Sandrine est heureuse en ménage avec Henri, mais elle tombe sous le charme du livreur de Speed Macédoine, Michel, musicien dans un groupe de rock par ailleurs.
« Tout à coup, Sandrine sentit tous ses sens s’enflammer tel un incendie se propageant dans la forêt de son corps… Le regard de cet homme, noir comme une nuit sans lune, la magnétisait tel un aimant dont elle ne pouvait se détacher… »
Alors Sandrine trompe Henri avec Michel, après des soirées ininterrompues de macédoine au dîner (« la macédoine est un symbole phallique », sic), ce dernier finit par l’apprendre, ah la bienveillance des potes ! « Mais oui, c’est vrai, vous avez raison, mes amis de l’amitié ».
J’avais découvert Fabcaro avec Zaï zaï zaï zaï que j’avais adoré, et je suis un peu moins emballée cette fois, même si l’on retrouve bien le côté complètement barré de l’auteur, un grand n’importe quoi qui part dans tous les sens, au énième degré de l’absurde.
On notera le travail graphique et stylistique qui parodie avec succès les romans photo et les romances Harlequin des années 1980.
100 % décalé.
Éditions 6 pieds sous terre, octobre 2017, prix : 12 €, ISBN : 978-2-35212-135-0
Erwan travaille au ressuage dans un abattoir industriel de la périphérie d’Angers, une étape qui consiste à refroidir la température d’une bête fraichement abattue pour que sa viande atteigne une qualité propice à une bonne consommation. Sa vie entière est rythmée par la cadence des carcasses qui arrivent sur le rail, et qu’il pousse l’une après l’autre. L’odeur du sang, le froid permanent font de son métier une horreur. Sa seule lueur d’espoir est dans sa relation avec Lætitia, la jeune intérimaire d’un été….
Quand s’ouvre le roman, raconté à la première personne, Erwan est en prison depuis deux ans, il lui reste encore seize ans à tirer. Le tic de la pendule a remplacé le clac de la chaine de l’abattoir, la vacuité des propos des émissions de télé celle des blagues sexistes de l’usine. C’est donc qu’il y a eu drame, puisqu’Erwan en est là, mais lequel, et pourquoi ?
C’est tout l’objet du récit qui y conduira. Dans une langue rythmée, scandée par les clacs de la chaine, qui parfois se déstructure, s’accélère, s’étire alors que les premières phrases étaient très courtes, c’est le travail comme moteur destructeur d’une vie qui est dénoncé. Il y est question d’abattage industriel, dans des conditions difficiles, mais le contexte pourrait être autre, c’est la cadence, la déshumanisation du travail qui font œuvre ici. L’administration froide et inhumaine qui détruit au motif d’une production toujours plus rapide, l’origine sociale qui détermine, l’ambition qui éloigne quand les cœurs se rapprochent, le monde du travail qui broie l’humain jusqu’à ce qu’il redevienne une bête et se comporte comme telle.
Dérangeant mais si réel…
Asphalte éditions, août 2017, 149 pages, prix : 16 €, ISBN : 978-2-918767-71-8
Edmond et Olympe se rencontrent après-guerre. Olympe est une femme indépendante, qui travaille et vit seule, ce pour quoi elle a dû demander l’autorisation de son père, car c’était audacieux pour l’époque.
Edmond est ouvrier chez Renault, ce qui est loin d’être un parti suffisant pour le père d’Olympe.
Mais Olympe est tenace ; tout comme elle est passionnée par la montagne, et comme sa tante Henriette l’a fait avant elle, elle rêve d’escalader le Mont Blanc.
En mars 1950, Edmond fait son service militaire chez les chasseurs alpins, l’école militaire de haute montagne, le père d’Olympe n’y est pas étranger, c’est sans doute mieux que l’Indochine dont son cousin Honoré reviendra amoché.
En signe d’amour, Edmond cueille un edelweiss qu’il envoie à sa bienaimée Olympe, geste sacrilège, mais quand on aime ….
Je n’en dirai guère plus sous peine de trop dévoiler de l’intrigue, mais les épreuves n’épargneront pas le jeune couple ni leur famille et amis.
Le personnage d’Olympe est fort, toujours avant-gardiste, elle se débat avec les conventions sociales prônées par son père, elle est libre et déterminée, audacieuse, courageuse, têtue. Edmond tente souvent de la raisonner mais par amour se surpassera bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer.
Une très belle histoire d’amour et d’affranchissement des conventions sociales, qui donne tout pouvoir à l’affirmation de soi et à la poursuite de ses rêves et de ses idéaux.
Si l’on se laisse porter par le scénario et le dessin, dans de beaux fondus de couleurs et quelques très belles pleines pages qui rythment l’avancée du récit, on a bien du mal à retenir une petite larme à la fin. Touchant et réussi, même quant a priori, on ne s’intéresse pas du tout à l’alpinisme !
Vents d’Ouest, juillet 2017, 89 pages, prix : 17,50 €, ISBN : 978-2-7493-0814-2
La veille de la nuit de Walpurgis, qui marque la fin de l’hiver en Suède, une femme tombe de son balcon du 11ème étage. La police conclut assez vite à un suicide, mais sa sœur, Hélène Bergman, est dubitative, même si elle avait coupé les ponts depuis longtemps.
Leur mère, Ing-Marie Sahlin, a disparu en novembre 1977 ; les deux enfants, Camilla (qui se fera appeler Charlie plus tard) et Helene avaient alors 5 et 3 ans. L’enquête d’Helene va la mener en Argentine, car il semblerait que sa sœur y soit allée en quête de leur mère très peu de temps auparavant.
Une intrigue policière un peu hors norme, au rythme lent mais au contexte très fouillé, qui fait une large place à la guerre sale et au terrorisme d’Etat dans les années 1980 dans les pays d’Amérique du Sud. C’est aussi un roman sur les relations mère-fille, et sur la place de la mère au cœur d’une famille. Qu’il s’agisse d’Ing-Marie, de Charlie ou d’Helene, leur parcours est complexe.
Les faits historiques dénoncés, l’intrigue au long cours qui mêle les temps entre l’Argentine et Jakobsberg, de 1977 à 2014, et qui s’étend au-delà géographiquement, sont riches et intéressants.
Un roman vers lequel je ne serais pas allée spontanément mais qui se révèle être une bonne surprise.
Sans être un coup de cœur, je ne regrette pas ma lecture, malgré des ramifications qu’il est parfois un peu difficile de suivre. Les personnages secondaires sont nombreux mais ont tous leur importance également.
L’ampleur du roman est ambitieuse, mais maitrisée.
p. 109 : « Mais après tout, que savait-elle de Charlie ?
Une pensée : la vie d’une personne ne se trouve pas dans ce qu’elle laisse derrière elle mais dans ce qu’elle choisit de cacher. »
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de ELLE 2018
Rouergue noir, octobre 2017, 474 pages, prix : 23,50 €, ISBN : 978-2-8126-1447-7
Au scénario : Wilfrid Lupano, au dessin et à la couleur : Mayana Itoïz, avec la participation amicale et artistique de Paul Cauuet (sic)
C’est l’hiver, et en hiver il fait froid.« Dans la forêt, on le sait, quand la neige est là, il fait un froid de ouf ». Le ton est donné.
Mais l’hiver, quand on y est préparé, c’est plutôt sympa : on mange des fondues, on met des doudounes, on fait du ski, etc. Les commerces de meules de fromage et de miches de pain tournent à plein régime. Alors pourquoi monsieur loup est-il grincheux, bougonnant à qui l’interroge : « Non ça va pas, on se les gèle ! »
Ah... mais on se gèle quoi ? avec son super beau slip, il ne devrait pas avoir froid monsieur le loup. Si c’était les pieds ? demandons à la chouette de lui tricoter des chaussettes, puis un bonnet pour les oreilles. Mais ça ne s’arrange pas, et pire, les petits animaux porteurs des cadeaux disparaissent. La peur du loup revient, il est temps d’alerter la brigade spéciale.
De quiproquos en comique de répétition, la question principale demeure : « au nom de la loi, tu te gèles quoi ? » Les meules, les miches, les noisettes, le double sens est perçu par l’adulte sans basculer trop dans le graveleux, et la morale est sauve, [attention spoiler] il n’était question que de solidarité hivernale : pas question de laisser dormir dehors ceux qui n’ont rien !
Les pages de fin (avant dernière et 3ème de couv) reprennent la mise en abyme du théâtre du loup en slip dans les vieux fourneaux, et n’oublient pas une petite pique politico-sociétale bienvenue.
Humour et solidarité, un album qui plait autant aux parents qu’aux enfants ! (car avouons-le, ce sont les parents fans des vieux fourneaux qui craquent les premiers)
Dargaud, novembre 2017, 40 pages, prix : 9,99 €, ISBN : 978-2-5050-7040-5
Annick Kayitesi-Jozan a survécu au massacre des Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994. Par une alternance entre passé et présent, elle fait le récit difficile de la barbarie subie, et sa difficulté à vivre aujourd’hui avec ce lourd passé, et comment l’expliquer à ses enfants.
Auparavant elle avait déjà perdu son père et sa sœur âgée de 6 ans en 1988 à Bruxelles. En 1994, elle a 14 ans lorsque sa mère est atrocement tuée sous ses yeux et ceux de sa sœur Aline.
En 2014 elle a 34 ans, lorsque le Rwanda commémore pendant cent jours les 20 ans du génocide, car celui-ci a duré cent jours.
L’alternance des époques rend parfois confuse la lecture.
Malgré l’intérêt historique de l’ouvrage, il demeure un témoignage personnel qui a peut-être valeur de thérapie pour son auteure et de mémoire à laisser aux siens, mais qui peine à toucher vraiment son lecteur, du fait de son côté trop personnel (individuel) peut-être.
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices de ELLE 2018, catégorie Documents.
Seuil, septembre 2017, 226 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-02-136669-3
Colette vient d’emménager dans un nouveau quartier de Montréal, le Mile-End. Pour la énième fois, sa mère lui refuse un animal de compagnie et l’incite plutôt à jouer dehors. En colère, la petite donne un coup de pied dans un carton vide déposé dans le jardin, et un oiseau qui s’y était réfugié s’en échappe. Elle rencontre Albert et Tom, deux petits voisins, avec qui elle sympathise et à qui elle confie avoir perdu son animal de compagnie, une perruche bleue et jaune.
Au fil des questions la petite fille affabule, mais son mensonge prend vie au fil des rencontres, la troupe s’agrandit à la recherche de cette perruche à la description de plus en plus précise et de plus en plus fantasque, un élément s’ajoutant au précédent à chaque nouvelle personne rencontrée. Présente dans le dessin, elle en devient quasi réelle pour le lecteur aussi !
Il a suffi d’une imagination débordante pour que Colette se fasse plein d’amis et vive de nouvelles aventures, ce n’est que le premier épisode d’une série qui devrait traiter des enfants de ce quartier du Mile-End.
Le dessin est doux, camaïeu de gris et noir, aux touches de sépia léger, de bleu, et surtout de jaune, qui traduit la vivacité et la fantaisie de Colette et de sa perruche imaginaire.
A mi-chemin entre l’album et la BD, c’est une histoire simple qui ramène à l’imaginaire enfantin, aux bandes de copains qui s’inventent le monde avec autant de magie que d’évidence, le tout dans un très beau dessin et palette de couleurs.
A l’origine de la BD, l’auteur explique dans une préface avoir vu un entretien filmé du tueur en série Saïd Hanaï, qui a assassiné seize prostituées entre 2000 et 2001 à Mashhad. C’est un documentaire du journaliste irano-canadien Maziar Bahari, et l’entretien du tueur est mené par une femme journaliste, Roya Karimi Majd. Impressionné, et avec l’accord du documentariste, il s’en est inspiré librement pour écrire et dessiner « L’araignée de Mashhad »
Mashhad est la deuxième plus grande ville d’Iran, après Téhéran, au nord-est du pays. C’est une métropole très religieuse, où la drogue, la toxicomanie, l’injustice sociale et la pauvreté sont élevées. Ce qui entraîne un fort réseau de prostitution pour trouver un peu d’argent et se payer sa came.
En mars 2001, Saïd Hanaï, le tueur en série, est arrêté, alors que les faits s’étendent depuis l’été 2000 à Mashhad. A l’hiver 2001, la journaliste Roya Karimi Majd demande un entretien pour son journal auprès du juge Mansouri.
L’assassin évoque sa foi comme seule motivation, car la charia condamne la prostitution.
Pour le juge, imputer une affaire criminelle à la religion est un crime contre la religion. Il laisse libre cours à la journaliste.
La construction choisie est intéressante, forte, et certains propos sidèrent.
Les chapitres sont introduits par des dessins enfantins en couleur. On saisira mieux pourquoi à la fin, lorsqu’une enfant de victime raconte, le dessin et la typographie se font enfantines, c’est le seul moment où la BD est en couleur. Le témoignage est touchant, frappant.
Le tueur quant à lui restera toujours froid, sans regrets ni scrupules, persuadé d’avoir agi pour le bien de la société et de sa religion.
Le témoignage de son fils bouleverse, tant il marche déjà dans les pas de son père, fier de lui.
La position de la femme est bien sûr au cœur du récit, qu’il s’agisse des prostituées ou de la journaliste courageuse qui recueille les témoignages. Un passage drôle montre les contradictions et l’hypocrisie de la société : elle sort dans la cour pour une pause cigarette, son cameraman lui recommande de faire attention, de ne pas se faire voir par le garde, car fumer en public pour une femme est interdit. Lequel garde s’empresse de lui en demander une et de partager ce moment avec elle.
Des pages noires sur lesquelles une araignée tisse sa toile entrecoupent le récit, progressant dans l’image du tueur surnommé « l’araignée de Mashhad »
Un album saisissant mais nécessaire, qui démontre le dictat de la religion quand elle est utilisée pour tuer.
Editions ça et là / Arte éditions, mai 2017, 160 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-36990-238-6
Norma joue au parc avec son singe en peluche Jojo, sa maman la surveille depuis le banc voisin. La petite s’invente mille histoires. Mais c’est l’heure de partir, maman s’impatiente après avoir rappelé Norma plusieurs fois. Le portable de maman sonne, et cette dernière, happée par son appel téléphonique, devient sourde aux interpellations de Norma, qui elle, est désormais prête à rentrer.
« - Puisque c’est ça, je pars ! » s’agace Norma. « Loin, là-bas, ailleurs ». Et le parc devient univers fantastique, les statues s’animent, les animaux fabuleux interagissent avec les enfants – Norma a retrouvé son ami Félix, qui lui aussi a décidé de fuguer, le lecteur bascule dans ce monde imaginaire riche d’images et de jeux, de peur, d’aventures, jusqu’à ce que Norma réalise qu’elle a perdu Jojo, son doudou.
Une nouvelle histoire nait, sur le départ de Jojo, sur son animation au fil des pages, jusqu’aux retrouvailles finales, avec les mamans respectives.
Un très bel album dans un format à l’italienne, avec des découpages qui font parfois penser à la BD, mais aussi des illustrations pleine page, un album riche de thèmes : les priorités que l’on se donne, l’envahissement du quotidien par les technologies (le fameux portable qui prend toute la place), l’univers magique, féérique, imaginatif de l’enfance, l’amitié, la peur, l’aventure, le doudou, les choix que l’on fait….
A lire et relire, pour le plaisir aussi des illustrations, pleines de détails, de couleurs, de vie et d’imaginaire. Une belle réussite.
L’école des loisirs, septembre 2017, 44 pages, prix : 14,80 €, ISBN : 978-2-211-23403-0
Un homme âgé attend le bus qui ne passe qu’une fois par heure. Il est assis sur un banc, et regarde ce qu’il se passe autour de lui. Un jeune arrive, et s’impatiente, accroché à son portable : il écoute de la musique, envoie des sms, prend des selfies, les met sur Facebook, collectionne les Like, joue à des jeux vidéo, mais n’en peut plus de ce bus qui n’arrive pas.
Quand arrive le bus, le papy monte dedans, non sans dire au jeune homme « vous avez vu ça, quel spectacle incroyable, pas vrai ? » Un spectacle ? vite le jeune veut faire un selfie, il a loupé ça et ressort du bus (qu’il aura bel et bien loupé aussi !)
Et n’oubliez pas d’aller jusqu’à la 4ème de couverture, qui ajoute du sel à l’histoire.
Et vous, le verrez-vous ce spectacle formidable ? Soyez attentifs, chez Voltz, le moindre détail compte. Comme les fourmis qui cheminent, les fleurs qui poussent, les abeilles qui butinent, les araignées qui tissent leur fil, les chenilles… Une nature qui vit et bouge tout le temps, alors qu’accroché à un réseau GSM, que voit-on de la vie ?
Entre deux plaisirs solitaires, quel est celui qui enferme et celui qui ouvre sur la magie du monde ?
Un grand écart entre la sagesse du vieil homme qui observe la lenteur de la nature et l’immédiateté pressée par la technologie de l’adolescence ?
A savourer, en observant les bidouilles de l’auteur artiste : fils de fer, clous, bouts de bois, poignées de porte….
(dès 4 ans)
Rouergue, octobre 2017, 34 pages, prix : 13,50 €, ISBN : 978-2-8126-1489-7