Cette pire amie du monde est peut-être le pire personnage que j'aie jamais croisé dans la littérature. Geignarde, mollassonne, déprimante, agaçante, j'ai eu envie maintes fois d'abandonner ma lecture. Confrontée au décès de son meilleur ami, Cyr se retrouve comme anesthésiée, dans l'impossibilité de réagir, et d'écrire ce discours que la compagne du défunt lui réclame. Quel agacement aussi que cette insistance à vouloir lire à tout prix ce discours à l'avance. Confiance zéro.
Tous les personnages m'ont été antipathiques, et il ne se passe pas grand-chose en dehors d'un soporifique montage de meubles Ikea, seule activité qui apaise cette femme devenue inerte. J'ai persévéré, peut-être dans l'idée que ce fameux discours rachète l'ensemble, mais ceux qui ont lu le roman savent combien la déception fut forcément très grande. Je suis passée bien à côté de cette héroïne auto-centrée et du message qu'a voulu faire passer son autrice.
Les Avrils, mars 2023, 304 pages, prix : 22 €, ISBN : 978-2-38311-019-4
Un premier roman saisissant sur l’uberisation du travail. Un livreur à vélo comme tant d’autres, au centre-ville de Lille : accident de la route, incapacité de travail, rayé des applis. Il lui faut bien trouver de quoi vivre à présent, et de noté par les autres il devient celui qui note en jouant les clients mystères. De petits contrats multipliés pour gagner suffisamment, il devient maître en la matière au sein d’une grosse entreprise. Mais de victime il devient aussi bourreau. Qui est réellement coupable dans un tel système ?
Une fiction ultraréaliste au départ, jusque dans son vocabulaire ultra connecté, qui prend une tournure inattendue, de plus en plus dérangeante. Les tentacules de la couverture ou le poulpe à toutes les sauces du resto de sa copine, mais aussi – et surtout - celles insidieuses du travail qui détruit l’humain. Une escalade et sa chute qui laissent un goût amer et l’urgence d’un réveil critique.
Gallimard, collection Scribes, janvier 2023, 235 pages, prix : 19,50€, ISBN : 978-2-07-299768-6
L'ours transparent est un album poétique, il faut se laisser porter par la beauté des illustrations, la douceur de ses couleurs et de son message.
Un ours transparent vit seul, tristement, dans un univers tout gris, un nuage de pluie au-dessus de sa tête illustre son état d'esprit. Jusqu'au jour où emménage Madame Odette, une vieille dame virevoltante entourée de fleurs colorées et de libellules. Elle, c'est un soleil rayonnant qui est toujours au-dessus de sa tête.
La tranquillité d'Ours s'en trouve perturbée. Mais si leurs couleurs se mêlaient, tant dans le dessin que dans leur histoire, ouvrant la place à l'entraide et à l'amitié ? Et même quand vos amis meurent ou déménagent, ils ont laissé dans votre cœur un joli souvenir. Ours ne se sentira plus jamais transparent, d'ailleurs ses joues ont joliment rosi sur le dessin.
C'est tendre et doux, les illustrations alternent sobriété et détails, couleurs chatoyantes, les fleurs de Madame Odette et le petit chat qui s'invite dès les pages liminaires rendent la vie plus belle, tout comme le message porté.
Obriart, août 2022, 36 pages, prix : 18 €, ISBN : 979-10-95135-50-0
Crédit photo couverture : Cécile Metzger et éd. Obriart.
Lire Un chant de Noël un 5 août pourrait paraître anachronique mais dans l’Ouest de la France il fait 16°, il vente et bruine et on a ressorti les pulls, météo adéquate pour faire baisser les piles à lire. 😊
Cette adaptation de la nouvelle de Charles Dickens par José-Luis Munuera est tout simplement sublime. Il prend des libertés avec le personnage de Scrooge puisqu’il en fait ici une femme, Elizabeth, tout aussi misanthrope, cupide et méprisable que son original Ebenezer. La place de la femme n’en devient que plus moderne et intemporelle dans le débat.
Le 24 décembre 1843 à Londres, Elizabeth Scrooge rejette comme chaque année la ferveur de Noël et ne consent qu’à grand-peine à offrir un jour férié à son employé Cratchit. Le spectre de Jacob Marley, décédé sept ans plus tôt, revient annoncer à Elizabeth la visite de trois esprits. Trois esprits qui la conduiront des Noëls passés aux Noëls futurs en passant par le présent. Si Scrooge évolue après ces trois troublantes visites, elle n’en restera pas moins fermement inflexible.
Les illustrations et la mise en couleur sont splendides, éclairant la nuit londonienne dickensienne des lueurs fantomatiques. Une vraie belle adaptation, audacieuse et talentueuse, à offrir sans hésiter et à relire au coin du feu… le 24 décembre.
Dargaud, novembre 2022, 79 pages, prix : 17 €, ISBN : 978-2-5051-1155-9
Ce premier tome d'histoires de moine et de robot est une belle invitation à découvrir une science-fiction américaine douce et bienveillante, qui place l’autre et l'écologie au cœur du propos de ces fables philosophiques et empathiques.
Froeur Dex est moine de thé. Iel (le choix du neutre et de son écriture inclusive fait partie du roman) écoute les habitants et les réconforte autant que faire se peut en leur offrant du thé. Mais peu habile avec l’humain, iel décide de partir en solo à travers la forêt vers l’ermitage. Iel fait la rencontre d’Omphale Tachetée Splendide, un robot doté de conscience (ceux-ci ont quitté Panga depuis des siècles), un bien curieux personnage en quête de réponse à une vaste question : “de quoi les humains ont-ils besoin ?” (surtout quand ils ont déjà tout).
Une vraie amitié va naître entre eux, et le plus humain n’est pas forcément celui qu’on croit ! Touchant !
Une sorte de SF feel good ?!
Extraits : p. 54 “Nous ne sommes ni des fantômes, ni des balivernes, déclara le robot. il est certain que des contacts visuels se sont produits, et dans les deux directions, même s’ils sont rares. Mais, depuis la promesse d’adieu, jamais votre espèce et la mienne ne se sont rencontrées pour de vrai.”
Dex se rembrunit encore. “Vous m’expliquez que vous et moi… sommes le premier être humain… et le premier robot… qui nous parlons depuis… depuis toujours.
Oui. “ Le robot semblait ravi. “C’est un grand honneur”.
P. 58 : “On m’a envoyé ici pour répondre à une question : “de quoi les humains ont-ils besoin ?”
Dex battit des paupières. “C’est une question qui possède des millions de réponses différentes.
Indubitablement. Et, à l’évidence, je ne peux en obtenir aucune en parlant à une seule personne.
Vous… Vous ne comptez pas parler à tous les habitants de Panga ?
Bien sûr que non, répondit Omphale avec un petit rire. Mais je vais porter ma question dans tout Panga, jusqu’à être certain que les réponses obtenues suffisent.
Comment le saurez-vous ?”
Le robot pencha sa tête rectangulaire. “Et vous, comment savez-vous que vous avez obtenu satisfaction ?”
p. 87 : “Je suis un recyclé ! Si je fonctionnais depuis les usines, nous ne serions pas en train de discuter ! [...]
Mes composants viennent des robots d’usine, oui, mais ces individus-là sont cassés depuis longtemps . Leurs camarades les ont démontés avant d’utiliser les pièces détachées pour fabriquer de nouveaux : leurs enfants, les recyclés sauvages.Quand ceux-là se sont cassés, leurs composants ont été récupérés, remis en état, et intégrés à une nouvelle génération. J’appartiens à la cinquième refabrication. Regardez.”
Une lecture inspirée par Alex bouquine en Prada, qui aura réussi à me faire lire de la SF, et à aimer ça, bravo !
Librairie / éd. l’Atalante, septembre 2022, 133 pages, prix : 12,90 €, ISBN : 979-10-360-0119-2
Le cosy crime ou cosy mystery, vous connaissez ? C’est ce roman à énigme au charme désuet, sans violence exacerbée, dans un bourg où tout le monde se connaît, où l’on abuse de thé et de pâtisseries, toutes références à Miss Marple ou Hercule Poirot bienvenues.
Ali Rebeihi, vous connaissez ? Journaliste et producteur à Radio France, il anime l’émission « Grand bien vous fasse » sur France Inter, traitant de questions sociétales et de psychologie.
Tante Alice enquête est son premier roman, le bonheur est dans le crime sa première enquête, et pour moi, ma première lecture de cosy crime.
Alice, 58 ans, ancienne spécialiste de droit en affaires criminelles, anime un club lecture dans son village de Seine et Marne, qui se tient régulièrement dans le salon de thé anglo-marocain d’Haroun (si l’eau ne vous vient pas à la bouche au cours de votre lecture, je ne comprends pas, ce n’est pas permis de telles tentations !). On y côtoie les fidèles figures de la commune, on y discute romans, et on y jase vite à l’extérieur.
Tante Alice vit avec son neveu orphelin, Arthur, psychologue clinicien, qui reçoit sa patientèle dans une dépendance de sa maison, et l’on fait la connaissance d’Inès également, femme de ménage employée par plusieurs personnes du village, qui semble bien remontée contre un certain Paul Faye.
Alors forcément, quand le célèbre auteur des Cinq vérités celtiques (rien que pour ce titre et ses allusions ironiques ou menant à la réflexion sur le développement personnel à toutes les sauces, j’adore !) est assassiné, Inès est vite soupçonnée.
Certes le meurtre arrive un peu tard (à la moitié du roman), certes l’enquête est vite et facilement bouclée, mais on ne boude pas son plaisir, tant les références culturelles sont nombreuses (mais pas indispensables pour suivre), dans le respect de la liberté de pensée du lecteur sur toutes ces questions de psychologie (de comptoir ou pas).
Humour, enquête façon le mystère de la chambre jaune, secrets, gourmandises sucrées, tout y est pour une lecture de vacances légère et divertissante. On en redemande 😉 (et la fin annonce bien le début d’une série !)
Éditions du Masque, juin 2023, 267 pages, prix : 18 €, ISBN : 978-2-7024-5102-1
Baptiste se morfond dans son appartement : sa compagne l’a quitté pour un dentiste, son troisième roman ne décolle pas (il surveille le classement tous les jours, voire toutes les heures sur Amazon), bref, c’est plutôt la déprime. Mais quand Madame Halberstadt, sa voisine, lui demande de garder Croquette, son carlin (lui qui n’a toujours aimé que les chats) sa vie va tout à coup devenir meilleure…Ce chien aurait-il des pouvoirs insoupçonnés ?
C’est léger, drôle, parfois loufoque, et délicieusement mordant sur la littérature d’aujourd’hui, qui s’observe, tout comme la vie, dans le miroir des algorithmes et des réseaux sociaux.
J’ai passé un vrai bon moment et si j’avais déjà lu du Carlier, il n’avait pas le même prénom. Ce Stéphane a un bon goût de revenez-y 🙂
Extraits :
p. 30 : “Je n’étais pas très chien. Comme beaucoup d’écrivains, j’avais toujours préféré les chats. Ils m’avaient longtemps accompagné et, si je n’en avais pas, c’était uniquement parce que je manquais de place. Même un hamster se serait senti à l’étroit dans mon studio. J’avais grandi entouré de chats.Mes parents jugeaient les chiens serviles, hypocrites, bagarreurs, bruyants et sales. Nous n’avions eu avec eux que des expériences désagréables.”
p. 71 : “En quelques minutes, quelques secondes, même, je me réappropriai le plus grand des plaisirs. Écrire. Revisiter le monde des rêves à cinq heures de l’après-midi. Attraper les mots, les soupeser comme des tomates au marché. Parler avec son ventre autant qu’avec sa tête. Tout lâcher et tout contrôler à la fois. Dire. Dire la vérité. Raconter au plus près, au plus vrai, la folie de ce monde, sa cruauté et sa drôlerie. Faire comme si tout cela avait un sens.”
p. 91 : “ On peut écrire sur tout, me disais-je. Un amour déliquescent, un jeune garçon à l’école des sorciers, un appartement abandonné pendant la guerre. Les sujets n’ont pas d’importance. Ce qui compte, ce qui accroche, c’est la vérité. Ce que le livre dit de nous. Le commentaire qu’il fait de l’humanité.”
p. 107 : “ - Un feel good, voilà ce que tu devrais écrire. Tu le ponds en un mois, tu prends un pseudo, on lui donne un titre à la con, du genre Il ne faut jamais perdre espoir - plus c’est gros, plus ça passe - on le sort pour l’été et on en vend 30 000. Ça fera du bien à tout le monde.”
Existe en poche
Le Tripode, avril 2019, 173 pages, 15 €, ISBN : 978-2-37055193-1
Crédit photo couverture : Nina, par Claire Deweggis
Alice a 7 ans et Georges 42 quand il entre dans sa vie, meilleur ami de sa mère, il se tient à l’écart tout le temps de son mariage, sans jamais quitter sa place de professeur d’escalade de la petite. Mais au départ du père, il revient insidieusement “Mondjo”, et Alice en a 15 quand il prévoit de s’installer avec sa mère.
Alice, dite Lili, raconte, les gestes déplacés et le grand amour, avec ses mots d’enfant de 9 ans, puis son mal-être. A qui le dire, à qui l’écrire ? “Mondjo me gouzgouze depuis que j’ai huit ans, mais là il sort avec maman donc il va venir s’installer chez nous”
Ce roman décrit avec beaucoup de justesse l’atrocité des actes (jamais énoncés crument mais toujours sans équivoque) d’un pédophile proche du cercle familial et le silence de sa victime. Le lecteur est dans la tête d’Alice et c’est insupportable. De plus en plus oppressant et pourtant si nécessaire.
Le talent de Claire Castillon dans cet exercice périlleux a été salué par le Prix Vendredi 2022, équivalent du Goncourt en littérature jeunesse.
A lire dès 13 ans. On n’en sort pas indemne, mais s’il peut sauver la vie ne serait-ce que d’un seul enfant, il a toute sa place. Dur et indispensable.
Gallimard jeunesse, coll. Scripto, janvier 2022, 185 pages, prix : 10,50 €, ISBN : 978-2-07-515286-0
Crédit photo couverture : Marion Fayolle et éd. Gallimard jeunesse
"Les chats pour nous, c'était comme la liberté, c'est quand on la perd qu'on se rend compte qu'elle manque." (p.25)
Un vieil homme raconte son île peuplée de chats depuis toujours, ils vont et viennent, plus ou moins domestiqués, libres et indépendants comme le sont les chats, et tout le monde est heureux. Mais un beau jour, ils disparaissent, tous.
Le pouvoir en place sur le continent y remédie en en déposant de nouveaux. Mais ils n'ont plus de chats que le nom... et n'y ressemblent en rien.
Comment s'accommode-t-on des décisions autoritaires prises ailleurs, du contrôle pesant et non négociable ? C'est là que commence le conte philosophique aux allures de 1984 de Georges Orwell, où le phare et les embruns se mêlent à la résistance de quelques uns pour la liberté, de vivre et de penser. Court mais efficace, joliment écrit, avec quelques traits d'humour bienvenus.