La lanterne d'Aristote - Thierry Laget
Il y a quelque chose de lumineux et de jubilatoire dans ce roman de Thierry
Laget, auteur que je ne connaissais pas du tout et que je découvre avec cette lanterne d’Aristote qui tient autant du bonheur littéraire (surtout) que de la
morphologie de l’oursin (à peine) !
Un homme se fait embaucher par une Comtesse (moderne la Comtesse, en jeans et baskets) pour cataloguer la très vieille
bibliothèque de son vieux château. Au milieu des livres anciens, notre homme s’épanouit, et s’émeut à chaque nouvelle rencontre féminine, rêvant de relations qui n’aboutissent pas. C’est superbement écrit (un peu exigeant, mais quel joyau !), érudit (on pense souvent, notamment, à Umberto Eco), avec des fils tendus aux classiques de la littérature (et je
ne suis pas sûre d’avoir perçu toutes les références autres que celles clairement citées) et … drôle ! Ah le passage sur les achats de livres en supermarché, en masse parce qu’ils ne
valent rien (par rapport à ses collections d’incunables, mais ne résistent pas au temps comme on le verra plus loin) et les titres de Levy (Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites) et
Musso (Parce que je t’aime) achetés pour séduire sa belle, mais avec lesquels il fait un bide total !
Réflexion sur la véracité / la vraisemblance dans le roman, sur l’opposition entre littérature classique des
bibliophiles et romans de supermarché, jeu sur les narrateurs et la place des personnages, … un régal ! Le tout dans une intrigue qui tient la route, et assez inattendue.
On se demande sans cesse où l’auteur veut en venir mais on savoure chaque phrase jusqu’à la dernière avec un sourire béat : oui,
la littérature existe toujours !
Extrait p. 155-156 : « j’avais donné à chacun le livre que j’avais choisi pour lui : la comtesse m’avait
remercié avec grâce pour l’Enquête sur l’existence des anges gardiens ; le factoton avait émis un grommellement qui, chez lui, pouvait à la fois trahir la gratitude, l’indifférence et la rancune
(mais, deux jours plus tard, pour mon anniversaire, il me fit cadeau, avec un grognement identique, d’une bouteille de vieux porto, et je compris que mon présent ne l’avait pas vexé) ; mais, en
découvrant les titres des romans de Guillaume Musso – Parce que je t’aime – et de Marc Levy – Toutes ces choses qu’on ne s’est pas dites – , la jeune fille me lança un regard de
défi qui me laissa penaud, marmonna un « merci » qui ne me convainquit guère et ne m’en reparla jamais : pour mon anniversaire, elle ne m’offrit rien et ne partagea même pas le gâteau qu’avait
préparé la cuisinière. C’étaient pourtant les meilleures ventes du rayon. »
Extrait p. 210 : « Les oursins, d’ailleurs, n’ont même pas de cerveau, et, quand on a retiré leurs piquants, ils
ne sont qu’une bouchée dotée d’un anus, ou, plutôt, pour respecter la chronologie, un anus pourvu d’une bouche. Et savez-vous comment s’appelle cette bouche ? La lanterne d’Aristote ! C’est
d’ailleurs le titre du roman que je veux vous faire lire.» (Je me demandais en effet si l’auteur réussirait à nous caser cela dans un roman qui n’a rien à voir, il
l’a fait, dans une scène assez cocasse !)
p. 295 : « Celui que vous appelez le Lecteur lit pour que nous continuions d’exister ; s’il referme le
livre, nous ne sommes plus. »
Si vous aimez les romans faciles et jetables, passez votre chemin, sinon, ou si vous souhaitez varier justement les plaisirs,
foncez !
Une lecture offerte par Libfly et le Furet du Nord dans
le cadre de la Rentrée Littéraire, lu en juin 2011.
Gallimard, septembre 2011, 320 pages, prix : 19 euros
Etoiles :
Crédit photo couverture : © Gallimard.