Les jardins d'Hélène

Le bois – Jeroen Brouwers

15 Août 2021, 17:23pm

Publié par Laure

Traduit du néerlandais par Bertrand Abraham

 

Dans les années 1950 aux Pays-Bas, Eldert Haman, laïc, intervient comme professeur d’allemand dans un monastère franciscain. Très vite enjôlé, il y deviendra Frère Bonaventura, perdant en même temps tout ce qui faisait sa vie civile : biens, papiers, argent… Il devient surveillant du pensionnat des jeunes garçons, où il peine un peu à se plier aux règles strictes et inhumaines. Lorsque le jeune Mark Freelink disparaît, connaissant la violence du directeur Mansuetus, dont « le bois » n’est jamais loin, un climat de peur et d’angoisse règne.

A travers son personnage principal et les différents moines à l‘œuvre dans ce monastère, l’auteur va décrire avec talent l’hypocrisie de l’Église catholique, les violences sexuelles, abus, viols que les hommes y pratiquent sur la jeunesse, mais aussi le sadisme et le dénuement des conditions de vie qui sous couvert d’ascèse sont tout bonnement inhumaines.

Plusieurs scènes d’anthologie mettent mal à l’aise le lecteur, décrivant des actes sexuels barbares où tous n’ont qu’une seule obsession : leur sexe. Seuls ou sur leurs victimes, ils s’y adonnent ardemment dans le plus grand silence. Personne n’osera jamais dénoncer ces actes car l’embrigadement et les réprimandes sont forts et les autorités religieuses supérieures efficaces. Les conditions d’hygiène et d’absence de soins sont telles qu’elles délivrent aussi des passages éprouvants. Mais heureusement il y a aussi des scènes qui font sourire et qui redonnent un peu d’espoir quand Bonaventura se trouvera dans les bras d’une femme. Quel bouillonnement et quel fleurissement du langage tout à coup ! Aura-t-il le courage de fuir et de changer de vie ?

Un très bon roman, dense (au texte justifié sans paragraphe et très peu d’alinéas) qui demande au lecteur du temps et de la concentration, mais la lecture n’en demeure pas moins aisée, tant l’écriture se fait virtuose.

 

Extraits :

P. 85 : « […] avant d’entrer en religion, je m’appelais Eldert Haman. Ce nom a disparu. Tout comme mon vélo. Celui qui se dépouille de son nom n’a littéralement plus d’existence ; il est comme ces corps de qui les tombes, dans les cimetières sont devenues anonymes. Saint François nous parle du corps qui doit se soumettre, comme s’il était mort. Nous menons, à l’écart du monde extérieur, une vie de mortification, sans pensées qui nous soient propres et a fortiori sans vues ou idées personnelles, que nous devons rejeter comme autant de vanités. Nous n’avons pas de passé et sommes donc censés ne pas avoir de souvenirs. L’état de sainteté ne peut être atteint que par un renoncement au monde matériel, dont notre corps fait partie. Ce dernier ne nous appartient plus mais est le temple de l’esprit sain.

Je suis donc ici, moi, Eldert Haman, comme si je n’existais pas. »

 

p. 249 : « Elle : frapper de jeunes garçons à coups de bâton, leur tripoter la bite, faire plus et pire encore, est-ce cela la vertu ?

Seuls quelques-uns d’entre nous agissent ainsi, ai-je objecté. Ne t’inquiète donc pas pour ça.

Elle : si. Cette petite minorité abuse sans vergogne de son pouvoir sur ces gamins, et toi, tu la fermes, comme le reste de la bande, car la puissance que confère cette suprême robe s’impose à toute votre communauté confite en dévotion et faite de trouillards et de poules mouillées. Tu es complice, tu le sais bien. »

 

 

Gallimard, coll. Du monde entier, octobre 2020, 352 pages, prix : 22 €, ISBN : 978-2-07-272024-6

 

 

 

Crédit photo couverture : © Stephen Mulcahey / Trevillion Images (détail) / et éd. Gallimard

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