2 femmes 2 hommes 4 névroses - Martina Chyba
Martina Chyba, d’origine tchèque, vit et travaille en Suisse, où elle est journaliste. 2 femmes 2 hommes 4 névroses est son premier roman, qui m’apparaissait fort tentant au vu des résumés et critiques de presse que je vous livre ci-après :
Le début de la quatrième de couv :
Aujourd’hui, on ne dispose que de 15 ans pour réussir sa vie. Entre 25 et 40 ans il faut du fric, du cul, des gosses, une carrière, du fitness, des voyages, des soirées échangistes, trouver un sens à sa vie, du shopping à new York, etc.
Si vous êtes tout en bas de l’échelle de Richter de l’épanouissement personnel et de la reconnaissance sociale, il faut vous reprendre. C’est exactement ce que tentent de faire deux femmes et deux hommes.
Premier roman et pari réussi pour ce livre hilarant, dont l’objectif est de décrire les errances névrosées d’une génération désespérément privilégiée sur le monde de la comédie grinçante.
Quelques critiques des médias suisses romands:
Migros Magazine 4 septembre 2006
« Un premier roman zinzin et névrosé »
« Un ovni total, un objet virtuellement littéraire à l’écriture vive, explosée, sonore »
« Drôle de chez drôle »
Le Matin 9 septembre 2006
« L’auteur manie la plume avec salacité pour évoquer les obsessions et autres états d’âme de ses personnages »
« Un exercice de style un rien potache, un soupçon Almanach Vermot remastérisé »
« Très moderne »
Le Matin Dimanche 10 septembre 2006
« Fiction déjantée et enlevée, truffée de calembours et de plaisanteries »
Coopération 12 septembre 2006
« Acidulé comme un bonbon »
« Le premier roman de Martina Chyba fait (très) fort »
24 Heures 23 septembre 2006
« Une première fiction délurée »
« Un collage de textes hybrides à l’humour potache »
Cette lecture fut éprouvante pour moi. Car si je suis d’accord avec la plupart des critiques citées plus haut, je crois identifier ma difficulté : je n’arrive pas à lire ce livre comme un roman. D’abord, dans sa présentation graphique tout simplement : des paragraphes de 3 à 4 lignes, rarement plus ; beaucoup de sauts de lignes, des tableaux, de l’italique pour les propos ou pensées des personnages, du caractère normal pour les passages narratifs. Cette présentation conduit à une lecture hachée qui ne permet pas l’unité romanesque. De par le fond ensuite, il s’agit pour moi d’une juxtaposition de bons mots, de propos délirants, virulents, chaque phrase est une vanne qui me fait penser à Laurent Ruquier, et j’ai plutôt l’impression de lire un recueil de pensées déchaînées, de calembours, et de ce point de vue là, l’auteur a fait très fort ! Car se renouveler sur chaque phrase, ça ne doit pas être évident !
Je vous livre en vrac, quelques passages, notés au moment où j’avais un carnet à côté de moi, mais j’aurais tout aussi bien pu relever d’autres paragraphes, tout est de cet acabit :
p.74 : « Violette entra finalement dans un magasin chic et cheap et n’éprouva pas la bouffée compulsive qu’elle ressentait d’habitude. Pour une jeune femme bien sous tous rapports (y compris sexuels), pénétrer dans un magasin, c’est déjà un orgasme.
Et ressortir sans avoir rien acheté, c’est un coïtus interromptus.
Violette s’offrit un survêtement neutre ce qui pour un survêtement suisse est une qualité non négligeable. »
p. 78 : « les femmes qui portent la culotte sont toujours épanouies à l’étage des slips. »
p.80 : « N’importe quel gamin de l’école élémentaire (mon cher Watson) pouvait le faire, mais les seniors/es avaient du mal » [Il s’agit d’acheter un ticket de bus à une borne automatique]
p.84 : « Je n’ai pas de boulot en vue à part entamer un brillant master en histoire de l’art pour compléter ma licence es lettres. Et accessoirement (j’adore les accessoires) dépenser ce qu’il y a sur la Gold, ce qui contrairement à mon milieu n’est pas aisé, parce que la carte de crédit, c’est comme une flûte de champagne pendant un cocktail : il y a toujours quelqu’un qui la remplit sans qu’on s’en aperçoive ». [Elle a bien de la chance parce que ma carte de crédit, personne ne me la remplit, à moi !]
p. 85 : « Jean opina (pardon c’est comme ça qu’on dit mais on peut proposer une version moins sexuée). Donc : Jean donna son assentiment. »
p.86 : « le déformaticien est de moins en moins net.
Ben oui, c’est moi.
Celui qui s’appelle Mac et qui n’a plus le droit de coucher avec son PC.
Mais qui doit trouver une femme bien (payée). »
p. 90 : « Même s’il ne jure que par la bourse, il n’a pas de couilles »
p.93 : Inutile de préciser que l’entretien d’évaluation de Jean se passa :
a – de manière catastrophique
b – de commentaires
[…] D’abord pour être performant, il faut être mince. Sinon vous risquez gros. »
p.111 : « A la Saint-Valentin, si elle te caresse la main, réjouis-toi de la sainte Marguerite… »
p. 156 : « le virtuel, c’est comme l’ordinaire : c’est bien à condition d’en sortir. D’ailleurs n’importe quel pékin (la Chine est à la mode dans le monde global et blogal) qui tient son blog rêve d’être édité par une grande maison parisienne et de voir son livre entre les rayons charcuterie et papeterie d’un supermarché. N’importe quel clampin qui fait de la télé sur internet rêve d’être diffusé sur une grande chaîne du canal hertzien entre deux blocs de publicité.
Alors parfois, on devrait savoir la mettre en veille (euse) avec nos nouvelles technologies et se les carrer quelque part. »
J’arrête là mes citations, pour vous parler de l’histoire. C’est là que le bât blesse. Cette avalanche de bons mots (qui n’a rien de surprenant quand on lit au dos que l’auteur est chroniqueuse à la Télévision Suisse Romande) étouffe dans l’œuf l’unité narrative. Je suis incapable de vous faire un résumé de l’intrigue. A chaque reprise du bouquin, j’avais oublié qui était qui, qui couchait avec qui, et où il en était de son projet de TCCC (thérapie cognitive comportementale entre copains). En gros il s’agit de Very Important Petasses (et leur pendant au masculin) qui ont des soucis de gosses de riches. Heureusement il y a des parties bien définies : Problèmes, Solutions simples, Solutions compliquées, Problèmes résolus, Epilogue. Pour les 4 personnages, il y a Armand Maunoir, 35 ans, ex-banquier, homme de TV, qui doit se faire épiler les couilles pour essayer de bander à nouveau (passionnant programme). Il y a Violette G. Edelweiss, clonasse belle et rebelle (et pas débile). Son problème : euh, ben ch’ais plus ! (quand je vous dis que j’ai eu du mal !). Puis vient Jean Mac Arthur, déformaticien divorcé point net. Vous plantez pas, il bosse sur PC. Et pour finir, Marguerite Richard-Conne, ménagère manager cuculpabilisée. Elle non plus je ne sais absolument plus quel était son problème.
Alors roman, non. Ovni, oui. Critique de notre société de consommation moderne à la dérive, assurément, mais à quel degré ? Je ne trouve pas la distance. Une fois encore l’écriture adoptée noie l’ambition romanesque : on n’en retient que l’humour quasi toujours en dessous de la ceinture et les jeux de mots multiples qui à la longue sont franchement usants.
Et la blogueuse que je suis sur mon temps de loisir n’a aucune, mais absolument aucune, prétention à être éditée dans une maison parisienne cf citation de la page 156. Lectrice je suis, et lectrice je resterai.
Ed. Favre, août 2006, 225 p. ISBN 2-8289-0921-2, prix : 17 €