Julie Wolkenstein, autrice et traductrice, enseignante à l’université, imagine un escape game dans la maison familiale de son enfance, située à Saint-Pair-sur-Mer, dans la Manche. C’est une façon ludique d’envisager la visite d’une maison somme toute classique, chargée de souvenirs, les défunts qui y ont vécu, les vivants qui y séjournent toujours pour les vacances.
Même si j’ai accordé peu d’importance au jeu, j’ai aimé l’atmosphère de cette maison et la façon de la décrire, tant les pièces que les souvenirs liés, les liens au père et au frère décédé accidentellement.
Je préfère les romans dits « universitaires » de Julie Wolkenstein, à la David Lodge, pour autant j’ai lu cet hommage à cette maison d’été par excellence (jusque dans le titre) avec plaisir.
P.O.L éditions, 220 pages, janvier 2020, prix : 18 €, ISBN : 978-2818049679
Sandrine a une petite trentaine d’années et aucune confiance en elle, rabaissée toute son enfance par un père sexiste et humiliant. Lorsqu’elle apprend la disparition d’une femme à la télé, mère d’un petit garçon, elle est touchée par le mari éploré, dont elle se rapproche en participant à la marche blanche organisée. Elle devient ainsi… « la deuxième femme ».
Le roman s’ouvre sur la réapparition de la première femme, présumée morte, retrouvée en Italie mais parlant français, ayant toutefois tout oublié de sa vie d’avant. La position de Sandrine devient donc fragile.
Quel roman, tout aussi excellent qu’horrible !
L’autrice réussit avec un talent impressionnant à décrire l’emprise d’un conjoint violent sur sa compagne vulnérable, et met le lecteur dans une position extrêmement désagréable, témoin impuissant de la manipulation que refuse d’abord de voir la deuxième femme.
Roman essentiel sur les violences conjugales, sa noirceur et sa dureté sont terribles, mais nécessaires sur ce sujet qu’il ne faut cesser de médiatiser. Si l’écriture hachée, saccadée, envahie de virgules, m’a d’abord dérangée, j’ai compris qu’elle participait du flot de pensées de Sandrine. On avance parfois en apnée, espérant que l’issue sera salutaire pour les victimes. Éprouvant ET excellent.
Éditions du Masque, janvier 2020, 332 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-7024-4946-2
Le fils, c’est André, élevé par Hélène, la sœur de sa mère, Gabrielle, celle-ci ayant choisi une vie libre et différente. Elle n’a pas rompu le lien, mais c’est bien avec ses cousines qu’André est élevé. Son père, il est inconnu, aux abonnés absents. Il apprendra son nom le jour de son mariage. L’histoire de ce père est aussi celle du drame qui ouvre le roman…
On retrouve l’écriture très belle, précise et travaillée de Marie-Hélène Lafon, l’enfilade d’adjectifs, nombreux, la richesse de la langue. Peut-être n’était-ce pas le bon livre au bon moment, mais je n’ai pas réussi à m’attacher aux personnages qui m’ont laissée de marbre, trop de prénoms également, je m’y suis souvent perdue.
L’histoire se déroule sur un siècle, de 1908 à 2008, mais les chapitres se jouent de la chronologie, mêlant les époques. Ce n’est pas mon roman préféré de cette autrice.
Buchet-Chastel, août 2020, 176 pages, prix : 15€, ISBN : 978-2-283-03280-0
A 33 ans, Pierre est condamné à quatre mois de prison avec sursis pour violences conjugales, assortis d'une mise à l'épreuve de dix-huit mois et d'une injonction de soins. Ainsi s'ouvre le roman.
Comment Pierre en est-il arrivé là, lui qui a été élevé dans une bonne famille versaillaise ?
Le retour sur son enfance et son adolescence, dans une expression aussi simple qu'épurée, fait froid dans le dos. Une enfance bafouée engendre-t-elle nécessairement la violence ?
Ce premier roman frappe par la dureté de ses propos, amenés de manière descriptive mais incisive on pense à Edouard Louis (en finir avec Eddy Bellegueule), dans un milieu social bourgeois tout autant délétère.
Si le cliché du premier roman aux accents auto-fictionnels est bien présent, Sale bourge s'avale d'une traite et laisse un goût amer, celui des silences accumulés qui font péter les plombs. Percutant.
p. 100 : "Il y a un tel écart entre nos principes et nos comportements". Tout est là, dans cet écart...
Flammarion, août 2020, 213 pages, prix : 17 €, ISBN : 978-2-0815-1151-4
Le roman s’ouvre sur l’histoire d’Alice, une femme ordinaire qui mène une vie ordinaire, vendeuse dans un magasin de chaussures, maman d’un petit Achille dont le père s’est envolé avant la naissance, jusqu’à la fermeture, le chômage, le désespoir : enlever un nourrisson pour s’en sortir grâce à la rançon. Sauf que personne ne le réclame ce bébé…
En parallèle, l’histoire de Tom Peterman, un écrivain raté qui survit de quelques droits d’auteur et de rencontres littéraires. Ces deux-là vont se croiser et monter ensemble leur braquage culturel. Écrire un feel good book qui les rendra riches.
Bien sûr l’ensemble est invraisemblable, mais là n’est pas la question. La mise en abyme est habile pour nous donner à lire ce feel good book qui en respecte les codes, tout en sombrant quand même beaucoup dans le réalisme social, celui de la pauvreté. Pas vraiment feel good à vrai dire. Mais tellement vrai.
L’analyse du petit monde littéraire, de sa fabrication des succès et de l’échec de tous les autres fait mouche. C’est à vrai dire là aussi que je l’attendais, Gunzig, tant les extraits ci-dessous m’avaient attirée. Et de ce point de vue-là, la satire aussi est réussie.
Pensez-y lorsque vous choisirez votre prochaine lecture 😉
Extraits :
p. 131 : « Sans que Tom comprenne comment c’était arrivé, en quelques années, l’importance d’Instagram, de Twitter ou de YouTube devint considérable. Un succès ne pouvait se faire sans l’aide des « bookstagramers », des « instabookers », des « booktubers » qui prenaient en photo (avec un filtre élégant simulant la surexposition) les livres qu’ils lisaient, posés sur une table en chêne blanchi à côté d’une tasse de café ou bien posés sur le sable fin d’une plage d’été. »
p. 184 : « - C’est quoi le feel good book ?
- C’est un « livre pour se sentir bien ». En gros, on doit présenter la vie sous un angle positif, faire des portraits de personnages qui traversent des épreuves compliquées mais qui s’en sortent grandis. Ce sont des histoires dans lesquelles l’amitié triomphe de l’adversité, dans lesquelles l’amour permet de surmonter tous les obstacles, dans lesquelles les gens changent mais pour devenir meilleurs que ce qu’ils étaient au début…
- Aaaaah, il faut parler de résilience et de conneries comme ça ?
- Oui, par exemple, il y a pas mal de psychologie. Mais de la psychologie à trois sous, des notions pas du tout approfondies, des choses très basiques que le lecteur doit saisir en un instant, il y a souvent un petit côté « développement personnel » et puis faut pas hésiter à avoir la main lourde sur la spiritualité. La spiritualité, ça va donner au lecteur l’impression de faire partie d’un tout plus grand que lui, qu’il a accès à la transcendance, que des anges veillent sur lui ou des trucs du genre… »
Au diable Vauvert, août 2019, 398 pages, prix : 20 €, ISBN : 979-10-307-0274-3
Antoine a dix-huit, a laissé tomber ses études et vit chez ses parents, paumé entre alcool, drogue et médicaments. Quel triste passé porte-t-il déjà sur ses épaules ? Il tombe amoureux de Leila, rencontrée à Pôle Emploi, à peine plus âgée, mariée et mère d’un petit garçon de 3 ans. Victime de violences conjugales, elle va se réfugier chez lui, qui l’emmène se réfugier aux roches rouges, une maison familiale dans le sud-est de la France où se trouve déjà sa sœur ainée qui ne souhaite plus le voir.
Des personnages cabossés par la vie malgré leur jeune âge, la dénonciation de violences conjugales, de l’emprise et d’un schéma familial qui se reproduit, la fuite, la peur, les drames qui s’accumulent (on découvre l’accident terrible vécu par la sœur d’Antoine et dont il est responsable), la tension qui monte dans une course poursuite effrénée pour se sauver du malheur, tout est sombre et douloureux dans ce roman d’Olivier Adam, et pourtant… de cette mélancolie qui vous enveloppe à la lecture du journal de Leila, qu’elle tient dans ce carnet offert par Antoine, du récit du jeune homme naissent aussi une lueur d’espoir dans la résilience, la volonté de s’en sortir ensemble, de soigner ses blessures au contact de l’autre, pour chacun des personnages.
On en ressort un peu KO, et surpris que ce roman soit publié dans une collection ados-jeunes adultes, il s’adresse pourtant à tous et aurait tout autant sa place en littérature générale.
A lire un soir de spleen (et c’est dans ce contexte qu’il m’a fait du bien !) ou si vous ne craignez pas la noirceur de la vie, qu’éclaire le rire du petit Gabi.
Ed. Robert Laffont, coll. R, juin 2020, 230 pages, prix: 17,90 €, ISBN : 978-2-221-24714-3
Trois sœurs aussi différentes l’une que l’autre se retrouvent pour l’été dans la maison familiale à St Rémy-de-Provence, auprès de leur mère éprouvée par un événement inattendu l’année précédente.
Mathilde, l’ainée, est en couple, a des enfants, et à vrai dire est assez détestable dans sa psychorigidité et son comportement envers les autres, Violette est plus discrète, se remet d’une séparation d’un mari tyrannique, et Louise, la cadette, est tout en empathie, infirmière, elle se dévoue aux autres. C’est d’ailleurs la seule à être restée près de La Garrigue, cette maison familiale où vit encore sa mère.
Frangines, c’est la vie qui bouillonne, qui pétille, qui déborde, un roman qui dévoile au fil du récit et des flashbacks des drames individuels, que la force du lien sororal permettra de surmonter. Un roman souriant malgré la gravité, des épreuves surmontées, c’est le principe du feel-good, non ?
Un roman que j’ai pris beaucoup de plaisir à lire et qui m’a donné envie de découvrir d’autres titres de cette auteure.
JC Lattès, juin 2020, 350 pages, prix : 19,90 €, ISBN : 978-2-7096-6636-7
En 1967, l’île Maurice devient indépendante mais les Britanniques vendent l’île de Diego Garcia, dans l’archipel des Chagos tout proche, aux Américains pour y installer une base militaire. Les Chagossiens sont contraints à l’exil et perdent tous leurs biens, leurs terres, et jusqu’au droit de revenir un jour sur leur île.
Cet épisode historique que j’ignorais totalement est narré à travers l’histoire d’amour entre Marie-Pierre Ladouceur et Gabriel Neymorin, ainsi que l’histoire de leurs familles respectives, pleine de rebondissements. Le récit est bien mené, use d’une chronologie éclatée qui malgré tout ne perd pas le lecteur, sauf peut-être au départ avec les nombreux prénoms de tous les personnages.
Le côté romanesque est peut-être un peu poussé, mais il fait aussi le charme de cette famille, et de ce couple auquel on s’attache très vite. Un très beau roman.
Les escales, janvier 2020, 412 pages, prix : 19,90 €, ISBN : 978-2-36569-402-5
Je ne suis pas une lectrice habituée des romances, ceci peut expliquer cela.
Adèle a tout quitté pour un poste de serveuse dans une crêperie à Saint-Malo. Elle ne supportait plus les faux-semblants du grand restaurant parisien où elle était sous-cheffe, et où les hommes s’attribuaient son mérite. A Saint-Malo, dans le restaurant de Joséphine, elle se reconstruit. Elle a quelques amis, dont Élisa, hospitalisée dans l’attente d’une greffe, avec qui elle écrit des lettres aux réalisateurs pour changer la fin des films. Lorsque Joséphine, qui prend de l’âge, va lui annoncer qu’elle lui cède son restaurant à part égale avec Arnaud Langlois, petit-fils d’un homme qu’elle a aimé plus jeune, un investisseur patron d’une grande multinationale qu’elle va devoir convaincre, tout va basculer.
Bien sûr ces deux-là vont tomber amoureux, et bien sûr cela ne va pas toujours être simple.
J’ai aimé le côté feel-good du roman avec parfois une verve bien sentie dans les dialogues et pensées des personnages, Adèle est fragile côté sentiments mais ne se laisse pas marcher sur les pieds et sait ce qu’elle veut, j’ai regretté toutefois que certaines pistes ne soient pas plus creusées, et j’ai regretté la bascule vers la fin dans le trop dégoulinant. Des bons sentiments, oui, mais l’équilibre entre le feel-good et le niais est délicat et là c’est un peu le pas de trop pour que j’adhère totalement.
Le genre bien codifié de la romance est ici respecté, si bien que le lecteur a toujours une longueur d’avance sur les personnages (bien sûr que l’on imagine ce qui va se passer), les amatrices du genre y trouveront sans doute leur compte.
HarperCollins France / Harlequin, coll. &H, juin 2020 (déjà sorti en numérique), 396 pages, prix : 16,90 €, ISBN : 978-2-2804-1097-7
François Rey est un chirurgien aguerri, il quitte sa clinique lyonnaise pour un week-end de Toussaint dans son relais de chasse familial en Savoie. Il blesse un magnifique cerf à six cors, et au moment de l’achever, hésite, le charge dans son pick-up et l’opère pour le soigner et le rendre à la vie dans la nature. Au cours de sa chasse, il croit apercevoir sa fille apeurée sur le siège d’une voiture qui roule à vivre allure et fait une embardée pour éviter le cerf. Il s’inquiète quand il ne parvient à la joindre au téléphone.
Ses enfants sont grands, son fils est devenu trader à New-York et passe en coup de vent, et sa fille fait médecine (longue tradition familiale) mais plus pour très longtemps, prise malgré elle dans le grand banditisme par son compagnon. Sa femme a sombré dans un mysticisme égoïste, elle s’absente régulièrement pour des retraites dans des couvents.
François est donc un homme solitaire, qui vit pour son travail et la nature, la chasse, la beauté animale. Il a un rapport très sensoriel à ce qui l’entoure. C’est un homme de l’art aussi, épris de musique sacrée et de peinture.
La construction de ce roman est très surprenante, réécrivant les scènes, mêlant les temps passé et présent, emportant le lecteur dans une sorte de roman noir haletant, mystérieux jusqu’à la dernière ligne. Où est la réalité ?
Regard de désillusion sur le monde financier d’aujourd’hui, où le travail ne vaut que par et pour l’argent, d’autant plus que cette désillusion vient de ses propres enfants, à qui il n’a pas réussi à transmettre ses valeurs.
J'ai beaucoup aimé, malgré mon peu d'appétence pour la chasse et la montagne !
Prix Médicis 2019
Stock, août 2019, 352 pages, prix : 20 €, ISBN : 978-2-234-08738-5