Édith Lebeau Davis est PDG d’une grande entreprise, elle a trente-six ans et tout semble lui réussir, mais ce n’est qu’apparence. Un collègue envieux de sa place va la trahir en montant un mauvais plan, et chaque soir Édith, en souffrance, cache bien des secrets.
La première partie est vraiment prenante, et laisse le lecteur extrêmement frustré, car l’autrice a choisi une construction temporelle qui remonte les générations. On abandonne totalement Édith pour passer à la génération antérieure. Chacune des grandes parties dévoile l’histoire de la famille, à travers maladies et frustrations, et la boucle sera bouclée à la fin. L’insertion des journaux intimes du père apportent un côté encore plus romanesque à l’histoire, car ils sont un peu trop « écrits » pour être naturels. Mais qu’importe, on s’y laisse porter.
D’abord déçue de ce choix d’écriture surprenant qui semble rompre le rythme, j’ai finalement beaucoup aimé l’ensemble, pour les histoires de famille et de maladies qu’il raconte.
Je suis moins sensible à l’aspect « développement personnel » qui se déploie ici et là par des phrases que je trouve « clichés », à l’emporte-pièce et un peu faciles, comme s’il fallait ajouter un utilitaire à la fiction, mais si vous aimez ce type de roman, alors il vous apportera ce petit plus qui enrichit l’intrigue.
Roman québécois (canadien de langue française).
Flammarion, mai 2021, 397 pages, prix : 22 €, ISBN : 978-2-0815-1947-3
Il a tué sa femme. Il a sûrement eu tort, mais c’est ainsi. Il n’a pas de prénom, elle non plus, il raconte, parfois à la première personne, le plus souvent à la deuxième du singulier : « Ailleurs, t’étais ma femme. Ma grande, c’était la nuit. Et la nuit était rare. Sauf le jour, ça oui. Avec toi, il faisait noir.» Pourquoi et comment il en est arrivé là, c’est l’objet de ces 145 pages pleines de souffrance et de venin.
L’histoire pourrait être banale, une femme dominante, jalouse, langue de vipère, méchante, ça existe certainement, un mari soumis, un peu lâche, mais qui veut protéger son enfant, ça peut se comprendre aussi, si ce n’était que le style travaillé au cordeau de Claire Castillon fait mouche : c’est acide, piquant, violent, et brillant. Mais où va-t-elle chercher tout cela ?
Le narrateur rêvait d’écrire, mais sa femme avait toujours tué sa fibre créatrice, il s’est bien rattrapé avec ce roman qui fait partie des meilleurs de Castillon. Enfin moi j’ai aimé. Parce que ça sort de l’ordinaire, qu’il y a une histoire, et du style.
Fini sur la plage ensoleillée et balayée par le vent de Préfailles, Loire-Atlantique, en gros pull et écharpe mais avec la musique intarissable du ressac le 05 mai 2021. Un vieux roman, 2018 pensez-donc, emprunté par hasard dans une médiathèque qui n’est pas la mienne. Parce que chez les voisins, c’est bien aussi.
Gallimard, avril 2018, 145 pages, prix : 15 €, ISBN : 978-2-07-278625-9
Je crois que je n’avais jamais lu Janine Boissard, pourtant ses romans sont très populaires, nombreux et très appréciés de nos lecteurs à la bibliothèque.
C’est la couverture et le titre qui m’ont attirée ici, qui ne rêve d’un moment d’évasion sur l’île d’Ouessant ? Après une séparation amoureuse, Astrid revient vivre sur l’île de son enfance, dans la maison que lui a léguée son grand-père. Dessinatrice, elle a cette liberté de travailler d’où elle veut. Erwan, le propriétaire du manoir voisin, se souvient d’elle et du dessin qu’elle lui a offert il y a longtemps. Il en faut peu pour replonger dans une histoire d’amour moderne et romantique, au charme légèrement surannée, et bien sûr contrariée par un ex jaloux et envahissant mais surtout un Erwan qui semble cacher de lourds secrets… Janine Boissard revisite ici l’histoire de Rebecca de Daphné du Maurier.
Le roman est plaisant, les pages se tournent toutes seules et il est presque frustrant tant on aimerait passer bien davantage de temps avec Astrid. Tout va un peu trop vite, comme si l’on n’avait que la trame, mais cela fonctionne tout de même très bien, idéal pour les lecteurs (trices) qui veulent une histoire d’amour mais qui fuient devant les pavés.
Fayard, mars 2021, 186 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-213-71834-7
Léonard a 17 ans, et passe des vacances caniculaires dans un camping des Landes. Le roman s’ouvre sur le décès d’un jeune, qui s’étrangle dans les cordes d’une balançoire. Il est témoin, il ne fait rien. Pire, il enterrera le corps. Ne dira rien. Dès lors monte une tension dramatique qui dure un peu plus de 24h, parlera-t-il ?
Le roman donne à voir le mal-être de l’adolescent, la chaleur écrasante, la difficulté d’être soi quand on ne partage pas l’attitude du groupe, la violence des actes et des envies, la première relation sexuelle, la difficulté des relations familiales.
Un premier roman tendu à l’extrême, raconté à la première personne, qui distille une attente angoissante, et une certaine empathie pour ce jeune garçon qui ne goûte pas à l’insouciance générale qu’impose la jeunesse en vacances.
Une écriture très maitrisée, un roman bref mais efficace.
Premier roman – Prix Femina des Lycéens 2019
Flammarion, août 2019, 138 pages, prix : 15 €, ISBN : 978-2-0814-7896-1
Ce titre fait suite à la grande escapade, publié en août 2019 (qui sort en poche chez Folio en même temps que ce tome 2), c’est donc un tome central, avant le dernier d’une trilogie annoncée.
On retrouve les personnages de la grande escapade, après un saut dans le temps de 1975 à 1989, c’est la chute du Mur de Berlin, puis le début de la guerre du Golfe, le démantèlement des pays de l’Est, etc. Philippe Goubert est devenu prof d’anglais, il semble doué dans cette vocation, hésite à suivre Annette en Allemagne, et l’on n’en saura guère plus sur lui. On l’avait quitté à la fin du tome 1 en se doutant qu’il deviendrait écrivain, ce n’est pas encore pour cette fois.
L’inconvénient d’une lecture numérique, c’est que je n’ai découvert qu’à la toute fin la page récapitulative des noms des personnages, leurs liens familiaux, et j’en aurais eu bien besoin au début de l’ouvrage ! En édition papier, je l’aurais peut-être feuilleté et trouvé plus tôt ! Difficile de se souvenir presque deux ans après des interactions entre les uns et les autres. J’ai fini par conclure que tout le monde couchait avec tout le monde, tout le monde trompait tout le monde, tout le monde mourait, se suicidait ou en avait envie, et les vivants n’ont qu’une envie, se sortir de ce petit monde aux faux-semblants qui sauvent les apparences. Forcément, des secrets de famille éclatent, et au final, il ne se passe pas grand-chose.
« L’ensemble distille un ennui poli », dit une blogueuse aussi vieille que moi dans ce tout petit monde.
Je ne peux que vous conseiller de lire les deux tomes dans la foulée, car pour moi, le hic, c’est que ce tome 2 lu séparément ne fonctionne pas. On ne sait pas qui est qui, et on reste grandement sur sa faim. On touche là à une stratégie éditoriale qui n’a rien à voir avec la qualité du roman [Blondel sait écrire, je ne remets pas cela en cause], mais qui pour moi soulève ces questions-là :
Un auteur tombe-t-il dans l’oubli s’il ne publie pas comme un métronome, tous les ans, ou deux ans grand maximum ?
N’eut-il pas mieux valu attendre 5 ans et avoir un bon gros pavé comprenant la trilogie comme une seule œuvre, certes un peu plus chère qu’un volume à l’unité, mais dans laquelle le lecteur se plonge avec bonheur et en ressort heureux ?
Faut-il absolument coller à l’air du temps qui veut qu’aujourd’hui, un livre doit faire 250 pages max (le lecteur n’a pas le temps et veut du vite lu, ça se confirme tous les jours dans mon travail) et coûter 20€ max, au-delà c’est trop cher ? [On hésite plus pour un pavé à 25 € ? – pas pour un auteur qu’on suit !]
On le sait, les tomes 1 se vendent plus que les tomes 2, et ainsi de suite decrescendo. On perd du monde en route. Toujours. Parce que tout le monde ne suit pas l’actualité littéraire, parce qu’on oublie, parce qu’on n’a pas compris qu’il s’agissait d’une trilogie. Ou parce qu’on n’a pas aimé.
Le roman dans son entier nous aura coûté presque 60 €, on en pense quoi, de cette stratégie de vente ?
Les volumes peuvent-ils se lire indépendamment ? En théorie oui. En réalité dans ce cas précis je ne trouve pas.
Je lirai le tome 3 parce que c’est JPB, mais pour moi ce choix de publication échelonnée est une erreur. Désolée.
Buchet Chastel, mars 2021, 256 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-283-03407-1
Ce premier roman singulier, s’il aborde un thème assez classique, le fait avec une originalité dans l’écriture, des phrases courtes, souvent nominales. C’est l’histoire d’une mère racontée par son fils, Gabriel, troisième enfant d’une fratrie de quatre, deuxième et avant dernier garçon. Le seul à être présent à l’enterrement qui ouvre le roman.
Il remonte la vie rude et violente de cette mère, dont on ne connaitra jamais le prénom, délaissée et rejetée de tous, car elle n’est pas de la même classe sociale que sa belle-famille. Pourtant elle ne manquera pas de courage et de force, mais sera souvent perdue et mal aimée.
Il y a des passages très durs, mais aussi toute la beauté de l’amour filial, qui redonne vie à cette femme.
Peut-être y verra-t-on une accumulation d’abus malheureux, qui font perdre un peu de force à l’ensemble, mais il y a aussi de somptueux passages, ceux sur l’alzheimère notamment. Et cette fin en boucle, qui donne envie de revenir immédiatement au début, ce cercle qui permet de se réapproprier davantage par une relecture ce texte vraiment intéressant dans son verbe.
A relire, indéniablement.
« Elle est la mère mais elle est restée une petite fille. Une petite mère à protéger et à gâter. Pour ses cinquante ans, le fils lui a dessiné et fait réaliser un bracelet en or gravé des prénoms entrelacés des êtres qui lui sont chers. Plus de trois cents grammes d’amour, trop lourds pour elle toute seule. Insupportable. Menottes d’amour impossible. Bijou jamais porté. Elle ne le mérite pas. La mère indine donne à sa fille tous ces noms gravés dans l’or. Le fils en est blessé, non pour le prix du cadeau mais parce qu’il comprend qu’il s’est trompé. Ce symbole de la famille est illusoire. La mère l’a compris bien avant lui. Elle sait que cette famille n’existe pas."
« La mère n’a aucune aversion. La mère aime d’instinct. Elle aime comme un animal. Sans réfléchir. Tout de suite, jamais ou pour la vie. Elle aime d’un amour vrai, d’un amour pur. Elle aime sans distinction. A vie. Elle aime sans différence. Enfants et amis aimés de la même façon. Aimés sans avantage. Elle est incapable d’aimer autrement. Elle écarte les gens toxiques. Des gens nuisibles lui sont imposés. (…) »
Ed. de Minuit, janvier 2021, 96 pages, prix : 12 €, ISBN : 978-2-7073-4671-1
Quel beau récit, une histoire si triste et pourtant si lumineuse sous la plume de Françoise Henry !
Loïc perd sa maman alors qu’il n’a que quatre ans. Décédée d’une rupture d’anévrisme, personne ne lui dira la vérité, on lui raconte que sa mère est partie, avec toutes sortes de scénarios improbables. Le père ne peut surmonter son chagrin, l’enfant est alors confié à ses grands-parents.
La vie de ce jeune garçon jusqu’à l’âge adulte, ainsi que celle de sa famille est racontée par Greta, voisine souffrant de photodermatose, qui se doit de rester loin du soleil, et qui ne peut sortir qu’harnachée en tenue d’apicultrice ou de cosmonaute. Elle observe, et raconte, s’adressant directement à l’enfant, à la deuxième personne du singulier.
La souffrance, la misère, le manque d’amour, l’alcoolisme, la lueur d’espoir lorsque qu’arrive la deuxième épouse, bien vite déçu, l’illettrisme et le mauvais chemin suivi par Loïc et son père sont si justement décrits. Ces deux hommes qui évoluent bien loin de leur soleil, leur amour Nadine trop jeune disparue. Ces deux hommes qui tenteront de renouer un lien, mais que l’alcool et l’absence de dialogue empoisonnent.
Il y a tant de richesse dans l’étude de cette famille, une analyse fine qui jamais ne juge, et qui rayonne d’une beauté portée par l’écriture superbe et poétique, avec une fin porteuse d’espoir.
Une très belle découverte.
Éditions du Rocher, janvier 2021, 216 pages, prix : 17,90 €, ISBN : 978-2-268-10386-0
Antoine a décidé d’arrêter sa thèse, mais ne parvient pas à l’annoncer à sa mère. Il se condamne lui-même à la terminer, entre cafés, derniers cours en tant que prof, BNF et procrastination. Il ne rejoindra pas sa compagne à Séoul pour mieux travailler, tout en accueillant à l’improviste son frère ainé, Dan, qui travaille dans la finance à Londres. L’un n’a pas le sou, l’autre le distribue, l’un est fidèle à son époque, un peu paumé, l’autre part en vrille. Comment trouver sa place dans cette famille qui semble désunie malgré les apparences ?
Choisi pour son titre et son sujet (la soutenance de mon fils est prévue dans 15 jours), je me suis longtemps demandé où l’auteur allait en venir. Ce roman apportait-il quelque chose de neuf ou d’intéressant à la littérature ? Je n’ai pas aimé les personnages, et pourtant, le ton m’a donné envie de poursuivre. La tragi-comédie prend le dessus, mais semble montrer aussi le grand désarroi d’une jeune génération perdue et sans repères, la déliquescence de la famille et de la communication en son sein. Une lecture intrigante mais mitigée pour ma part.
Premier roman
Ed. de l’Olivier, janvier 2021, 234 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-8236-1697-2
Au milieu des années 1980 sur les îles bretonnes du Ponant, un certain Gaspard, « Grand Auteur, Sympathique Pédopsychiatre Au Rire Débile », va initier six adolescents aux jeux d’écriture et de lettres. Vous noterez les prénoms des collégiens, et l’ordre choisi, correspondant aux six voyelles de l’alphabet : Anne, Erwan, Isabelle, Olivier, Urielle et Yves. Par le biais d’exercices, chacun va se surpasser dans cette créativité contrainte, dépassant pour certains leurs angoisses cachées.
La lecture est plaisante et rappelle bien évidemment l’Oulipo, le roman pourrait devenir sans problème un support d’ateliers d’écriture, de l’anagramme au palindrome en passant par toutes sortes de contraintes stylistiques, quant au nombre de lettres ou leur choix. La fin me semble tomber un peu à plat, comme si l’on ne voyait pas comment finir autrement après tant de prouesses. Jusqu’à la table des matières et à l’ordre des chapitres travaillés dans ces mêmes contraintes. Rien n’est laissé au hasard. De la page blanche naitrait l’angoisse alors que la contrainte ouvrirait les portes de la liberté.
Pour ados passionnés d’écriture et adultes aimant les jeux de lettres. Pas si grand public que cela (mais facile à lire), bravo pour l’exercice !
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Ed. du Rocher, janvier 2021, 152 pages, prix : 14,90 €, ISBN : 978-2-268-10468-3
De la première à la dernière phrase, et sur près de 400 pages, jamais la qualité ou le rythme ne faiblissent : je le tiens mon coup de cœur de 2020 ! Et pourtant je l’avais un peu snobé : pas envie, trop vu, trop encensé, peur d’être déçue, tout le monde en parle au même moment, à quoi bon, puis six mois plus tard je me suis dit allez, essaie, au moins… Mais pourquoi ne l’ai-je pas fait plus tôt ? Lu en moins de 24h, fini à 2h et demi du matin, tant je ne pouvais pas les abandonner ces personnages ! quelle claque !
Alors oui c’est sombre, c’est dur, c’est violent, mais quelle beauté aussi dans cet amour fraternel mutuel et cette galère solidaire, quelle force dans chacun de ces trois enfants que l’on accompagne du milieu des années 1980 au début des années 2000 dans les quartiers nord de Marseille.
Une famille toxique, un père ignoble et ultraviolent, une mère paumée et effacée, un camp de gitans sédentarisés qui s’y substituent ou du moins aident à la survie, sous les mots de Karel, l’aîné, le récit réaliste et cru d’une enfance détruite, où la haine mène la danse jusqu’à la mort, celle-là même qui ouvre le texte. Tous les personnages, principaux et secondaires, ont une densité rare, tant dans leurs failles que leurs forces, contribuant de toute évidence à la puissance de ce roman noir et social, au souffle glacial et à la construction remarquable.
P.O.L, mars 2020, 372 pages, prix : 21 €, ISBN : 978-2-8180-4868-9