Les jardins d'Hélène

La vraie vie – Adeline Dieudonné

10 Septembre 2018, 06:46am

Publié par Laure

La narratrice est une enfant que l’on va suivre jusqu’à la fin de l’adolescence. Elle vit avec ses parents et son petit frère Gilles, dans une maison quelconque dont une pièce a tout de même été aménagée en musée des trophées, elle l’appelle « la chambre des cadavres ». Car son père est chasseur de gros gibier, alcoolique et violent. Sa mère est effacée, elle la voit comme une amibe.

P. 13 : « La principale fonction de ma mère était de préparer les repas, ce qu’elle faisait comme une amibe, sans créativité, sans goût, avec beaucoup de mayonnaise. Des croque-monsieur, des pêches au thon, des œufs mimosa et du poisson pané avec de la purée mousseline. Principalement. »

 

L’enfant est assez protectrice avec son petit frère, elle veille sur lui, et le réconforte quand il a peur des histoires racontées par une voisine : « les histoires, elles servent à mettre dedans tout ce qui nous fait peur, comme ça on est sûr que ça n’arrive pas dans la vraie vie ». (p. 17)

 

Elle aime acheter des glaces avec lui auprès du marchand ambulant, dont le camion arrive toujours avec une petite musique, « la valse des fleurs » de Tchaïkovski. C’est en lui servant de la chantilly qu’un terrible accident va se produire, qui va marquer son frère à jamais et changer leur vie.

 

A partir de là, c’est l’engrenage. La montée en puissance d’un texte d’une maîtrise exceptionnelle, l’écriture est au cordeau, aucun mot de trop, et le bon mot à la bonne place. L’histoire est sombre, le roman vire au noir – très noir, mais la lumière de l’intelligence toujours guide vers l’espoir.

 

 

Adeline Dieudonné non seulement raconte une histoire singulière, glaçante, qui marque, mais elle le fait dans un style épuré à l’extrême qui dit toute la bestialité du mal, dans la métaphore de la hyène, une horreur qui n’oublie pas d’ouvrir des espaces lumineux dans la découverte de l’amour avec un voisin bien plus âgé, et la découverte de la bienveillance auprès d’un professeur de sciences.

 

On finit le roman en apnée, dans une tension insupportable, mais dont la fin apaisera, enfin.

 

 

 

Adeline Dieudonné, auteure belge d’expression française, a déjà reçu le prix Première Plume 2018 pour ce premier roman. Elle est sur la première liste du Goncourt. Curieux puisqu’il existe par ailleurs un Goncourt du 1er roman. J’ignore si elle y restera, en tous les cas son premier roman est d’une maîtrise et d’une qualité telles que je ne peux que le recommander vivement.

 

 

 

 

P. 127 : « Moi je voulais avancer. J’avais treize ans et on me parlait encore de la composition de la cellule. Et je n’aimais pas non plus mon prof parce qu’il était mou. Il avait démissionné de tout. Son odeur était le premier signe de son laisser-aller, mais tout le reste suivait. D’ailleurs, tout le monde à l’école était mou. Les profs, les élèves. Les uns étaient bêtement vieux et les autres allaient vite le devenir. Un peu d’acné, quelques rapports sexuels, les études, les gosses, le boulot et hop ! Ils seront vieux et ils n’auront servi à rien. Moi, je voulais être Marie Curie. Je n’avais pas de temps à perdre. »

 

 

 

 

 

L’iconoclaste, août 2018, 265 pages, prix : 17 €, ISBN : 978-2-37880-023-9

 

 

 

Crédit photo couverture : © Quintin Leeds / éd. L’iconoclaste

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Duel au soleil – Manuel Marsol

9 Septembre 2018, 10:49am

Publié par Laure

Un classique duel comme dans les westerns, dans un désert aride du Far West : oui mais…

 

D’un côté un Indien, de l’autre un cowboy, et au milieu une rivière. Ils s’affrontent munis respectivement d’un pistolet et d’une flèche et son arc. A chaque fois qu’ils sont prêts, quelque chose dans la nature vient les déranger. La scène tourne vite au comique !

 

L’auteur illustrateur utilise la reliure et donc la découpe des scènes en page gauche et page droite à merveille pour ce scénario qui s’amuse des classiques du cinéma, et démontrer qu’au fond, ils pourraient peut-être bien s’entendre, ces deux compères ! Avec une toute dernière page post générique savoureuse à ne pas manquer !

 

 

Voir des extraits : ici

 

 

 

L’Agrume, mars 2018, 104 pages, prix : 20 €, ISBN : 979-10-90743-72-4

 

 

 

Crédit photo couverture : © Manuel Marsol et éd. L’Agrume.

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Deux stations avant Concorde – Peire Aussane

8 Septembre 2018, 10:09am

Publié par Laure

Eve est mariée à Antoine, elle a 33 ans, ils ont deux enfants, Axel et Césarine. Alors que son mari est en déplacement, elle laisse ses enfants à ses parents pour se reposer un peu… Après avoir croisé le regard d’un homme dans le métro et perdu son téléphone portable, elle s’envole pour le Japon, dans l’idée que cet homme vit là-bas.

 

Elle part sur un coup de tête dans ce pays où vécut sa grand-mère divorcée et reconstitue des bribes de son histoire familiale.

 

Crise de couple, réflexion sur soi, ce roman intimiste n’a pas réussi à me convaincre.

 

La mise en place est longue et d’une platitude exaspérante, les enchainements sont tous improbables, et l’ensemble reste plat, d’une trop grande banalité. Un roman sans surprise, que clôt une fin assez ridicule.

 

 

 

 

Une lecture "68 premières fois", sélection de premiers romans de la rentrée littéraire :

 

Michalon, août 2018, 191 pages, prix : 17 €, ISBN : 978-2-84186-894-0

 

 

 

Crédit photo couverture : © Marie Flévet / Ziv Ravitz et éd. Michalon

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Gilles a un pépin – Mathieu Lavoie

7 Septembre 2018, 10:12am

Publié par Laure

Qu’est-ce qui est tombé de l’arbre ? Un œuf. Gilles, un petit corbeau, est en train d’éclore. Mais sa maman a peur : le renard rôde ! Attention Gilles ! Mais Gilles est pressé d’explorer son environnement et de se mettre un petit ver dans le bec. La maman, plus sage, est en quête d’un fromage, car rappelez-vous… une certaine fable du corbeau et du renard !

 

Le texte en randonnée avec une question qui revient donne envie à l’enfant de réagir et de répondre. L’album est simple, mais efficace : un texte court sur la page de gauche, un dessin pleine page à droite, sauf pour les premières et dernières doubles pages.

 

J’aime le côté épuré du texte et de l’illustration (voir ici), le lien à la fable (peu importe si l’enfant ne la connait pas encore, ce peut être l’occasion !) : à tout moins on comprendra bien la sagesse de la maman. Et on s’amuse et on rit, c’est bien aussi !

 

Idéal avec des 2-5 ans.

 

 

 

Hélium / Actes Sud, mars 2018, prix : 11,90 €, ISBN : 978-2-330-09305-1

 

 

 

Crédit photo couverture : © Mathieu Lavoie et éd. Hélium

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D’un trait de fusain – Cathy Ytak

6 Septembre 2018, 08:16am

Publié par Laure

Sami, Mary, Julien et Monelle sont lycéens dans une école d’arts. Ils ont dix-sept ans et la vie devant eux. En cours, quand ils travaillent avec Joos, un beau néerlandais qui pose comme modèle nu, forcément les blagues et les émotions sont à vif. C’est l’âge des premières amours et des premiers couples. Cathy Ytak y va franco pour appeler un chat un chat et utiliser les mots crus du désir et de la sexualité. Mais c’est ainsi que parlent les ados non ?

 

Des couples se forment, des désirs naissent, l’homosexualité n’est taboue que dans les esprits des parents et du reste de la société (ce qui fait quand même beaucoup à supporter), et nous sommes en 1992. Épidémie de SIDA, découverte de la fulgurance du VIH quand la maladie est déclarée, honte, colère, lutte, et manifestations virulentes d’Act Up, association militante, … le roman se veut engagé et initiatique pour ses personnages.

 

Parce que 25 ans après rien n’est gagné, il est toujours bon que les ados d’aujourd’hui abordent ces thèmes, et puissent être informés et en débattre.

 

J’ai aimé le ton naturel de Cathy Ytak, qui risque de bousculer les enseignants dans les établissements scolaires (je l‘ai lu dans le cadre d’un prix des lecteurs collégiens et le langage utilisé n’est pas vraiment celui de l’Académie), mais justement, elle ne se moque pas de son lectorat et sait le toucher.

 

Les émotions sont fortes, que ce soit dans la colère, l’affirmation de soi, l’amitié ou l’amour. Touchant et bien construit, le lecteur ne peut qu’être ému à son tour. Je recommande !

 

 

 

 

Sélectionné pour le prix des lecteurs 13-16 ans

de la ville du Mans / département de la Sarthe 2019.

 

 

 

Talents hauts, coll. Les héroïques, septembre 2017, 253 pages, prix : 16€, ISBN : 978-2-36266-197-6

 

 

 

Crédit photo couverture : © Julia Wauters et éd. Talents hauts

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Trois fois la fin du monde - Sophie Divry

4 Septembre 2018, 18:09pm

Publié par Laure

Joseph Kamal est incarcéré pour un casse qui a mal tourné et au cours duquel son frère a été abattu par la police. La description très réaliste de la violence de la prison est effroyable, c’est une première fin du monde pour Joseph. Puis survient une catastrophe nucléaire qui décime une partie de la population, et permet à Joseph de s’évader et de se réfugier dans une zone sinistrée abandonnée. Il est miraculeusement indemne. Deuxième fin du monde. La troisième ? c’est la solitude qu’il va affronter, nouveau Robinson Crusoé des maisons abandonnées dans une campagne déserte.

 

Au départ, la survie est simple et il revit après tant de violences endurées. Les supermarchés abandonnés et les maisons vides sont abondamment approvisionnés. Il n’y a plus d’électricité, plus personne. L’homme est-il fait pour vivre seul ? Il faut voir l’empressement de Joseph à recueillir des animaux et son attachement à ces derniers, pour comprendre combien la solitude est complexe à endurer (alors qu’il la souhaitait plutôt au moment de la prison !) et la nature riche de ressources, mais pas de celle du lien humain !

 

Sophie Divry surprend une fois encore par sa capacité à changer complètement de registre d’un roman à l’autre. Elle fait preuve ici aussi d’une belle écriture dans un éloge de la nature et la description psychologique de son personnage est juste et sensible. Une plume à ne pas manquer !

 

 

 

Extraits :

« Plusieurs heures ainsi pleurant, allongé par terre. Rien ne m’était jamais arrivé d’aussi violent. J’ai mal partout, je suis affreusement humilié, et victime d’une manipulation qui me dépasse dans sa monstruosité.

Les heures passent, aucun médecin ne vient. Cet abandon me déchire plus que la douleur physique, il déçoit une attente profondément ancrée dans mon esprit. La détresse me submerge. C’est une souffrance atroce d’être ainsi abandonné, surtout quand on sait que derrière les portes, par-delà les coursives, au fond d’un autre couloir, il y a un médecin, une infirmerie, mais que ces gens ne seront pas prévenus. »

 

 

 

« L’émotion est si forte que Joseph s’est assis.

C’est de l’anglais, il ne sait pas qui, il ne comprend pas, mais c’est une voix humaine.

Dans cette cuisine pleine de poussière, dans ce village, voilà que le silence est vaincu. La musique embrasse l’espace, elle colore les murs de cette piaule de retraités-à-confitures.

Tremblant, Joseph appuie sur Stop. Le silence s’étend à nouveau tel un lac glacé autour de son corps.

Comme d’habitude, il avait d’abord cherché la radio, mais sur l’arc des fréquences, ce n’est qu’une grêle de parasites. Il a mis sur Play. »

 

 

Autre roman de l’autrice sur ce blog  (cliquez sur le titre) :

- La cote 400

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ed. Noir sur Blanc, coll. Notabilia, août 2018, 240 pages, prix : 16 €, ISBN : 978-2-88250528-6

 

 

 

Crédit photo couverture : © éd. Noir sur blanc

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Août 2018 en couvertures ...

1 Septembre 2018, 05:07am

Publié par Laure

En août, j'ai lu :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                                      

                                                      

                                                                       

                    

                                                                                                                                      

 

 

 

En août, j'ai vu :

 

 

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La facture – Jonas Karlsson

31 Août 2018, 08:12am

Publié par Laure

Traduit du suédois par Rémi Cassaigne

 

 

Imaginez-vous recevoir une facture de 5 700 000 couronnes (soit environ 600 000 euros) à payer, une nouvelle taxe calculée sur l’indice du bonheur vécu. Le bonheur est donc devenu imposable. Mais alors pourquoi cette somme exorbitante quand on est simple employé de vidéo-club à mi-temps, célibataire sans enfants et qu’on ne possède rien ?

 

Notre héros va bien sûr se renseigner auprès de l’émetteur de cette facture et chercher à en faire baisser le montant en justifiant de la banalité de sa vie. Las ! Elle ne fera qu’augmenter !

 

Kafkaïen, absurde, c’est un court roman vraiment drôle mais qui pointe la valeur de la vie, et ce qu’est le bonheur, qui et comment l’estime-t-on ?

 

On sourit, on plaint ce pauvre homme, on dénigre l’absurdité de l’administration, on espère que la relation qu’il noue avec Maud va évoluer…. Une lecture amusante qui fait réfléchir aux petits bonheurs quotidiens et à leur prix !

 

 

 

 

 

Existe en poche chez Babel Actes Sud depuis février 2018, au prix de 6,90 € :

 

 

 

 

Actes Sud, juin 2015, 188 pages, prix : 17 €, ISBN : 978-2-330-05099-3

 

 

 

Crédit photo couverture : © Eijo Ojala et éd. Actes Sud

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Titan noir – Florence Aubry

28 Août 2018, 14:26pm

Publié par Laure

Après son bac, Elfie travaille dans un parc océanographique près de chez elle. Ce qui ne devait être qu’un job d’été se transforme en contrat longue durée : on lui demande très vite d’assurer les spectacles de dressage d’orques avec Titan, le grand épaulard noir. Ce qui est rarissime, les orques étant habituellement noires et blanches, tout comme les pages de ce livre.

Car cela surprend, le roman alterne des pages de papier noir imprimées en blanc, et des pages classiques, blanches avec texte noir.

Les pages noires sont celles d’un narrateur mystérieux, qu’on ne découvrira que vers la fin, qui semble connaitre toute l’histoire de cette orque noire, et le drame qui l’accompagne.

 

Titan noir est un roman à charge sur la maltraitance faite aux animaux à des fins mercantiles, dans les parcs océanographiques dans le cas présent. Il est construit sur des faits réels, celui de l’orque tueuse Tilikum, et un film documentaire diffusé sur Arte : Blackfish, de Gabriela Cowperthwaite.

Je l’ai trouvé très violent et dur, sur une réalité que peut-être je ne voulais pas voir.

 

Heureusement, la fin du roman redonne un peu d’espoir et de positif.

 

La construction à deux voix apporte un plus au récit et une part de mystère car l’on ne sait pas tout de suite qui est ce fameux narrateur qui semble tout connaitre de Titan.

 

Un roman dérangeant, qui donne à voir la réalité des parcs animaliers, notamment pour les grands mammifères marins. Le roman aborde aussi les relations distantes d’Elfie avec sa mère, et les émois d’un premier amour, n’oublions pas qu’il s’agit d’un roman destiné aux adolescents.

 

 

 

Extrait p. 146 : « Et puis il y avait ses visites à Titan. Il se posait sur les gradins, toujours à la même place, et il regardait. C’était sa punition, pour avoir participé à ce crime monstrueux. Enlever un petit à sa mère, ôter un animal à sa nature. Le priver de tout. Le réduire à une chose. »

 

 

 

Sélectionné pour le Prix des Lecteurs 13-16 ans

de la Ville du Mans et du département de la Sarthe 2019

 

 

 

 

Rouergue, coll. doado, avril 2018, 187 pages, prix : 12,50 €, ISBN : 978-2-8126-1597-9

 

 

 

Crédit photo couverture : © Ronald Curchod et éd. du Rouergue

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Seul le grenadier – Sinan Antoon

27 Août 2018, 13:49pm

Publié par Laure

Traduit de l’arabe (Irak) par Leyla Mansour

 

 

A Bagdad, Jawad apprend le métier séculaire de son père, qui consiste à laver les morts dans la tradition chiite, avant leur ensevelissement. Mais en parallèle il se prend de passion pour l’art, la sculpture notamment, et rêve d’en faire son métier.

 

Roman d’apprentissage qui éclaire à la fois sur un parcours familial traditionnel et la réalité historique et politique d’un pays traversé par les guerres, Jawad ne sortira pas indemne de ce chemin, et sacrifiera bien des idéaux. Mais pouvait-il en être autrement ?

 

Une belle narration, un personnage attachant, j’ai beaucoup aimé cette incursion dans la littérature irakienne que je ne connais pas du tout (et dont on entend peu parler) !

 

 

Extrait p. 117 : « La salle était noire comme une tombe, seule une faible lueur filtrait à travers la fenêtre. Je suis sorti dans le jardin et me suis accroupi devant le grenadier que mon père aimait beaucoup. Il avait bu les eaux de la mort des décennies durant et le voilà près de boire l’eau s’écoulant de son corps. Nous étions complètement étrangers l’un à l’autre. C’est seulement maintenant que je m’en aperçois. Les fleurs écarlates du grenadier commençaient à s’épanouir. Petit, j’en mangeais les fruits goulûment, quand mon père les cueillait et les rapportait à la maison. Mais je n’y avais plus touché dès que j’avais compris comment cet arbre se nourrissait. J’ai entendu le déversement de l’eau à l’intérieur. Quelques secondes plus tard, je l’ai vue apparaître dans la rigole qui la conduisait depuis la salle jusqu’au pied de l’arbre. »

 

 

 

Actes Sud, février 2017, 315 pages, prix : 22 €, ISBN : 978-2-330-05795-4

 

 

 

Crédit photo couverture : © l’arbre, Béatrice Boissegur / coll. privée © Béatrice Boissegur / Bridgeman Images / éd. Actes Sud

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