Laura, 17 ans, a été élevée par sa grand-mère Gene(viève), depuis que sa mère a préféré l’abandonner avec un paquet de couches et deux biberons à l’âge de quatorze semaines.
Veuve, Gene (qui s’est auto surnommée ainsi en hommage à l’actrice Gene Tierney mais que Laura appelle Nino) n’a qu’une passion dans la vie, en dehors de sa petite-fille : le cinéma. Et c’est dans les salles obscures et les soirées VOD, VHS et DVD qu’elle l’a élevée, routine aussi intime qu’ouverte sur le monde par ce que le 7ème art en donne à voir.
Quand arrive l’épidémie de Covid19 et son premier confinement, il faut bien se rendre à l’évidence : la santé de Nino décline. C’est aussi le moment que choisit la mère de Laura pour revenir dans leur vie, mais peut-on recréer un lien qui n’a jamais vraiment existé ?
Quel tourbillon émotionnel que ce roman, hommage au cinéma, aux grands films, acteurs et réalisateurs (on n’a qu’une envie : aller (re)voir tous ces chefs d’œuvre !), étude d’une relation familiale privilégiée autant que disloquée, présence de personnages secondaires ayant du sens (l’amante Mireille, l’ami de cinéma Alain, la meilleure amie Marie-D, sans oublier Pierrick…)
Le roman questionne aussi sur la fin de vie, sur la transmission familiale et la construction de soi, sur le poids et la responsabilité que l’on peut faire porter ou non par amour (et là encore, c’est une référence cinématographique forte qui s’y prête).
Si Laura commence à écrire pour appliquer cette citation de Cioran : « on ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu’on n’oserait confier à personne », elle achève son récit par un « Je me souviens » à la Perec aussi beau que touchant.
Et j’aime toujours autant les auteurs qui ne prennent pas les adolescents (cible première de ce roman) pour des pauvres petites choses fragiles qu’il faudrait protéger d’un monde trop cruel.
C’est parce que les salles de cinéma ont fermé pendant le Covid et qu’il a perdu sa mère à ce moment-là que l’auteur a écrit sur sa passion du cinéma, la plaçant dans un personnage adolescent qui comme lui a grandi dans les salles obscures. Un roman « d’amours au pluriel », « magnifiques ou manquées, comme au cinéma ».
Un quasi-coup de cœur [On fermera les yeux sur quelque paroxysme romanesque]. De ceux qu’on commence un soir et qu’on finit dans la nuit parce qu’on ne peut le refermer avant la dernière page.
Quelques extraits :
p. 44 : « Bonnes vacances, Ma Sauterelle. Tu me manques. Mais j’aime ça, le manque de toi, il me remplit, comme de t’imaginer joyeuse au bord de la mer. »
p. 47 : « Un soir, particulièrement inspirée, Nino a déclaré Les cinéphiles sont des amoureux, les série-maniaques des consommateurs et des peine-à-jouir sur plusieurs saisons ! L’orgasme est cinématographique."
p. 93 : « […] un QI au-dessus de la moyenne, mais surtout un QE, quotient émotionnel, qui crevait les plafonds. Hypersensibilité exacerbée, hyper-susceptibilité et incapacité à dire non de peur de déplaire aux autres tant son besoin de reconnaissance est grand. »
p. 104 : « Si je vis avec toi, mon amour, je ne vais pas pouvoir m’empêcher de me mettre en quatre pour réaliser le moindre de tes désirs, et même les devancer ! Pire, je vais m’imaginer que ce sont les miens. On est bien comme ça, non ? L’important, c’est qu’on s’aime !
C’est encore le titre d’un de tes foutus films, ou quoi ?! a répliqué Mireille avec amertume. « L’important c’est qu’on s’aime », merde, on dirait du Sautet !
Nino a fait l’erreur de répondre Non, ce serait plutôt du Zulawski. L’important c’est d’aimer. 1975, Romy Schneider, Jacques Dutronc, musique Georges Delerue… »
Ed. Thierry Magnier, août 2023, 224 pages, prix : 16,20 €, ISBN : 979-10-352-0657-4
Miriam a 17 ans, victime de harcèlement scolaire – elle est « grousse » comme disent ses camarades : grosse et rousse - mal dans sa peau et jamais remise de la disparition de sa sœur lorsqu’elle était enfant, elle fait une tentative de suicide. En thérapie, son psychiatre lui conseille de tenir un journal de bord. Ou plus exactement deux journaux : celui qu’elle sait être lu par sa mère, et le vrai, celui dans lequel elle peut s’exprimer sans filtre.
Et si le début est particulièrement drôle, l’ensemble se révèle plus profond, dévoilant des blessures et une vérité que l’on est loin de deviner.
Les dialogues sont enlevés, la relation à la mère intéressante, tout comme celle au psychiatre, réellement bienveillant. J’ai aimé ce personnage féminin qui se débat pour avancer entre ses fantômes, l’absence du père, et ses traumas, et que l’autrice me mène où je ne m’y attendais pas dans la résolution de la disparition de départ.
La technique du journal intime s’essouffle parfois un peu, surtout dans sa version policée destinée à la mère, semblant parfois plus narrative que naturelle.
Un bon roman jeunesse, dès 13 ans.
P. 127 : « Vous êtes hyper drôle, Miriam. Et il a répété. Et hyper intelligente. Hyper sensible. Hyper émotive. Vous êtes excessive, en tout.
Vous dites ça parce que je suis hyper grosse ?
Non. Je dis ça parce que c’est vrai. »
Pocket Jeunesse, mai 2025, 288 pages, prix : 16.50 €, ISBN : 978-2-266-34320-6
Il y a des rencontres fortuites parfois, entre un texte et un lecteur. Une rencontre d’abord, entre une libraire et une bibliothécaire, un conseil qui d’emblée me convainc, et puis j’ai déjà lu Madeline Roth en littérature jeunesse, je suis ses chroniques de libraire également. Comme si d’emblée je ne pouvais que me lover dans son texte.
C’est l’histoire d’un amour, que l’on pourrait penser banal, déjà lu, et pourtant, c’est une histoire qui touche au cœur par sa justesse, sa sensibilité, sa description. C’est un amour inégal, solaire, l’amant place sa liberté au-dessus de tout, bien avant elle, l’amoureuse. Elle s’interroge, met des mots intimes et universels à la fois sur sa douleur. On pourrait faire sienne chacune de ses phrases.
En lisant ce court texte (80 pages à peine), on pense inévitablement à l’écriture d’Annie Ernaux (dans Passion simple notamment), à retourner faire un tour du côté de chez Barthes, et juste après, à l’envie de lire désormais tout Madeline Roth.
Extrait p. 22 : « Je n’ai jamais pensé que l’amour sauvait. L’amour peut beaucoup de choses, mais il ne sauve pas. On se sauve soi-même, et puis c’est tout. J’ai toujours raconté ma vie aux gens que j’avais envie d’aimer. Le plus souvent, pas tout de suite. Je n’attendais rien. J’écris des livres parce que très tôt, dans ma vie, je n’ai plus pu parler. On peut aider l’autre, par la parole, par la présence, mais on ne le sauve pas. Je crois que quand on a compris ça, on a compris beaucoup de choses. »
p. 72 : « Hier, je suis tombée sur un passage d’un livre du peintre Gérard Garouste, qui disait qu’il y avait deux catégories de personnes dans la vie : les Classiques et les Indiens. Son père était un Classique, lui était un Indien
Tu étais un Indien. Tu es un Indien. Et moi je suis une Classique. J’en suis persuadée. Je suis persuadée que ce qui m’a plu tout de suite chez toi, c’est tout ce qui me manquait, à moi. La façon que tu as d’aborder la vie. (…) »
Éditions Do, mai 2025, 79 pages, prix : 13 €, ISBN : 979-10-95434-60-3
Jean, franco-québécois, la quarantaine, est au chômage depuis trois ans. Souffrant de sévères maux de dos, il ne peut plus exercer son métier de chauffeur-routier. Insomniaque, il passe un entretien suite à une annonce transmise par un ami : devenir pillow man. Le job consiste à servir d’oreiller humain ou de doudou à des adultes esseulés qui ne parviennent plus à trouver le sommeil. Toute relation intime est strictement interdite, ce serait le licenciement immédiat. Bien sûr il n’ose pas expliquer la nature de son nouveau job à sa femme, à qui il dit qu’il est veilleur de nuit pour un grand groupe de luxe.
Les situations cocasses ou touchantes s’enchaînent, il réussit dans son job et goûte enfin à une vie matérielle plus confortable. Jusqu’au jour où, bien sûr, sa compagne découvre le pot aux roses.
Une BD rafraîchissante, originale de par son sujet, qui soulève aussi de vrais sujets comme le marché du sommeil en France (à coup de potions magiques et de somnifère, business et santé publique, mais aussi la solitude.
Le dessin est clair, classique, très coloré, avec une collection sympa de pyjamas.
Une BD doudou comme son héros, avec une fin un poil rapide et sèche qui m’a un peu déçue par sa facilité.
A lire pour sourire !
Glénat, coll. 1000feuilles, septembre 2024, 224 pages, prix : 26 €, ISBN : 978-2-344-04849-8
Noé, quinze ans, est éco-anxieux au point qu’il en fait des crises d’angoisse et qu’il est invivable avec ses parents. Il reproche à sa mère d’être enceinte et accuse ses parents d’inconscience. Sa meilleure amie Rachel va lui offrir un « carnet d’émerveillement ». Plutôt que de lister tout ce qui va mal dans cette infobésité écologique, elle lui conseille de ne noter que des listes positives. Noé a du mal à démarrer, va commencer par modifier le titre (à plusieurs reprises) de son carnet, mais découvrir que finalement, des bonnes nouvelles il y en a. Un événement familial va également lui permettre de se recentrer.
Un court texte dans une collection conçue pour les ados « petits lecteurs », avec un QR code en 4ème de couverture qui permet d’avoir la version audio du livre, lu par l’autrice.
J’aime les romans dans lesquels j’ai le temps de m’installer, alors forcément je suis un peu frustrée. Mais j’entends le cahier des charges de la collection, et le récit fonctionne et peut rassurer beaucoup de jeunes, ou les aider à appréhender le sujet et passer à l’action, plutôt que de ruminer leur anxiété.
La mise en pages insérant des listes sur des feuilles de bloc-notes arrachées dynamise la lecture, le petit jeu avec Rachel pour deviner le prénom de la petite sœur à naître apporte un peu de légèreté et d’humour au texte.
Une belle manière de passer du verre à moitié vide au verre à moitié plein.
(Dès 12 ans)
Magnard Jeunesse, coll. La Brève, septembre 2022, 76 pages, prix : 8.90 €, ISBN : 978-2-210-97473-9
A Zarzis, en Tunisie, Chamesddine Marzoug aide les migrants comme il peut, et surtout hélas, il leur a créé un cimetière, pour offrir aux anonymes morts en Méditerranée un dernier lieu où reposer en paix.
Un matin il est appelé par son cousin pour un jeune garçon qui erre seul. Abdoulaye est le seul survivant d’une embarcation qui a coulé, il dit avoir été sauvé par une tortue géante qui l’a pris sur son dos. Il espère retrouver sa mère arrivée à Zarzis depuis quelques mois déjà.
Multiplicité des points de vue, beauté de l’illustration, parallèle avec les réfugiés ukrainiens que l’Europe a accueillis sur des modalités spéciales, sans jamais porter de jugement l’auteur et l’illustrateur donnent à voir une lueur d’humanité dans un monde inhumain, c’est à la fois triste et beau de justesse.
Chamesddine Marzoug existe vraiment, l’album s’achève par des photos prises par Laurent Galandon lors de leur rencontre.
« Tous les jours à 7h07, Mâtin !, la revue digitale de Dargaud, propose une BD inédite au ton ludique, engagé et décalé sur Instagram (@matin_queljournal). Ces strips sont nourris par un collectif d’experts, de journalistes, d’auteurs confirmés et de jeunes dessinateurs. »
Je trouve leurs publications souvent intéressantes et pertinentes sur des sujets d’actualité ou sociétaux.
Ce recueil, sous-titré "le porno c'est pas la vraie vie !", édité en version papier, s’adresse aux collégiens, dès 11 ans, et s’attache, de manière intelligente, claire et complète, à analyser le porno et le rapport des jeunes adolescents à celui-ci. Pour rappel, 27% des enfants de 12 ans en ont déjà visionné, souvent même dès 8 ans à partir de leur smartphone ou de l’ordinateur familial. La question n’est pas tant de les empêcher d’y avoir accès que de pouvoir en discuter avec eux pour qu’il ne devienne pas leur modèle de sexualité à copier, façon tutoriel d’autoformation.
Les autrice et illustratrice ont choisi quelques thèmes à partir de témoignages d’adolescent.e.s pour les déconstruire. Cette BD documentaire, mêlant donc strips de quelques pages et texte seul également, explique et met l’accent sur le consentement, le respect de soi et de l’autre.
Elle aborde également les clichés véhiculés sur le corps des hommes et des femmes à travers ces films, sur les addictions possibles et sur les violences sexuelles et numériques comme le revenge porn.
Instructif et pédagogue, ce livre a sa place dans tous les CDI d’établissements scolaires et bibliothèques publiques, et peut bien sûr servir de base aux parents qui cherchent des outils pour aborder le sujet avec leurs enfants.
Des définitions et des sites de références complètent l’ouvrage pour aller plus loin dans l’accompagnement ou l’aide si le jeune en ressent le besoin.
Un très bon travail, que je conseille à la lecture dès 11/12 ans.
Ed. Dargaud/ Mâtin !, août 2024, 65 pages, prix : 9.90 €, ISBN : 978-2-205-21161-0
Shimada, Yoshichi et Ishikawa, Saburo Une sacrée mamie tome 1
Shimada, Yoshichi et Ishikawa, Saburo Une sacrée mamie tome 2
Shimada, Yoshichi et Ishikawa, Saburo Une sacrée mamie tomes 3, 4, et 5