La première pierre - Pierre Jourde
Dans la première pierre, Pierre Jourde revient sur les réactions violentes à son égard et envers sa famille, après la publication de son précédent livre sur son village, « Pays perdu » (L’Esprit des péninsules, 2003), livre jugé injurieux et dénigrant par une bonne partie de la population. Pour le lecteur qui ne connait pas ce livre (pas plus que les références faites à Pays éperdu de Bernard Jannin, qui devait déjà être une première réaction), il est difficile au début de se repérer. Néanmoins très vite deviennent intéressantes les réflexions sur le rôle de la littérature, la perception et interprétation par l’autre de la fiction, les raisons (motivations intimes ou objectifs) de l’écriture. Ainsi très vite aussi le lecteur se pose cette question : le rôle de la littérature est-il de régler ses comptes ? Car malgré les propos passionnants sur les fonctions de la littérature, c’est ce sentiment qui domine : un règlement de comptes par livre interposé. Peu importent les faits propres à l’auteur (c’est un récit personnel) qu’ignore de toute manière le lecteur et dont il se moque un peu, c’est l’enjeu littéraire même qui est au cœur du livre qui est intéressant. Dommage qu’il sente un peu trop le souffre.
Qui a jeté la première pierre ? Je ne suis pas sûre que le lecteur s’en préoccupe.
p. 27-28 : « […] depuis très longtemps, au moins depuis ta naissance, devait circuler dans le pays une histoire, parmi les innombrables histoires, t’attribuant une origine adultérine, sans que ni toi ni tes proches ne soient au courant de cette fiction secrète. Et cette faculté qu’a le village d’engendrer de la fiction, de se composer de fiction, tu allais encore la vérifier. »
p. 50 « Tu as été amputé de toi-même. D’un lieu qui est toi-même. Tu ignorais que c’est un livre qui effectuerait cette douloureuse opération. Pas tout le lieu, mais une grande partie de lui, à présent, te rejette. La littérature sépare, comme le scalpel, c’est là son premier effet. Elle sépare, et puis elle recompose aussi. »
p. 106 : « Un livre n’est pas fait pour admettre les choses telles que nous les rangeons dans l’ordre nécessaire de la vie. Il revient sur le passé, et sur les morts aussi, donc, parce qu’il ne peut pas épuiser la pensée que ce qui a été soit rendu au néant. Pour le livre, le passé vit autant que le présent. »
Lu en juillet 2013 dans le cadre de l’opération « on vous lit tout ! » proposée par Libfly.com et le Furet du Nord, qui offre à ses contributeurs des lectures de la rentrée littéraire en avant-première.
Gallimard, septembre 2013, 189 pages, prix : 17,90 €
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Crédit photo couverture : © éd. Gallimard