurs en buvant trop, une mère souvent hospitalisée souffrant de la maladie de Crohn, elle est donc souvent gardée par la voisine, France, épouse d’un militaire comme son père.

Mais France abuse de la petite Romy, la scène de viol qui ouvre le roman est difficilement soutenable et donne le ton. Et elles seront nombreuses sur ce Chemin des Dames qui titre la première partie, jusqu’à la mutation outre-mer du couple. C’est alors que commence cette guerre 14-18 (titre de la deuxième partie), guerre contre le mal subi, à un âge (14-18 ans) qui n’est pas d’or mais ne devrait pas être aussi violent : Romy s’enfonce dans la boulimie, l’anorexie, les tentatives de suicide, en lutte contre elle-même et son corps ennemi, et cet attachement à une France disparue qui était peut-être sa seule trace d’amour, face à l’incompréhension et le désintérêt de ses parents, en proie à leurs propres fantômes.

 

L’autrice n’épargne rien au lecteur jusqu’au bout de sa troisième et dernière partie, une « gueule cassée » qui de l’hôpital psychiatrique aux dérives de plus en plus rudes n’est jamais sûre de se reconstruire.

 

La littérature permet de démonter ici de manière brillante, juste et implacable les désastres causés par la pédocriminalité, rarement évoquée au féminin du côté du bourreau, mais aussi de montrer un couple en déliquescence, englué dans une vie subie. Le réalisme est redoutable mais nécessaire.

 

Moi qui trouve souvent les romans français contemporains fades et sans audace, me voici réconciliée avec une littérature courageuse, qui dérange et pointe du doigt ce que trop souvent l'on glisse sous le tapis, avec les dégâts que l'on sait.

 

A lire sans hésiter si vous avez le cœur bien accroché.

 

 

Gallimard, août 2019, 266 pages, prix : 19,50€, ISBN : 978-2-07-284692-2

 

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Gallimard. Bandeau de couverture d’après photo © Céline Nieszawer

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V
ça a l'air terriblement dur mais tu en parles si bien (et 5 étoiles !) que je le note.
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L
Oui, il ne faut pas avoir envie d'une lecture légère feel good, au contraire j'attends de la littérature qu'elle me dérange ....
I
Merci pour votre blog hyper intéressant.<br /> Isabelle, une lectrice tourquennoise
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L
Merci Isabelle pour votre message ! Bonnes découvertes et lectures !