C’est l’histoire d’une petite fille, d’un chapeau et de Camille…
Mercredi après-midi à la bibliothèque. Une petite fille furète dans les albums pendant que sa mère la surveille du coin de l’œil un peu plus loin, un magazine à la main. Scène des plus banales s’il en est.
La fillette qui doit avoir 4 ou 5 ans vient vers moi :
- tu peux me prêter le livre de l’école ?
[Elle a dit « prêter », elle a tout compris, c’est assez rare à son âge]. Je lance un œil interrogateur à sa mère, qui me répond de même, aucune idée de ce qu’est « le livre de l’école ». Je m’adresse à la petite fille :
- C’est un livre que la maîtresse a lu en classe ou c’est un livre qu’on a lu ici à la bibliothèque avec la classe ?
- ici à la bibliothèque
[On avance dans la quête]. Ah mais c’était l’année dernière alors [Je n’ai pas encore eu de maternelles cette année, là c’est plutôt divers projets collège]. La fillette me dit « non, non cette année ».
- comment elle s’appelle ta maîtresse ?
- Nathalie
Je m’adresse à la mère : oui Nathalie vient bien avec sa classe, mais elle n’est pas encore venue cette année, ce sera plus tard dans l’année scolaire, c’était donc l’an dernier. (Avait-elle déjà Nathalie l’an dernier ? avec les doubles niveaux c’est possible). La maman me dit de ne pas m’en faire, sans titre ou auteur c’est impossible, elle en est bien consciente. Je sens que la notion de temps, c’est pas ça, je change de tactique. Je demande à la petite fille :
- et tu te souviens de ce qu’il y a dans cette histoire ?
- euh non… si, il cherche son chapeau…
- ah ben oui, je l’ai ton livre !
Je vais le chercher sur mon étagère animation et le lui tends. Son visage s’illumine littéralement.
- oui !!! C’est lui !!! Merci !!!
Là je sens le regard aussi surpris qu’admiratif de la mère, qui ne tarde pas à me dire : « alors là, bravo, je vous félicite, je n’aurais pas cru cela possible ». Je lui réponds que sa fille m’a donné le bon indice, que ce livre est génial (je lui dis en quelques mots pourquoi mais qu’elle le découvrira en le lisant), et on commence à discuter de l’intérêt des accueils de classe, de notre démotivation (à les penser souvent vains tant on mesure la baisse affolante du « niveau » et les problématiques sociétales) et que sa petite fille a illuminé ma journée.
La petite est allé poser Je veux mon chapeau de Jon Klassen sur la pile de ce qu’elle avait déjà choisi, et revient me voir :
- tu as des Camille ?
La maman me regarde avec un brin d’excuse et d’interrogation dans le regard… (Y a pas de raison)
J’ai une demi seconde d’hésitation.
- des Camille, oui, j’en ai, je vais regarder sur l’ordinateur s’il y en a ou si d’autres enfants les ont déjà empruntés. Tu as de la chance, j’ai Camille lit une histoire.
Je le cherche, le trouve et le lui tends. Son visage s’éclaire à nouveau. Et elle commence à me raconter une autre histoire de Camille que la maîtresse a lu l’école. Sa mère me dit que ce n’est pas possible, je suis une fée magicienne ?
Euh non, il se trouvait juste que les 4 bons ingrédients étaient réunis :
- une enseignante qui lit de bons albums à ses élèves et les amène à la bibliothèque
- une bibliothécaire qui lit de bons albums aux élèves qu’elle reçoit avec leur classe
- une maman qui lit des histoires à son enfant le soir et qui l’amène à la bibliothèque (et peut-être aussi à la librairie pour en acheter ça je l’ignore mais j’ai envie de le croire)
- une petite fille qui a tout compris au bonheur des livres.
Alors que nous passons de plus en plus de temps à gérer des cas pénibles, désagréables et décourageants, cette petite fille nous a réconfortés dans l’idée que notre métier a encore un sens. Merci à elle !
(et dans l’histoire comme ce n’est pas moi qui ai fait le prêt mais une de mes bénévoles, je ne sais même pas son prénom)