Les lumières d’Oujda – Marc Alexandre Oho Bambe
Il était amoureux, à Rome, quand il a été emprisonné puis expulsé dans son pays natal, le Cameroun. Mais c’est à Oujda, au Maroc, qu’il a rencontré la femme de sa vie, Imane, et sa sœur jumelle Leila, qui vit à Lille, en France. Le narrateur, dans une prose poétique proche du slam, dans une langue qui mêle quelques mots d’anglais au français et parfois d’un dialecte africain, raconte le sort des réfugiés, ces migrants qui trop souvent encore croisent la mort sur leur route maritime.
Réflexion poétique sur l’humanité, l’accueil, la liberté, la fraternité, la résilience, les lumières d’Oujda est aussi un beau roman d’amour. L’amour d’une mère morte trop tôt, d’une grand-mère, Sita, et d’une femme auprès de qui l’apaisement pourra éclore, enfin.
L’écriture, séduisante, hypnotique, entraine vers quelque chose de novateur dans la narration, c’est beau et triste, beau et lumineux, « car personne ne fuit le bonheur ». A découvrir, vraiment.
p.85/86 : « Bonjour mon frère, comment va ta douleur ?
Ainsi commençait le texte de rap offert par Yaguine et Fodé lors de notre première rencontre.
J’ai décidé de m’appuyer sur cette phrase pour commencer mes ateliers avec les fugees.
Mon idée est d’instaurer un silence en eux, autour d’eux, pendant chaque séance de poésie-thérapie.
Réapprendre à faire silence.
Et écouter ce qu’on entend de soi.
Choisir de le partager ou non.
Poser un regard sur son être.
Se parler.
S’écrire.
S’ouvrir.
Se demander comment on va.
Et où on est.
De son chemin.
Intérieur.
Son parcours, sa traversée.
De toutes les frontières, qui nous rapprochent ou nous éloignent. De nous. Du monde.
Je crois au pouvoir de la parole. Je crois à la résilience.
Par les mots.
Les nôtres.
Et ceux d’autres, aussi.
Tuteurs.
Professeurs
D’espérance.
Qui peuvent.
Nous aider, nous soigner, nous accompagner.
Sur la route de nous-mêmes. »
p.88 : « C’est pas l’homme qui prend la mer
C’est la mer qui prend l’homme [Dès que le vent soufflera, Renaud, 1983]
Les mots du chanteur ont une autre résonance en moi depuis que je travaille à l’asso. J’ai les images. De chaque naufrage. De chaque sauvetage. En mer. J’ai les images. De femmes, d’enfants et d’hommes. Elles et Ils. En ballottage. Toujours défavorable. Non définitivement, c’est pas l’homme qui prend la mer… »
p. 310/311 : « Depuis 2000, on estime à plus de trente cinq mille le nombre de femmes, d’enfants et d’hommes morts en Méditerranée, en essayant de passer. Les chiffres sonnent creux manifestement, pourtant ils sont implacables. Et on ne parle que de corps retrouvés. D’autres gisent pour toujours, sans sépulture, au fond de la mer qui meurt elle aussi.
D’un trop-plein de cadavres.
L’inaction des gouvernements du Nord et du Sud est à dénoncer, mais tant d’autres choses aussi, en question ici énoncée : pourquoi on part ?
Oui pourquoi ?
Pourquoi on prend tous ces risques ?
Pourquoi on s’en fout la mort à ce point ?
Pourquoi rien ne change, à part les saisons ? »
Calmann-Lévy, août 2020, 326 pages, prix : 19,50€, ISBN : 978-2-7021-6323-8
Crédit photo couverture : © tableau, série « Partir » / © Olga Yameogo / et éd. Calmann-Lévy