Passage du gué - Jean-Philippe Blondel
ça commence de façon anodine par des soldes en famille dans les magasins d'usine, un père, son épouse, et leurs deux enfants adolescents, ça respire le vécu ! Et puis soudain, ce visage, cette silhouette, ce couple en face, Myriam et Thomas, et le retour en arrière, la plongée dans les souvenirs pour Fred. Automne 1985. Fred est pion dans un collège. Il surprend Myriam, prof de dessin, dans sa rêverie sur une chanson de Martha Davis, Les Motels. C'est le début du trouble réciproque. Mais Myriam est en couple avec Thomas, et elle est enceinte. C'est la naissance d'une belle relation triangulaire qui n'a absolument rien du banal adultère. Et puis tout bascule. La mort subite du nourrisson. L'après. Ces deux hommes et cette femme qui vont se soutenir s'emmêler se débattre pour y survivre, et fi du ragot alentour ! Fred comme un vecteur, un tiers nécessaire.
C'est un magnifique livre sur la reconstruction. La renaissance comme dit la 4ème de couv. Je préfère reconstruction.
Il m'arrive parfois lorsqu'une phrase me plaît de la recopier dans un petit carnet à côté de moi. Mais là très vite il y en a eu trop. Je ne sais pas comment M. Blondel a fait pour que chaque mot soit aussi juste. En tout cas il y a excellemment réussi. Un tel réalisme, un sens si aigu du sentiment ou de la sensation vécue dans chacun de ces trois personnages que l'on pourrait croire que l'auteur a vécu les trois personnages à la fois. Myriam dit de Thomas page 274 : "Je te soupçonne d'avoir été femme dans une vie antérieure". Et bien moi je soupçonne M. Blondel d'avoir été femme dans une vie antérieure. Et c'est un compliment.
Ce livre à trois voix toutes aussi justes l'une que l'autre, c'est ce qui fait ensuite, du point de vue de la lectrice que je suis, cette admiration béate face à l'écrivain que je vois alors comme un magicien des mots et que je place alors sur un piédestal (non ce ne peut plus être alors un homme ordinaire, si bien qu'on se fait tout petit tout timide quand on les croise dans un salon du livre), dans un fantasme un peu envieux : mais comment fait-il pour trouver ces mots aussi justes, les assembler tout bien comme il faut au point que chaque phrase est parfaite, chaque paragraphe juste comme il faut ? C'est aussi l'alchimie (même si je déteste ce mot à la consonance trop ésotérique) d'un texte et la résonance qu'il provoque auprès du lecteur. Un livre réussi ne l'est que dans l'intimité d'un lecteur. Ce livre a (est?) une grande force pour moi, évidemment.
Et pour tout cela, cette belle histoire d'amour au pluriel, cette douleur et son après, son rayon des souvenirs 20 ans plus tard, et même si tout n'était qu'un artifice de la création littéraire, merci mille fois Monsieur Blondel !
Robert Laffont, août 2006, 335 p. ISBN 2-221-10720-9, prix : 20 €