Les jardins d'Hélène

La liseuse - Paul Fournel

12 Avril 2012, 14:46pm

Publié par Laure

la-liseuse.jpgVendredi soir, l’éditeur Robert Dubois, s’apprête à rentrer chez lui avec une pile de manuscrits à lire, comme il en a l’habitude. Une jeune stagiaire vient lui apporter une liseuse numérique et lui en explique tous les avantages. Il va apprivoiser la machine, et avec son équipe de stagiaires (on ne le dit jamais assez, explique-t-il, ce sont les stagiaires qui font tourner l’édition), va imaginer une nouvelle façon de créer et de faire entrer la littérature chez les gens par le biais de ces liseuses.

J’avoue, ce livre m’a agacée dès le départ, car la fameuse liseuse évoquée et souvent décrite est une tablette Ipad. Manque plus que la pomme sur la couverture mais une TABLETTE,  PAS UNE LISEUSE. Et nous pendant ce temps-là, on passe notre vie à expliquer la différence aux gens, et l’auteur nous casse la baraque en quelques lignes. La tablette peut servir à lire des livres numériques, mais elle fait aussi plein d’autres choses (sauf le café) et surtout, à la différence des liseuses, elle est comme tous les ordinateurs et autres smartphones : elle fonctionne avec un écran rétroéclairé qui épuise nos petits yeux. La liseuse elle, la vraie, ne sert qu’à lire, et fonctionne avec la technologie e-ink, une encre numérique qui donne l’aspect d’une lecture sur papier. Bref, ça va mieux en le disant.

Certains ont pu trouver qu’on apprenait plein de choses sur le petit monde éditorial : si vous êtes à mille lieues, oui, si vous êtes gros lecteurs ou familiers de la chaîne du livre, honnêtement, non. On sait déjà tout cela.

Mais ça reste sympathique, rapide et facile à lire et surtout, ce que j’ai aimé, c’est que le vieil éditeur « à l’ancienne » (l’auteur ?) donne l’impression de vraiment s’amuser, avec les petits jeunes et leur projet commun. Il y a une bonne humeur et un humour savamment distillé dans cet ouvrage, rien de grincheux, au contraire, c’est vif et alerte. Avec les petites piques nécessaires, avec une fin touchante et juste.

Quant à la forme choisie, roman écrit sous forme de sextine (l’auteur explique le fonctionnement à la fin de l’ouvrage), cela ajoute à la contrainte de l’écriture et intéresse après coup, mais reste imperceptible à la lecture pour qui n’est pas spécialiste de littérature.  C’est là tout l’art aussi de la réflexion, écriture, littérature ou gazole et camions qui vont si vite de l’imprimeur au pilon…

 

Quelques bonnes pages :

p. 10 : « Celui qui est sous ma joue est un manuscrit d’amour : c’est l’histoire d’un mec qui rencontre une fille mais il est marié et elle a un copain… J’en ai lu sept pages et je le connais déjà par cœur. Rien ne pourra me surprendre. Depuis des lunes, je ne lis plus, je relis. La même vieille bouillie dont on fait des « nouveautés », des saisons, des rentrées « littéraires », des succès, des bides, des bides. Du papier qu’on recycle, des camions qui partent le matin et qui rentrent le soir, bourrés de nouveautés déjà hors d’âge. »

 

p. 39 : «  - Regardez les retours. C’est le déluge. On envoie dix camions de livres le matin sur les routes de France, et on en reprend six et demi le soir. Ça a quel sens ?

- Une bonne partie du travail de l’édition consiste à brûler du gazole. Tu es au courant, depuis le temps… »

 

p. 143 « La réunion des représentants est une incontournable messe. […] Elle est le premier maillon des malentendus.

J’aime les représentants, des gaillards qui chaque matin tournent la clé de leur Peugeot diesel pour aller vendre des livres alors qu’ils pourraient tout aussi bien aller vendre autre chose, vendre par exemple des choses dont tout le monde a besoin et sur lesquelles il n’y a rien à dire. Et ils ont choisi le livre, dont peu de gens ont besoin et que l’on doit bonimenter à l’infini jusqu’à ne plus savoir au juste de quoi on parle.

Ils ont du courage, ils aiment les livres et ils aiment même les libraires qui n’ont pas assez de temps à leur consacrer, qui gémissent sur la longueur des listes de livres, qui ploient sous le poids de la manutention des offices et des retours. Ils sont le rouage mobile de la machine folle qui vend les livres. »

 

P.O.L, janvier 2012, 216 pages, prix : 16 €

Existe en version numérique au prix de 10,99 €

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Crédit photo couverture : éd. P.O.L

 

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D
<br /> Rebonsoir, j'ai trouvé ce roman superbement écrit. Bonne soirée.<br />
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F
<br /> Je ne l'ai pas lu, mais tes extraits me donnent davantage l'impression d'un (énième) roman au ton enlevé sur l'édition plutôt qu'une vraie réflexion sur les liseuses...<br />
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L
<br /> Ah je ne savais pas qu'il y avait un style si particulier ! Intéressant ! <br />
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L
<br /> <br /> Oui, mais en même temps totalement invisible à moins d'être spécialiste. Du coup après l'explication finale, on reprend le roman pour ... vérifier, et tenter de<br /> comprendre. Une drôle de contrainte stylistique ...<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Oui c'est sympathique ! Mais comme toi dès le début j'ai vu qu'il confondait liseuse et tablette !!!<br /> <br /> <br /> Une anecdote drôle : ça fait bien plus mal de s'endormir en lisant une liseuse qu'un manuscrit ;-)<br />
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C
<br /> Un très bon moment de lecture pour moi !<br />
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