Sauf les fleurs - Nicolas Clément
Après monde sans oiseaux de Karin Serres, et Esprit d'hiver de Laura Kasischke, voici mon nouveau coup de cœur de la rentrée, un choix au hasard dans une liste de titres, une surprise, auteur inconnu, 1er roman, et une plume : quelle plume !
Première phrase : « Nous étions une famille de deux enfants, plus les parents. Je m'appelais Marthe, mon frère s'appelait Léonce, né un mensonge après moi. »
Curieux imparfait qui d'emblée m'intrigue. Un peu plus bas sur la première page : « Aujourd'hui, il me reste peu de mots et peu de souvenirs. J'écris notre histoire pour oublier que nous n'existons plus. »
Marthe raconte, de 12 à 20 ans, l'enfance balayée par la violence d'un père, la violence conjugale fatale envers sa mère, son amour inconditionnel pour son petit frère, l'espoir à travers un amour neuf, le départ vers Baltimore, et le drame, encore. Mais dans cette succession de drames perce la lumière apportée par une écriture somptueuse, poétique, imagée, métaphorique, épurée jusqu’à l'os.
Car si le sujet paraît banal (ce n'est sans doute pas le premier roman sur l'enfance malheureuse et la violence paternelle), le traitement fait toute la différence. Si d'ordinaire on est dans le roman distrayant, aussi grave soit le sujet, ici on est dans la littérature, la vraie, belle, grande, et noble. Marthe ne s'y trompe pas, en cherchant la résilience dans la traduction d'Eschyle.
Un texte magnifique, hors des sentiers battus et rebattus, comme quoi le choix des mots peut faire la magnificence d'une histoire : une phrase brève dit tant par la puissance de ce qu'elle évoque de non-dits …
Et pour ceux qui en doutaient encore, seule la maîtrise de la grammaire permet de percevoir toute la portée d'une phrase où seules les désinences verbales permettent de comprendre qui parle. Troublante alternance de la troisième personne (ce que fait le père) et de la première (le récit de Marthe) dans une même phrase, et les majuscules en milieu de phrase qui disent simplement l'insertion du dialogue :
p. 35 « Papa serre les poings ; je ne bouge pas. Frôle la cuisinière ; ne comprends pas ce qu'il fait. Saisit la marmite en train de cuire ; retiens ma respiration. Lance la marmite sur mes jambes ; sens la lame bouillante percer ma peau. Sourit ; entends Léonce crier Tu laisses ma sœur tranquille ! Vois la porte s'ouvrir ; dis Maman, N'entre surtout pas, Sauve-toi. »
75 courtes pages, mais d'une telle force et beauté qu'il n'en était besoin de plus.
Oubliez la ronronnante Amélie et préférez les vraies beautés de la rentrée (enfin faites ce que vous voulez hein !)
Buchet-Chastel, coll. Qui Vive, août 2013, 75 pages, prix : 9 €
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Crédit photo couverture : © éd. Buchet-Chastel